Les armes nucléaires ont-elles un avenir ?
Les armes nucléaires ont-elles un avenir ?
Voilà un ouvrage qui tombe à pic, dans le contexte Fukushima, pour traiter des armes nucléaires, de leur efficacité et de leur adéquation au nouvel environnement stratégique. Bien sûr, le nucléaire civil n’a rien à voir avec le nucléaire militaire ne serait-ce que par sa finalité, mais on ne peut pas nier la dualité de la technologie et donc du fait nucléaire.
Dieu merci, cet ouvrage ne traite pas que du cas français car dans ce domaine la pensée reste figée même si certains auteurs admettent l’utilité d’une réflexion mais pour dans… cinquante ans. Dans une perspective plus large ce livre est le fruit d’une réflexion collective conduite par François Heisbourg, sous l’égide de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).
Cinq auteurs français et cinq auteurs étrangers expriment ici leurs points de vue sur l’avenir des armes nucléaires. Bien qu’il soit difficile de résumer en quelques mots la diversité et la subtilité des opinions ainsi exposées s’appuyant souvent sur des rappels historiques très instructifs, on peut en dégager trois thèmes principaux.
Tout d’abord, après avoir été un facteur de stabilité les armes nucléaires deviennent, dans le nouveau contexte stratégique, une source d’instabilité.
Tous les auteurs ne partagent pas complètement cette opinion mais tous s’accordent pour dire que le cadre dans lequel les armes nucléaires ont permis de préserver une certaine stabilité stratégique n’est plus le même. Le paradigme des grands principes où se sont exercées les relations nucléaires n’existe plus maintenant. En effet les principales caractéristiques de la guerre froide ont disparu et le modèle de stabilité sur lequel tout cela était fondé est soudain devenu sans objet. Ainsi le rôle des armes nucléaires dans le monde actuel pour assurer la stabilité n’est plus pertinent. Les risques actuels sont plutôt ceux liés à l’interaction entre les petits arsenaux et des paramètres régionaux complexes et volatils dans un contexte de forte tension.
À partir de là les analyses diffèrent quelque peu, est-ce que ces armes deviennent dans notre monde asymétrique une source d’instabilité, de vulnérabilité qui nous rapprochent, pluralisme nucléaire aidant, de la guerre nucléaire. Après avoir été une source de prudence pour aborder les conflits potentiels, les armes nucléaires et leur utilisation auraient des conséquences désastreuses dès lors que la prudence s’avérerait insuffisante.
Ou bien conservent-elles encore une valeur d’assurance-vie et remplissent dans le système international à l’heure actuelle la fonction de limiter l’incidence de la guerre ?
Une chose est sûre, même si de nos jours les puissances nucléaires ne sont guère convaincues de la valeur stratégique de leurs arsenaux, personne ne croit à l’abandon de l’arme nucléaire tout en étant conscient que ces armes risquent de provoquer une instabilité ingérable.
Pour autant, deuxième thème, le désarmement nucléaire global ou pour le dire autrement l’abolition de l’arme nucléaire représente une solution à ces risques d’apocalypse que la fin du tabou nucléaire fait naître. En théorie oui, c’est la seule solution qui permette d’éradiquer les scénarios désastreux. Mais en réalité, d’après la majorité des auteurs, un tel processus implique deux difficultés majeures qui le rendent quasiment impossible. D’une part, ce projet d’abolition de toutes les armes nucléaires prendrait la forme d’une grande entreprise d’ingénierie géopolitique ingérable et d’autre part, il présente le risque d’introduire de nouvelles vulnérabilités encore moins maîtrisables.
Cependant, et à mon grand soulagement pour les lecteurs qui connaîtraient ma position personnelle, ce projet n’est pas complètement utopique, il exigerait une nouvelle théorie, une nouvelle approche du désarmement et par ailleurs en termes de contrôle et de garantie, il y aurait des solutions de potentiel de reconstitution et d’arsenaux virtuels, ce qui serait une option intéressante sur la voie de l’abolition.
Par ailleurs, je signale des considérations passionnantes sur le désarmement, la maîtrise et le contrôle des armements, le tout dans une perspective historique.
Le troisième thème est celui de la dissuasion française. Comme vous pouvez l’imaginer le consensus exerce ses ravages. Cependant, quelques voix commencent à émettre des doutes sur la pertinence de notre doctrine. Évidemment on retrouve le discours inchangé que, justement il ne faut rien changer et que, seule contre tous, la France persiste et signe. Mais certains soulignent que la stratégie nucléaire française, plutôt que d’interroger les évolutions en cours, décline de façon routinière de vieux concepts et que cela nous conduit à une impasse politique, stratégique et financière et à un isolement de plus en plus prononcé sur la scène internationale. Et que la perspective de la prochaine élection présidentielle bloque toute possibilité d’évolution ou simplement de réflexion originale.
J’ai bien aimé l’allusion à, je cite, « L’inanité du mantra : on ne peut pas désinventer les armes nucléaires ».
En conclusion, c’est un ouvrage passionnant, original, qui tranche par rapport à la littérature française conventionnelle sur ce sujet. Cependant, on ne peut que sortir tristement lucide de cette lecture. Le monde n’est pas près d’abandonner les armes nucléaires et l’on s’achemine inéluctablement vers un affrontement nucléaire qui risque d’être une apocalypse. Nous roulons tranquillement vers l’abîme avec les meilleurs arguments du monde. ♦