Défense dans le monde - Les États-Unis et l'Europe
À quelques jours du sommet de l’Alliance atlantique, deux conférences récentes permettent de faire un point sur la perception par les États-Unis de leurs relations avec l’Europe.
La triple couronne
Donald Bandler est chargé de mission auprès du président des États-Unis pour la préparation de ce sommet. Le 27 janvier, devant des parlementaires américains regroupés dans un conseil atlantique, il développait de façon actualisée le schéma déjà ancien de la « triple couronne » (triple crown).
Pour assurer le contrôle de leur environnement européen, les États-Unis veulent s’appuyer sur trois institutions qui, toutes, tiendront un sommet en 1999. Ces réunions seront l’occasion de faire un bilan des relations mutuelles et d’orienter les travaux dans un sens favorable aux intérêts de Washington.
La première couronne est constituée par l’Otan. La conférence de Washington marque la fin d’une époque, celle de la guerre froide, et le début d’une autre. Les États-Unis entendent lui imposer leur marque par huit orientations : une nouvelle vision de l’Alliance atlantique, un nouveau concept stratégique, une initiative sur les capacités militaires, une déclaration sur l’Identité européenne de sécurité et de défense (IESD), une initiative sur les armes de destruction massive, un nouveau cadre politico-militaire pour les opérations de maintien de la paix dirigées par l’Otan et deux nouvelles initiatives destinées à resserrer les liens de l’Otan avec la Russie et l’Ukraine.
L’initiative sur les armes de destruction massive, par la désignation d’une nouvelle menace fédératrice, sera probablement la plus novatrice du sommet. En tout cas, c’est d’elle que les États-Unis attendent le plus.
Les travaux relatifs à ces orientations sont encore en cours à l’Alliance. Ils ont montré des Européens probablement plus unis qu’on ne l’imaginait et plus conscients de leurs intérêts collectifs par rapport à ceux des États-Unis.
La deuxième couronne est constituée par les relations entre les États-Unis et l’Union européenne. Les Américains peuvent d’autant moins s’en désintéresser que leur commerce avec l’Union est plus important qu’avec le Japon et le reste de l’Amérique réunis. C’est pourquoi les États-Unis voudraient mieux contractualiser leur relation bilatérale avec Bruxelles. Ils préfèrent, en effet, que les deux ensembles travaillent dans le même sens car, dans le cas contraire, ils seraient perdants.
À cet égard, ils souhaitent aller au-delà des relations purement commerciales et parler investissements, luttes contre le terrorisme, contre la prolifération des armements, contre le trafic de drogue, contre la pollution et contre les épidémies. Ils souhaitent également coordonner leur assistance humanitaire avec celle de l’Union.
En 1999, il y aura deux sommets entre l’Europe et les États-Unis. Ils devraient être l’occasion de faire avancer ces dossiers. Washington souhaite implicitement profiter de la présidence allemande dont les Américains espèrent une résistance moindre à leurs desiderata.
La troisième couronne est la relation avec l’OSCE. Les États-Unis assignent à l’Organisation de Vienne des domaines de prédilection : la promotion en Europe des droits de l’homme et de la démocratie, la diplomatie préventive (alerte précoce, prévention des crises), la gestion politique de la crise et la restauration après la crise.
Ce tableau est finalement complet. Il montre bien, selon les propres termes de Bandler, que les États-Unis ont une stratégie cohérente et intégrée (une « vision »). Chaque institution doit agir là où elle est la meilleure pour renforcer l’action des autres. Ils entendent bien l’imposer aux Européens afin d’établir une unité d’action euratlantique.
L’UE et l’UEO ne sont pas interchangeables
Dans le domaine particulier des relations de sécurité avec l’Europe, cette conception de la triple couronne peut être éclairée par l’intervention d’Alexander Vershbow, ambassadeur américain à l’Otan, le 28 janvier, devant l’Institut d’études de sécurité de l’UEO.
Les États-Unis soutiennent, de longue date, la concrétisation de l’Identité européenne de sécurité et de défense, mais la poursuite de son développement doit respecter plusieurs limites.
La préservation de la dimension transatlantique de cette Identité est essentielle. Elle permettra un meilleur partage des responsabilités en Europe et garantira la pérennité du soutien américain à l’Alliance. À ce titre, il faut d’abord terminer les travaux lancés à Berlin en 1996, puis développer les institutions de l’IESD. Pour autant, la constitution d’une structure de commandement et la mise sur pied de forces spécifiquement européennes ne sont pas nécessaires.
Les Américains souhaitent aussi que les relations entre l’Otan et l’Union européenne préservent les principes établis par celles entre l’Otan et l’UEO. Cette phrase est particulièrement ambiguë. Les relations de l’UEO avec l’Otan à la suite de la conférence de Berlin en 1996 étant essentiellement techniques et administratives, est-ce à dire qu’avec l’UE on ne pourra songer à tisser des liens politiques ?
En s’appuyant sur cet acquis, une concertation des Européens avec les États-Unis via l’Otan devrait permettre d’agir ensemble en cas de crise. Washington, toutefois, pourrait décider de ne pas participer à une opération. À ce moment, le choix entre l’Otan et l’UE de l’organisation chargée de la gestion de la crise devra être fait en commun. Les Américains continueront, en effet, à suivre une crise même s’ils ont décidé de ne pas y participer. Ils veulent se réserver une possibilité d’y revenir ultérieurement si l’évolution de la situation le justifie. C’est le sens de l’expression « pas de découplage », lancée par le secrétaire d’État Madeleine Albright.
Dans le cours de son intervention, Vershbow a fait part de deux autres soucis. Si l’UE prend le pas sur l’UEO pour diriger l’Identité européenne de sécurité et de défense, il faudra trouver un statut pour les Européens (lire les alliés européens) qui ne sont pas membres de l’Union. Cela concerne la Turquie et la Norvège. C’est important, ajoute l’ambassadeur américain, car, dans le cas contraire, pour la mise à disposition de moyens de l’Alliance, l’Europe risque un veto, non des États-Unis, mais des alliés considérés. Ensuite, si Saint-Malo est un pas significatif et intéressant de l’Europe de la défense, il ne faudrait pas que les suites de cette rencontre bilatérale soient assurées exclusivement au sein de l’Union européenne. Le débat devrait aussi avoir lieu à l’Otan ou, éventuellement, à l’UEO afin que tous les alliés puissent y participer. Le conférencier a dit avoir reçu à ce sujet des plaintes d’alliés se sentant déjà marginalisés.
Sélection et hiérarchie
En conclusion, on ne pouvait exposer plus clairement le souci de recourir à une vision sélective de l’Union européenne. Washington est prêt à lui reconnaître une légitimité et une représentativité, mais dans les seuls domaines qui lui conviennent.
Ensuite, concernant la sécurité, les États-Unis se satisferaient apparemment d’une hiérarchie entre l’Otan et l’Union européenne.
18 février 1999