Afrique - Évolutions de la politique de défense en république d'Afrique du Sud
Cette année encore, le gouvernement sud-africain vient de présenter un budget de rigueur pour l’année 1998-1999, dans lequel les dépenses sociales et d’éducation occupent une place majeure. Cependant, et c’est là un tournant notable dans la nouvelle politique sud-africaine, pour la première fois depuis huit ans le budget de la défense ne subit pas de baisse, alors que celui de la sécurité intérieure et de la police continue de croître. Cette décision budgétaire intervient dans une situation complexe, mais importante, de l’évolution de la politique de défense de l’Afrique du Sud. Le premier élément concerne la restructuration en profondeur des South African National Defence Forces (SANDF), d’abord pour faire modifier rapidement la représentativité des Noirs, ensuite pour réduire massivement les effectifs et développer un programme de modernisation. Or actuellement, il apparaît que ces objectifs se révèlent fort difficiles à réaliser. Début février 1998, le ministre de la Défense Joe Modise constatait et regrettait la lenteur des efforts de changement dans l’armée depuis la fin de l’apartheid. Il expliquait qu’actuellement 22,5 % des officiers sont noirs, et situait l’importance politique que le gouvernement attachait à ce problème : « Tant que les SANDF ne seront pas totalement représentatives, notre peuple ne les acceptera pas ! ».
Depuis la fusion, décidée en 1994 entre les anciennes forces armées, les éléments armés de l’ANC (Congrès national africain) et ceux des anciens bantoustans, de nombreux projets de restructuration et de réduction des effectifs ont été étudiés, avec l’aide d’experts étrangers, et avec l’espoir d’obtenir des aides financières des organismes financiers internationaux. Là encore, les résultats ont été peu probants. En février dernier, le gouvernement a annoncé qu’au cours de l’année 1998, un programme devait absolument être lancé pour réduire d’environ 25 000 hommes les effectifs actuels qui, selon la Military Balance de l’International Institute for Strategic Studies de Londres s’élèvent à 79 440 hommes, dont 54 300 pour l’armée de terre, 11 140 pour l’armée de l’air et 8 000 pour la marine. L’IISS précise que, depuis la fusion de 1994, 28 000 hommes devaient être intégrés dans les nouvelles forces armées, mais qu’à ce jour 19 000 seulement l’ont officiellement été, dont 3 000 ont démissionné. Ce nouveau programme de réduction des effectifs lancé en février 1998 sera réalisé en plusieurs années sous forme de départs volontaires, de transferts, de non-renouvellements de contrats et de suppressions de postes, avec le souci, assure-t-on à Pretoria, de respecter scrupuleusement le droit du travail.
Un des arguments avancés pour justifier cette réduction des effectifs est lié, dans les déclarations gouvernementales, aux choix effectués de pratiquer dans la région une politique de non-agression, et de rester réservé vis-à-vis des nombreuses sollicitations internationales pour que l’Afrique du Sud participe activement à des opérations militaires de maintien de la paix dans le continent. Il apparaît clairement en tout cas que les autorités sud-africaines prennent la mesure, dans le domaine diplomatique, des difficultés considérables qu’exige le travail de gestion des crises et des conflits et de leur règlement politique, ce qui les conduit à tenir un discours très critique envers les efforts déployés par les grandes puissances, les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne, pour impliquer davantage les pays africains dans le maintien de la paix.
Dotée d’une industrie d’armement importante et performante, constituée pendant les années d’apartheid pour lutter contre les embargos internationaux, l’Afrique du Sud, dirigée par Nelson Mandela, a malgré tout poursuivi sa politique d’exportation d’armements, avec d’autant plus de facilités d’ailleurs, qu’étant devenu un pays modèle en Afrique, elle pouvait désormais le faire ouvertement et sans contraintes ou pressions politiques. Ainsi, le vice-président sud-africain Thabo Mbeki révélait récemment que, depuis 1994, l’Afrique du Sud avait exporté des matériels militaires dans pas moins de 90 pays : parmi les plus gros clients, l’Inde (128 millions de dollars), Oman (77,8 millions de dollars), les Émirats arabes unis (68 millions de dollars), la Colombie (37 millions de dollars), la Suisse (30,5 millions de dollars).
À l’inverse, Pretoria n’a pas, au cours de ces dernières années, pratiqué une politique d’achat d’armements importante, malgré la levée de la plupart des embargos qui frappaient le pays durant la période de l’apartheid. Elle a néanmoins très récemment décidé de programmer un plan de modernisation de ses équipements, qui a été présenté au Parlement et approuvé au mois d’août 1997. Ce plan concerne l’achat d’avions de combat, d’hélicoptères, de corvettes, de sous-marins et de blindés destinés à remplacer ou à renforcer l’arsenal existant, âgé de plusieurs dizaines d’années. Au total, les marchés approuvés seront réalisés dans les dix prochaines années et représenteront plusieurs centaines de millions de dollars de contrats. Depuis l’annonce de ces projets, il a été révélé que neuf pays fournisseurs avaient fait des propositions aux Sud-Africains : la France, l’Allemagne, le Brésil, le Canada, l’Espagne, la Grande-Bretagne, l’Italie, la Russie et la Suède. Les négociations en cours, dans un climat de forte concurrence qui caractérise le marché international des armements, devraient aboutir, selon les autorités sud-africaines, avant la fin de l’année 1998.
Au cours du voyage qu’il a effectué fin mars 1998 en Afrique du Sud, le président américain Bill Clinton a déclaré que « l’Amérique voulait et avait besoin d’une Afrique du Sud forte ». Il a clairement confirmé que, dans la relance de sa politique africaine, il estimait que l’Afrique du Sud devait en être l’un des points d’appui majeurs. Dans les semaines qui ont précédé ce voyage, Washington avait officiellement annoncé la levée de l’embargo sur les livraisons d’armes à l’Afrique du Sud, après de longues et difficiles négociations liées aux exportations sud-africaines d’armes dans un certain nombre de pays inscrits sur les « listes rouges » du gouvernement américain. De fait, il est apparu au cours du voyage de Clinton que de forts désaccords persistaient entre les États-Unis et l’Afrique du Sud, en particulier sur la question des relations entre Pretoria, Cuba, l’Iran et la Libye. Les critiques sud-africaines exprimées ouvertement par Nelson Mandela et Thabo Mbeki ont porté sur le comportement agressif des États-Unis dans la crise irakienne et sur les évolutions annoncées de la politique américaine d’aide au développement dans un sens ultralibéral. Tout cela peut laisser penser que les Sud-Africains ne choisiront sans doute pas les États-Unis comme partenaire militaire privilégié dans l’avenir ; mais que, de leur côté, après la levée récente de leur embargo, ceux-ci ne s’opposeront pas à la vente à l’Afrique du Sud d’armements européens ou autres (notamment d’avions de combat suédois) comprenant des composants de fabrication américaine.
Ces évolutions importantes de la défense sud-africaine restent cependant incertaines du fait du climat très mauvais qui règne dans les forces armées. Des experts britanniques, en mission de coopération dans le pays, ont dénoncé récemment la politique d’obstruction conduite par les cadres blancs contre l’intégration des forces de l’ANC. Plus grave, l’affaire révélée en mars 1998 concernant un rapport considéré comme mensonger des services de renseignements militaires affirmant l’existence d’un complot d’anciens de l’ANC contre le gouvernement et qui a provoqué la création d’une commission d’enquête sur les activités subversives au sein de l’armée, a donné la mesure du grand malaise qui règne en Afrique du Sud sur la question militaire. ♦