Diplomatique
On ne peut observer sans inquiétude la lenteur avec laquelle se poursuivent, à Moscou, des négociations dont nous avions espéré qu’elles aboutiraient rapidement à un résultat satisfaisant. Ce qui nous préoccupe, c’est moins encore la différence des points de vue, très explicable et relativement facile à éliminer par un compromis, que l’état d’esprit des dirigeants russes, tel que les révèlent les déclarations officielles et les commentaires de la presse officieuse. Aux explications loyales et conciliantes apportées le 24 mai à la Chambre des Communes par M. Neville Chamberlain, M. Molotov a répondu le 30 du même mois par un discours que ni Londres ni Paris ne pouvaient trouver particulièrement encourageant. Le commissaire du peuple aux Affaires étrangères y critiquait vivement l’erreur commise à Munich par les démocraties d’Occident : en quoi l’on ne saurait lui donner tort. Mais il adressait à la politique actuelle de ces mêmes puissances certains reproches amers qu’elle ne mérite point. Où M. Molotov voit-il que la Grande-Bretagne et la France jouent double jeu et invitent l’Union des Soviets à trier pour elles les marrons du feu ? Londres et Paris n’ont qu’un but : arrêter les progrès d’une politique d’expansion et d’agression qui menace la Russie aussi directement que les États de l’Europe occidentale.
L’exigence de Moscou touchant la garantie des pays baltes nous semble tout à fait justifiée. Les objections et les réserves que ces pays opposent à l’offre d’une garantie soviétique ne le sont pas moins. Une formule a été trouvée, qui satisfait aux désirs de l’Union tout en donnant aux pays baltes les apaisements nécessaires ; un haut fonctionnaire britannique, bon connaisseur des choses russes, M. Strang, est allé la porter à Moscou. Depuis le 14 juin, date de son arrivée dans la capitale soviétique, jusqu’à l’heure où nous écrivons, la négociation n’a fait aucun progrès ; et du côté russe, on lui donne une publicité qui n’est pas de nature à en favoriser le succès. Cependant M. Hitler menace Dantzig, provoque la Pologne, concentre des troupes aux frontières de la Slovaquie et accompagne de discours belliqueux ces gestes inquiétants. Les hésitations de ceux qui devraient s’entendre et unir leurs forces pour maintenir la paix en Europe stimulent son audace et encouragent ses entreprises. Les journaux d’Allemagne et ceux d’Italie dénoncent chaque jour à l’opinion du monde entier la perfidie des « encercleurs » et leur impuissance. Le seul moyen de leur imposer silence, c’est d’aboutir sans délai à la conclusion d’un accord. Les sentiments de défiance qui, de part et d’autre, y font encore obstacles, ne sont plus de saison, devant l’imminence du danger commun. À Ankara, les fautes commises entre 1921 et 1936 ont pesé lourdement sur notre politique ; elles ont gêné l’action de nos négociateurs, qui se sont efforcés de concilier les obligations que nous imposait notre situation en Syrie avec les exigences du gouvernement turc. On peut assurément regretter les termes de l’accord que Franklin-Bouillon signa le 20 octobre 1921 avec Moustapha Kemal pacha ; on a peine à concevoir par quelle négligence nous avons omis de traiter avec Ankara la question d’Alexandrette avant de conclure avec la Syrie le traité du 9 septembre 1936 : le règlement de ce problème délicat eût été alors beaucoup plus facile qu’aujourd’hui. Mais ce qui est fait est fait ; on a liquidé le passé à des conditions honorables. Ici encore il a fallu agir vite : la situation générale exigeait que l’accord anglo-turc fût complété au plus tôt par un accord franco-turc.
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