Le rêve méditerranéen
Le rêve méditerranéen
Que reste-t-il dans les représentations collectives de la Méditerranée braudelienne, devenue un personnage historique ? Même si la Méditerranée a beaucoup perdu de sa suprématie et de son aura, à l’ère de la mondialisation, elle reste un espace riche d’espoirs comme de défis communs à ses deux rives. C’est ce que vise à montrer en quelques courtes pages incisives l’un des meilleurs orientalistes français, professeur au Collège de France.
C’est que l’unité méditerranéenne est d’abord écologique. Elle est inscrite dans les paysages. L’histoire pluriséculaire des villages réservoirs et des littoraux en est la démonstration. Bien des traits communs se retrouvent dans l’espace méditerranéen, comme une culture patriarcale, et machiste de l’honneur, les regroupements en clans, la vendetta, bien qu’il s’agisse peut-être plus de survivances que de valeurs d’avenir.
Aujourd’hui d’autres réalités pèsent de tout leur poids. L’existence de migrations de masse, soit pour le travail, soit pour le loisir (tourisme et retraite) fait que les populations méditerranéennes vivent sous le mode de l’échange et de la cohabitation permanente. De ce fait la Méditerranée s’est considérablement dilatée. Il existe maintenant un second cercle méditerranéen, qui s’étend à la totalité de l’Europe du Nord, Scandinavie comprise et à la péninsule Arabique. Il faut même prendre un troisième cercle méditerranéen totalement mondialisé composé de diasporas accumulées depuis la fin du XIXe siècle. L’homme le plus riche du monde, le Mexicain Carlos Slim, n’est-il pas de la troisième génération d’émigrants libanais dont le chiffre doit friser les 300 000 au Mexique ? C’est bien cette référence géographique qui est unificatrice, car l’ethnique et la religieuse divisent. Le vieux triptyque Égypte-Orient-Grèce-Rome, comme la matrice de l’Europe méditerranéenne ou de l’Europe en son entier, peut-il résumer l’ensemble européen ?
D’où, conclut Henry Laurens, la nécessité d’inclure la totalité du patrimoine de la Méditerranée en un même ensemble, mais qui tendra à rejeter au second plan les référents religieux au risque de susciter d’irrémédiables résistances. Du dialogue euro-méditerranéen à la communauté euro-méditerranéenne, le chemin sera long, heurté, voire conflictuel, mais il est le seul assurant à tous un avenir digne de ce nom. ♦