Militaire - Premier mois de guerre [septembre 1939]
Le problème posé à nos armées au début des hostilités n’était simple que par son énoncé : « Agir le plus tôt possible sur les forces allemandes afin de soulager la Pologne ».
Cette action qui demandait à la fois puissance et vitesse se heurtait à beaucoup de difficultés.
Le 2 septembre, en effet, l’armée allemande mobilisée était prête à entrer en Pologne ; elle a bien prouvé depuis l’état de sa préparation. L’armée française ne disposait, au contraire, que de ses unités de couverture et devait attendre de longs jours encore la mise sur pied et la concentration de ses Grandes Unités. Qu’on veuille bien se souvenir que les premiers combats de 1914 furent livrés vingt jours seulement après la mobilisation.
La recherche de la puissance et celle de la vitesse s’avéraient donc contradictoires ; il fallut, au début, sacrifier la première à la seconde et se contenter des quelques unités déjà prêtes et à pied d’œuvre.
Leur point d’application, en revanche, était imposé par le tracé même de notre frontière avec l’Allemagne, les traditions de simple honnêteté de notre pays ne lui permettant pas – faut-il le préciser ? – d’envisager la violation des territoires neutres voisins. Or, cette frontière qui s’étend sur 300 kilomètres, se divise en deux parties égales : le Rhin, de Lauterbourg à Bâle, et la région comprise entre Moselle et Rhin.
Le petit nombre de nos moyens alors disponibles excluait la possibilité de tenter le franchissement du Rhin ; l’attention se fixait, par conséquent, sur la frontière de Rhénanie, défendue cependant par la ligne Siegfried et barrée sur 30 kilomètres de longueur par le massif boisé de la Hardt, peu propice à l’engagement de jeunes troupes.
C’est donc entre la frontière du Luxembourg et les Vosges, sur un front de 100 kilomètres, que la France allait affronter l’Allemagne afin d’attirer sur elle, au profit de la Pologne, le plus grand nombre possible de Grandes Unités ennemies.
Ce dessein généreux, conforme d’ailleurs à nos obligations, posait, dans son exécution, de délicats problèmes. Il conduisait, en effet, débouchant de notre ligne fortifiée, à franchir l’espace compris entre les lignes fortifiées françaises et allemandes, profond de 25 kilomètres environ, préparé défensivement et battu par l’artillerie adverse.
* * *
Les opérations du mois de septembre, visant à l’investissement de la ligne Siegfried sur le front défini plus haut, se déroulèrent à partir du 4 septembre 1939.
Du 4 au 9, les unités débouchaient de la ligne Maginot et se portaient sur la frontière. Le 9 au matin, elles pénétraient en territoire allemand au sud de Sarrebruck et au sud de Deux-Ponts. Nos unités faisant successivement effort par la gauche, puis par la droite, s’assuraient la possession d’observatoires donnant des vues sur la ligne Siegfried et s’y maintenaient malgré les réactions de l’ennemi.
Sur la gauche, près du Luxembourg, elles réussissaient, enfin, dans la deuxième quinzaine de septembre, à occuper des mouvements de terrain importants dominant la Sarre et garantissant notre appui à la frontière luxembourgeoise.
Au cours de cette conquête progressive d’une base de départ sous ses observatoires et sous le canon de la ligne Siegfried, nos troupes durent refouler pied à pied un adversaire opiniâtre sans doute, mais pratiquant une tactique rusée et sournoise, beaucoup plus inspirée par une attitude politique que par les lois habituellement implacables du combat.
L’originalité de cette conduite en présence de l’ennemi vaut d’être notée et brièvement commentée.
Elle découle d’une idée directrice fidèlement suivie et qui se résume ainsi : éviter tout accrochage sérieux avec l’armée française pendant la campagne de Pologne et même jusqu’à nouvel ordre.
L’Allemagne n’a-t-elle pas tout intérêt à faire l’économie d’une guerre ruineuse, longue et incertaine avec les puissances occidentales et à récolter en paix les fruits de ses conquêtes ? Sans doute, le Reich est-il en état de guerre déclarée avec la France et l’Angleterre, mais qu’importe ! Notre époque s’accommode des situations mal définies, des frontières douteuses, des états incertains, mi-paix, mi-guerre. D’où les directives données aux troupes allemandes sur le front ouest et effectivement observées par elles : freiner l’assaillant sans le provoquer, ne pas passionner la guerre, rendre seulement coup pour coup, pas d’incursions profondes chez l’ennemi ni sur terre ni dans les airs, se montrer beau joueur, chevaleresque à l’occasion, le tout aux moindres frais, en un mot, réserver à tout moment l’avenir, tout en décourageant l’adversaire.
Dans l’exécution, ces consignes se sont traduites par le jeu de procédés variés qui ont contribué à donner aux opérations de ce premier mois un caractère si particulier, vulgairement traduit par l’expression devenue courante « Drôle de guerre » !
C’est ainsi qu’à la progression de nos éléments en territoire allemand, l’adversaire opposa :
– des tracts et des pancartes pacifistes placées bien en vue de nos soldats, des tentatives de fraternisation, des attentions voyantes prodiguées à nos prisonniers et diffusées par tous moyens… ;
– des obstacles innombrables et meurtriers, mines et pièges de petit volume dissimulés sous les pavés des rues, sur les bas-côtés des routes, dans les haies, à proximité des passages des ruisseaux, dans les fils de fer, dans les maisons, etc. ;
– des embuscades, des coups de main venant rompre la continuité de l’action retardatrice menée par les éléments chargés de retarder, de jalonner notre avance et d’identifier nos unités.
Quoi qu’il en soit et malgré les traquenards, écartés par la froide et tenace résolution des nôtres, les résultats du premier mois de guerre sont des plus substantiels.
L’armée française s’est mobilisée dans un ordre parfait, la concentration s’est effectuée sans le moindre incident. Nous avons, dès le début, obligé l’ennemi à diriger sur notre front un nombre important de ses divisions.
L’armée française est prête, à pied d’œuvre, résolue et confiante : les événements du mois d’octobre feront l’objet d’une chronique dans le prochain numéro. ♦