Nous avons pacifié Tazalt
C’est un livre qu’il faut lire.
Bien que la France n’ait pas cessé d’être en guerre depuis 1939, le nombre des ouvrages publiés par les combattants est relativement rare. Il ne manque certes pas de livres traitant des questions actuelles sous l’angle général des idées et des principes. Les auteurs se sentent plus facilement au niveau des plus hautes instances qu’à celui des échelons de la modeste exécution. Aussi est-il nécessaire et salutaire que des témoignages venant de ces échelons viennent compléter les théories et les systèmes, en faisant le récit de la vie quotidienne et des conditions dans lesquelles se trouvent placés ceux qui sont au contact immédiat des réalités.
Jean-Yves Alquier, officier de réserve rappelé dans une unité de parachutistes, publie son journal de marche entre le 15 octobre 1956 et le 15 juin 1957. Huit mois racontés au jour le jour, dans un style net et simple, dépouillé de toute surcharge. On n’y trouvera aucune considération d’ordre philosophique, aucune référence à des doctrines complexes ; mais on y verra comment un tout jeune officier de vingt-six ans, aux prises avec le problème de la pacification sous sa forme la plus concrète, agit pour remplir la mission qui lui a été donnée : ramener la confiance des populations d’un sous-quartier.
Emploie-t-il, à cette fin, une méthode ? Il serait difficile de la définir en quelques mots, car elle est faite essentiellement d’un sentiment profond d’humanité et de procédés multiples, adaptés à chaque cas particulier. Ce qui domine, c’est cette conception saine et virile des relations humaines, cette pitié objective pour de pauvres gens terrifiés par la lutte entre les fellaghas et l’armée française, cette compréhension de leurs angoisses et de leurs attitudes. Il n’est pas étonnant qu’ainsi guidé par des sentiments élevés, mais en même temps éclairé par une juste appréciation des réactions de paysans apeurés, l’auteur ait obtenu des résultats et puisse écrire, dans son titre, qu’il « a pacifié Tazalt ».
Il serait vain de reprendre ici le détail des faits, de même que de tenter de les résumer. Il faut lire tout l’ouvrage pour comprendre comment, d’une situation « pourrie », l’activité de l’auteur, de ses camarades, des hommes de son escadron, des Français musulmans qui, de plus en plus nombreux, sont venus se joindre à eux, a fait une situation favorable. On comprendra alors quelle est la vie des campagnes dans les djebels d’Algérie, quelle est la constante terreur dans laquelle vivent les habitants, comment les familles sont divisées, comment se fait pesante et contraignante l’inlassable action des rebelles, dont l’argument principal est l’assassinat.
Si l’auteur s’est gardé de généraliser et de donner ses propres vues sur le problème d’ensemble, le lecteur, lui, trouvera matière à réflexion sur toutes les questions si passionnément discutées actuellement ; matière à réflexion à partir de la base, de l’exécution, du contact, c’est-à-dire d’un niveau où les faits et la mission commandent, beaucoup plus que toutes les théories.
Ne pas lire ce livre, ce serait se priver d’un témoignage capital sur les événements d’Algérie. ♦