Mahomet, le glaive, l’amour, la foi (570-632)
Philippe est un prénom de plume : Aziz est né musulman en Tunisie. Musulman d’origine, écrivain et journaliste au Point, auteur d’un livre à succès sur l’actualité de l’islam en France (Le Paradoxe de Roubaix, Plon, 1996), voilà qui justifie que l’on porte attention à la biographie du Prophète, qu’après tant d’autres, il nous propose. Son parti pris est affiché en introduction : restituer à notre usage le Mouhammad des auteurs musulmans, dont les principaux sont Tabâri et ses Chroniques, Waqidi et ses Campagnes, Ibn Ishaq et sa Sîra. Leurs écrits, que les rationalistes critiquent, sont pour Philippe Aziz documents historiques : reflets de la mentalité des premiers croyants, ils nourrissent la foi de leurs successeurs. Au demeurant, les chroniqueurs dont il cite de larges extraits ne sont point des hagiographes primaires ; leur sens critique et leur humour seront, pour nombre de lecteurs, une rafraîchissante découverte (1).
La liberté de ton de ces « traditionnistes » est canoniquement fondée. Mahomet se déclare homme ordinaire. Être le porte-voix de Dieu, si l’on ose dire, ne lui monte pas à la tête. Il vit dans son temps, son pays, et en pratique les mœurs : grand amateur de femmes, commerçant avisé, bon combattant assumant les ruses et les cruautés de la guerre, fin politique. On ne manquera pas pour autant de distinguer — distinction classique — la révélation reçue à La Mecque dans la souffrance, tout empreinte de spiritualité et de compassion pour les malheureux, et celle de Médine, où le chef de la communauté naissante exerce, dirions-nous aujourd’hui, le pouvoir.
Et le pouvoir est rude ! Quelques batailles célèbres opposent les musulmans aux polythéistes de La Mecque et la première, Badr, est consacrée comme « la mère des batailles », référence que Saddam Hussein a largement utilisée durant la guerre du Golfe. Trois autres empoignades seront nécessaires pour venir à bout des juifs de Médine, accusés d’avoir rompu le pacte originel et durement châtiés : l’affreux massacre des hommes des Banou Qoraïza n’est pas accepté sans gêne par les commentateurs musulmans. Un ultime combat opposa les croyants aux juifs de Khaïbar. Sa conclusion est instructive : ces juifs-là furent moins mal traités que les autres, et seulement soumis à taxation ; le Prophète s’était aperçu que l’éviction des juifs de Médine avait été catastrophique pour la prospérité de la ville, qu’il importait de restaurer par les contributions des vaincus de Khaïbar. Le triomphe est au bout de la lutte : Mahomet entre sans coup férir à La Mecque en janvier 630 et y accomplit, deux ans plus tard, le pèlerinage dit de l’Adieu.
Le dernier chapitre du livre s’intitule « Victoire sur la mort » (2). Victoire ambiguë, en effet : dans les heures qui suivent la mort du Prophète, les musulmans se déchirent pour sa succession. Pendant que les disputeurs disputent, la dépouille de l’Envoyé attend, dans une incroyable indifférence, qu’on lui rende les derniers devoirs. Cent ans après, l’islam étend son empire de l’Indus à l’Atlantique. ♦
(1) À qui souhaite une critique plus laïciste des mêmes sources, on recommandera l’inévitable Mahomet de Maxime Rodinson ; Seuil/Points, 1961.
(2) Coïncidence ? C’est également le titre du dernier chapitre du Mahomet de Rodinson.