Billet - Mes respects, mon général
L’inflation monétaire fait horreur aux économistes modernes, dont le premier souci est de la juguler. Il en est une autre, galopante celle-là et partout célébrée : l’inflation du respect. Au temps jadis, le respect était sélectif, et par définition. « Mes respects, mon général ! », l’expression routinière en est le bel exemple, encore que certains d’entre nous, rebelles à cette routine, tenaient à honneur de simplement présenter « leurs devoirs ». Bref, une hiérarchie existait, permettant de reconnaître qui était très respectable, qui l’était un peu et qui pas du tout. Voici désormais le respect exigé par chacun, quelque petit qu’il soit.
Le kiosquier refusant de vous tendre votre journal tant que vous ne lui aurez pas souhaité le bonjour illustre à merveille cette exigence nouvelle. Sans doute étonnerait-on nombre de ces sympathiques commerçants en leur faisant observer que respecter tout le monde, c’est ne respecter personne. Peut-être l’un d’entre eux, mis en demeure de se justifier et pour peu qu’il soit bon débatteur – n’a-t-on pas vu l’un d’eux couronné du prix Goncourt ? – appellera-t-il à la rescousse Francis Fukuyama lequel, bon disciple de Hegel, a placé le « désir de reconnaissance » au fondement de la démocratie, tous les citoyens y étant égaux en droit. Petite raison, opposera-t-on à ce premier kiosquier : désirer être reconnu ne prouve pas qu’on mérite de l’être. Un kiosquier spiritualiste – il doit en exister aussi plus d’un, cernés qu’ils sont en leurs cahutes par les œuvres de l’esprit – aura de meilleurs arguments. La dignité de chacun, dira-t-il, et donc le respect qu’on lui doit, résultent de sa qualité d’homme, voulue par Dieu et créée par Lui à Son image. Voilà notre kiosquier chrétien ! Il lui faudra du courage pour le reconnaître. Alors nous lui présenterons, humblement, nos respects. ♦