Asie - Succès et déboires pour Kim Dae-Jung (Corée du Sud)
Après son élection, le 18 décembre 1997, et sa prise de fonctions le 25 février 1998, le président Kim Dae-jung a dû gouverner avec une fragile majorité à l’Assemblée nationale (Chambre unique), obtenue par une alliance contre-nature avec l’Union libérale démocrate (ULD), parti conservateur dirigé par le général Kim Jong-pil, ancien chef des services secrets, lesquels avaient enlevé Kim Dae-jung au Japon en 1973. L’incroyable redressement de l’économie en 1999, avec le taux de croissance le plus élevé d’Asie, pouvait lui faire espérer que son Parti démocratique du millénaire (PDM) remportât les élections législatives du 13 avril 2000 contre le Grand parti national (GPN). L’annonce, trois jours avant le scrutin, de la prochaine rencontre historique avec son homologue nord-coréen aurait dû être un facteur décisif dans le choix des électeurs. Cependant, ceux-ci en ont décidé autrement et Kim Dae-jung se retrouve, au Parlement, dans une situation presque identique.
Après une année 1998 désastreuse, la Corée du Sud a connu l’an dernier un redressement salué par le monde entier. La croissance a atteint 10,2 %, et même 13,5 % pour le dernier trimestre, contre une contraction de 6 % en 1998. La consommation des ménages a augmenté de 13 % et les salaires devraient croître de 5 % cette année. Le commerce extérieur a eu d’excellents résultats. Les exportations ont représenté 150 milliards de dollars et les importations, indicateur de la reprise, ont connu une hausse de 27 %. D’une valeur de 76,7 milliards de dollars, le montant des réserves en devises est le double de celui de la France. Les investissements étrangers sont passés de 8,9 milliards de dollars en 1998 à 15,5 milliards en 1999.
Si Kim Dae-jung, qui a pris le pouvoir au plus fort de la crise asiatique, peut être crédité de ces spectaculaires résultats, ceux-ci n’ont pas, pour l’instant, profité à l’électorat de gauche qui l’avait porté à la présidence. La crise économique ne lui a pas permis de prendre les mesures sociales promises et il a dû composer avec son Premier ministre et son parti conservateur. Les réformes structurelles ont eu des conséquences pour l’emploi et les inégalités sociales se sont accentuées. La puissante Confédération des syndicats coréens, qui avait mis tout son poids dans la bataille pour le porter à la présidence, s’est sentie abandonnée et trahie, au point de susciter la création d’une nouvelle formation, le Parti démocratique des travailleurs. Le style volontiers autoritaire de celui dont le passé de dissident et de prisonnier politique permettait l’espoir d’une vie politique plus démocratique a également participé au désenchantement général qui a conduit à une forte baisse de la popularité du président. L’annonce du sommet intercoréen du 12 au 14 juin prochain a fait l’effet d’une bombe. Cependant, le fait de révéler cet accord trois jours avant les élections a été interprété comme une manœuvre politicienne, violemment condamnée par l’opposition, et accueillie avec scepticisme par la population.
Dans ces conditions, l’espoir de Kim Dae-jung de voir son parti obtenir la majorité absolue à l’Assemblée nationale était bien mince. Le calcul des gains et des pertes de chaque parti est difficile à faire avec précision dans la mesure où, pour ces élections, le nombre de députés a été réduit de 299 à 273. Dans l’Assemblée nationale, désignée le 11 avril 1996, le Parti national coréen (PNC) du président sortant, Kim Young-sam, avait obtenu 121 députés. Après l’échec de son candidat, Lee Hoi-chang, à l’élection présidentielle, il avait servi de noyau au Grand parti national (GPN), rassemblant l’opposition avec le ralliement de 18 autres députés, soit un total de 139. Le Nouveau congrès, héritier du Congrès national pour une nouvelle politique, fondé en 1995 par Kim Dae-jung, avait gagné 78 sièges (+ 27). Il a ensuite été rejoint par quelques transfuges du PNC après la victoire de Kim, pour atteindre un total de 84 députés en avril 1998, et 98 en mars 2000. Après que le général Kim Jong-pil, candidat à la présidence, s’est désisté au profit de Kim Dae-jung en échange du poste de Premier ministre, ses 50 députés de l’Union libérale démocrate sont venus en soutien du nouveau chef d’État. Dans la nouvelle Assemblée nationale, désignée le 13 avril 2000, en tenant compte de la réduction du nombre de députés, le GPN a très légèrement progressé, obtenant 133 sièges, restant le premier parti du Parlement. Si le Nouveau congrès, rebaptisé Parti démocratique du millénaire, a bien progressé, gagnant 17 sièges, soit un total de 115 députés, il a échoué dans son ambition d’apporter une majorité absolue au président, restant même le deuxième parti de la Chambre. Pour obtenir les 137 députés nécessaires pour former une majorité parlementaire, Kim Dae-jung va devoir s’appuyer à nouveau sur l’ULD, mais celle-ci a été la grande victime des dernières élections, perdant 33 sièges sur les 50 dont elle disposait dans l’ancienne magistrature. Le total des deux alliés leur fait manquer la majorité parlementaire d’une voix. Pour l’obtenir, le président doit rallier une partie des huit députés indépendants ou appartenant à des petites formations. Cette situation va durer jusqu’à la prochaine élection présidentielle, en 2003.
De même que les Japonais, les Coréens sont fatigués de la classe politique, comme l’a montré le fort taux d’abstention (42,8 %). Des organisations civiques, au nombre de 470, se sont regroupées dans une « Alliance des citoyens pour les élections 2000 », qui a publié une liste de 86 candidats ayant eu des problèmes avec la justice pour des crimes divers, comme la corruption, ou pour fraude fiscale, soit 15 % des candidats. La liste de ces personnalités a été largement diffusée, notamment sur l’Internet. Finalement, 58 d’entre elles n’ont pas été élues ou n’ont pas retrouvé leur siège. Il s’est agi principalement de vieux routiers de la politique, battus au profit de jeunes candidats.
L’obstination de Kim Dae-jung n’est pas la seule cause de la décrispation avec le Nord, mais y a largement contribué. Il a refusé de modifier sa politique de la main tendue malgré les nombreuses crises avec le Nord après son élection : capture d’un sous-marin de poche dans les eaux territoriales le 23 juin 1998, lancement d’un nouveau type de missile qui survole le Japon le 31 août 1998, envoi par le fond d’un sous-marin espion nordiste le 7 décembre 1998, incidents navals entre garde-côtes sur la ligne de partage maritime en juin 1999… Sa constance a convaincu les communistes qu’il était sincère en affirmant ne pas vouloir l’effondrement de leur régime, mais seulement un apaisement des tensions dans la péninsule. À partir de là, des messages d’ouverture ont pu être adressés, comme, par exemple, l’acceptation de suspendre les essais de missiles à longue portée, et l’autorisation donnée aux Américains de visiter un site suspecté de devenir un nouveau centre nucléaire.
La communauté internationale a immédiatement encouragé ce comportement. Le 14 décembre 1999, le Japon a levé toutes les sanctions prises après l’incident du 31 août 1998, et repris les négociations pour la normalisation des relations entre les deux pays. En janvier 2000, l’Italie a été le premier État du G 7 à établir des relations diplomatiques avec Pyongyang. Les Philippines ont annoncé que des relations diplomatiques devraient être établies avec la Corée du Nord en juillet prochain. D’autres pays pourraient rapidement suivre. Après une première mission diplomatique nord-coréenne au Canada, des tractations sont en cours avec la Grande-Bretagne et l’Allemagne.
Les négociations avec le Japon butent sur l’exigence de Pyongyang d’obtenir une indemnisation pour la période d’occupation (1910-1945), tandis que Tokyo veut connaître le sort d’une dizaine de Japonais qui auraient été enlevés et emmenés en Corée du Nord. Les discussions avec les Américains ont marqué des progrès substantiels, au point qu’une première mission diplomatique nord-coréenne devait se rendre à Washington. Le gouvernement américain aurait dû, à l’issue de cette visite, retirer la Corée du Nord de sa liste des États terroristes. Le voyage a été remis car Pyongyang exige cette mesure en préalable.
Les Sud-Coréens restent très prudents quant aux résultats à attendre du sommet de Pyongyang. Même si cela ne s’est jamais produit entre les deux chefs d’État, ce n’est pas la première rencontre de haut niveau entre les deux pays : les Premiers ministres s’étaient vus le 6 septembre 1990. Dans le but de résoudre la crise du nucléaire, en 1994, un sommet entre Kim Il-sung et Kim Young-sam avait été planifié. La mort subite du vieux dictateur nordiste, en juillet 1994, avait annulé le projet, alors que les négociations avec les Américains avaient abouti, à l’automne, à la suspension du programme nucléaire nord-coréen et à la création du KEDO (Korean Peninsula Economic Development Organization) pour, en échange, la construction de deux réacteurs nucléaires à eau légère. Ce que ne connaît pas la population sudiste, c’est à quoi s’est engagé Kim Dae-jung pour convaincre les Nordistes d’accepter la tenue de ce sommet : alors que l’économie est en voie de redressement, au prix de nombreux sacrifices, elle n’est pas prête à en faire d’autres pour sauver la dictature stalinienne de Pyongyang. Par contre, la réunion des familles séparées depuis 1953 serait une grande victoire pour Kim Dae-jung, dont on dit qu’il rêve du Prix Nobel de la paix.
26 avril 2000