La Géopolitique de l’émotion
La Géopolitique de l’émotion
Ce petit livre, souvent écrit à la première personne, pourrait passer pour testament si l’on ne savait Dominique Moïsi trop jeune pour nous en livrer un. Prenons-le donc pour un rapport d’étape. Ce n’est pas une thèse que celui-ci présente, mais un regard nouveau sur la géopolitique : les émotions populaires servent ici de lunettes. Simplifiant à dessein, l’auteur en distingue trois, géographiquement situées : l’espoir est en Asie, l’humiliation dans le monde arabo-musulman, la peur en Occident.
L’Asie – ou plus précisément « la Chininde » – vivrait dans l’espérance, rêvant de rattraper l’Occident en sa réussite matérielle. « Enrichissez-vous ! » disent, après notre Guizot, les dirigeants actuels de l’empire du Milieu. Pareillement en Inde, où Gandhi est bien mort. Les musulmans ont, eux, deux bonnes raisons de se sentir humiliés : la décrépitude de leur civilisation, la réussite opposée d’Israël. « Débordant de vitalité », l’islam ne sait qu’en faire et la rue arabe applaudit les terroristes suicidaires. L’Occident enfin « ne donne plus le la ». Conscient de son déclin, de la montée des « espérants » et de la menace des humiliés, tout est bon à nourrir sa peur, concurrence, immigration, Turquie à ses portes.
L’auteur ne s’en tient certes pas à cette simplification séduisante. Il la complique de quelques « inclassables » – Russie, Israël, Afrique, Amérique latine – en un chapitre qui est peut-être le meilleur du livre. Il termine par une vue d’avenir, schématisée en deux scénarios extrêmes, l’un catastrophique, l’autre paradisiaque.
Ce petit essai, traduit de l’anglais (eh oui !) en un style alerte, est bien sympathique. Qui ne se réjouirait de lire qu’aujourd’hui « c’est être réaliste que d’être moral » ? Pourtant cela, dit et entendu, se concilie difficilement avec l’accent mis tout au long sur le fondement économique de la puissance et la renonciation aux valeurs de l’Occident (p. 33). À moins que, poussant celles-ci à leur terme, ce soit être moral que de décréter l’islam occidentalo-compatible, la Turquie bienvenue en Europe et les immigrés un peu partout. Il est vrai que, concluant son livre par sa réponse à la vieille question « que faire ? », l’auteur ménage chèvre et chou : « l’espoir viendr(a) d’abord de ceux qui ont le plus d’appétit » (p. 251)… Ce qui n’est pas trop moral, mais « une confiance renouvelée dans les valeurs et la mission de l’Occident est essentielle » (p. 252)… Ce qui l’est tout à fait. ♦