Pensée militaire - La guerre des images (suite)
« Une image vaut mille mots », soulignait Confucius. Cette maxime du grand philosophe chinois reste une référence pour les responsables politiques et économiques qui doivent absolument convaincre une opinion. L’image est d’abord un outil efficace de la propagande. Le nazisme a su utiliser cet atout à grande échelle. Dès son arrivée au pouvoir, Hitler institue un département du film au sein du bureau de la propagande dirigé par Goebbels. En particulier, le Führer met le talent de Leni Riefenstahl, à la fois actrice, cinéaste et photographe, au service des opérations grandioses de communication du régime dictatorial. Dans Le triomphe de la volonté (1934) (voir l'affiche ci-contre), la réalisatrice de ce documentaire à la tonalité démesurée réussit à créer une ambiance mythique autour des orateurs et des dignitaires du Reich transformés en véritables dieux vivants. Dans un décor sublimé par des effets de lumière envoûtants et une musique poignante, l’auditoire est transcendé et hypnotisé, donc forcément conquis. On retrouve cette même dynamique de fascination délirante dans Les dieux du stade (1938), une production cinématographique en deux parties que la cinéaste allemande a consacrée aux jeux olympiques de Berlin de 1936. Le dessein du film vise à exalter la beauté du corps des athlètes, métamorphosés à leur insu en messagers d’une « race pure », c’est-à-dire « supérieure » et donc porteuse d’espoir dans la construction d’une nation dominatrice. Le cinéma devient ainsi une plate-forme de bourrage de crâne et de persuasion idéologique pour les dirigeants nazis qui nationaliseront le 7e art. Cette logique implacable d’endoctrinement par l’image, capable de toucher le subconscient derrière l’apparence innocente et agréable d’une œuvre habilement façonnée, demeure une méthode très prisée des despotes qui veulent manipuler une population en vue de lui faire adopter un mode de pensée et une ligne de conduite déterminés. Dans ce champ d’action de l’ensorcellement collectif et de la mise en scène à grand spectacle où les outrances débordent d’extravagance, les historiens s’accordent à décerner la palme de la mégalomanie et de la paranoïa à Fidel Castro, Saddam Hussein, Ceausescu, les dirigeants nord-coréens et Kadhafi.
Avec le développement prodigieux des techniques de communication, le pouvoir sidérant des images s’est aussi imposé dans les conflits contemporains. Son impact est majeur car il agit sur le moral des populations et des armées. Les Américains ont pu mesurer les effets désastreux sur la société, en particulier dans les campus universitaires, qu’ont provoqués les reportages bouleversants sur la guerre du Viêt-Nam. Pour éviter les opérations d’intoxication et diffuser des informations sur le vif et en temps réel, le Pentagone a décidé d’intégrer des journalistes dans les unités. Cette formule connue sous le vocable Embedding a été utilisée pour la première fois à l’occasion de l’intervention en Irak (2003). En restant au contact des troupes, les reporters participent directement aux combats (avec toutefois des précautions de protection). Ils présentent une situation de guerre aux téléspectateurs qui voient ainsi une conjoncture exceptionnelle à hauts risques avec les yeux de ceux qui « vivent » l’événement sur le terrain. La relation spéciale qui s’établit entre les combattants, les commentateurs et le grand public conduit de la sorte l’opinion à apporter un soutien psychologique à son armée engagée dans un théâtre extérieur. Les États-Unis ont généralisé cette méthode avec l’emploi systématique de combat cameras teams, des équipes qui sont en charge de filmer les opérations en accompagnant les unités.
L’initiative américaine a séduit Israël qui étudie un projet ambitieux visant à équiper de caméras des soldats appartenant à des formations blindées et d’infanterie. Ces « guerriers-reporters » auront pour mission de filmer les combats. Ils doivent être instruits au cours d’une période de familiarisation avec les techniques de prises de vue et des procédés utiles de communication. En 2011, Tsahal a décidé d’organiser quatre stages par an avec la participation de 28 soldats par session.
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