Russie, alliance vitale
Russie, alliance vitale
Ne vous attendez pas en ouvrant ce livre à y trouver un sempiternel « bilan et perspectives de la Russie d’aujourd’hui ». Non, comme son titre le suggère, le propos de cet ouvrage est beaucoup plus vaste et ambitieux, il s’inscrit dans une perspective géopolitique et stratégique mondiale. Pour faire court l’idée maîtresse, ou mieux encore la thèse de l’auteur, est de montrer que l’Europe et la Russie ont un intérêt commun et vital à nouer un partenariat stratégique.
En brossant un tableau large et très documenté, du paysage stratégique actuel, Jean-Bernard Pinatel met en lumière les risques pour l’Europe et sa capacité à les surmonter.
Le risque majeur est en effet celui d’un duopole sino-américain qui, loin d’un pseudo-monde multipolaire viserait à perpétuer un monde bipolaire. D’une part, la stratégie de puissance américaine s’inscrit dans un schéma « adversaire-partenaire » analogue à celui de la guerre froide car elle a besoin d’un adversaire, d’autant plus que le complexe militaro-industriel joue un rôle moteur dans la définition des objectifs stratégiques et de la politique de sécurité. D’autre part, il y a une volonté chinoise de puissance stratégique hégémonique et donc une montée en puissance de l’impérialisme chinois qui s’accorde parfaitement avec la vision américaine de « partage-affrontement » pour la domination mondiale.
Pour protéger cette relation et la vision qui en découle, il faut pour les États-Unis empêcher le renforcement du Heartland cher à Mackinder et à Karl Haushofer et réaffirmer le rôle du « Rimland ». Car celui qui domine le « Rimland » domine l’Eurasie et tient le destin du monde entre ses mains. Dans ce but, l’Europe doit rester sous l’influence du maître du « Rimland » et il faut empêcher une alliance stratégique entre l’Europe et la Russie.
Dans ces conditions, l’Otan n’est que le bras politico-militaire de la stratégie de domination américaine sur l’Europe. Il est ainsi nécessaire de ne pas permettre l’existence d’une Europe indépendante et ainsi la possibilité d’une alliance avec la Russie.
Cette démonstration s’appuie sur une série de cas concrets : Carlyle, G. Soros notamment, qui illustrent cette stratégie. Par ailleurs, pour maintenir l’Europe sous dépendance et conforter leur vision, les États-Unis développent une stratégie de la tension au Moyen-Orient en particulier, mais aussi en diabolisant la Russie.
Dans ce contexte de vassalisation de l’Europe, et d’ailleurs du reste du monde, le seul moyen capable de contenir l’influence du condominium sino-américain est de permettre l’éclosion d’un monde réellement multipolaire et pour cela de rebâtir le Heartland par un partenariat stratégique entre l’Europe et la Russie. En effet, il existe une vraie convergence géopolitique, politique et économique entre eux.
Cette analyse, vous l’aurez compris, est un véritable plaidoyer pour une réhabilitation de la Russie et son rapprochement avec l’Europe. La démonstration est d’une implacable rigueur pour dénoncer la stratégie de puissance américaine, en revanche la profession de foi sur les intentions russes d’hier et d’aujourd’hui laissent un peu dubitatifs. Il ne faudrait pas, en retour, diaboliser les États-Unis et faire de la Russie un pays angélique. De plus, le fil du raisonnement suscite quelques interrogations : peut-on affirmer, par exemple, que l’Europe occidentale tient encore une valeur stratégique centrale pour les États-Unis, que le Pakistan est un pays fondamentalement stable et pour finir que l’alliance, que l’auteur appelle de ses vœux, serait automatique.
Mais l’intérêt de ce livre est justement qu’il défend une opinion originale et argumentée, ce qui ne nous étonne pas de la part de son auteur bien connu de nos lecteurs, à la fois pour son parcours professionnel atypique et ses nombreux écrits, parfois prémonitoires ! ♦