Diplomatique - Autour du problème allemand - Interviews et discours où s'affirment les positions des grandes puissances - L'antagonisme américano-soviétique - Les traités de paix
Bien que les questions relatives à l’Allemagne ne fussent pas inscrites à l’ordre du jour de la Conférence de Paris, on peut bien dire qu’entre le début de septembre et la mi-octobre 1946 elles ont tenu le premier rang dans les propos des hommes d’État comme dans les préoccupations du public, telles que les traduit la presse mondiale. Non pas que l’on méconnût l’importance des problèmes discutés au palais du Luxembourg, mais l’intérêt qu’ils présentent s’est trouvé sensiblement réduit par les lenteurs et les obscurités d’une procédure qui déconcertait les esprits les plus attentifs. Dès que le discours de M. Byrnes à Stuttgart eut soulevé la question allemande, et subsidiairement celle des relations entre les États-Unis et les Soviets, tout le reste est passé au second plan. C’est qu’il s’agit ici proprement de savoir si et à quelles conditions les risques d’une nouvelle guerre mondiale peuvent être écartés et les fondements d’une paix durable solidement établis. Or, pour les peuples à peine sortis de la terrible épreuve, vainqueurs ou vaincus, tous les problèmes se résument en celui-là.
Dans une précédente chronique, nous avons examiné et brièvement discuté les déclarations faites le 6 septembre à Stuttgart par le secrétaire d’État américain. Une semaine ne s’était pas écoulée qu’un collègue de M. Byrnes, le ministre du Commerce, M. Henry Wallace, prenait ouvertement position contre la politique définie dans le discours de Stuttgart. En termes mesurés, mais très nets, M. Byrnes avait reproché au gouvernement de Moscou de poursuivre en Allemagne, et généralement en Europe orientale une politique unilatérale ; il avait contesté le caractère définitif des frontières allemandes de l’Est ; à l’effort « séparatiste » des Russes, tendant à attirer une partie de l’Allemagne – celle qu’ils occupent – dans l’orbite soviétique, il opposait un plan fédéraliste, qui respecterait l’unité politique et économique de l’État allemand. Enfin, le secrétaire d’État américain avait, pour ainsi dire, mis les points sur les i en prononçant cette phrase très remarquée : « Il n’est de l’intérêt, ni du peuple allemand, ni de la paix mondiale, que dans le cas d’un conflit entre l’Est et l’Ouest, l’Allemagne devienne un pion sur l’échiquier international ou se range aux côtés de l’un des deux adversaires. »
Et voilà que, huit jours après, M. Wallace proclame que les États-Unis n’ont vraiment rien à voir en Europe centrale et orientale, qu’au lieu d’agiter le spectre d’une guerre inévitable entre Américains et Russes, on ferait mieux de reconnaître à l’Union soviétique une zone d’influence où elle pût agir conformément à ses intérêts ; qu’enfin le but essentiel de la politique américaine devait être une entente largement compréhensive avec la Russie. Laissons de côté, pour le moment, les vives attaques dirigées par M. Wallace contre la Grande-Bretagne, qu’il accuse d’impérialisme et à qui il reproche d’entraîner les États-Unis dans une action anti-soviétique menant tout droit à la guerre. L’opposition entre la thèse du ministre du Commerce et celle du secrétaire d’État parut d’autant plus déconcertante que le président Truman, en se déclarant d’accord avec le premier, avait bien l’air de désavouer le second. Le malaise ressenti par la délégation américaine à la Conférence de Paris ne put être dissimulé, et le sénateur Vandenberg le traduisit dans cette formule frappante : « Nous ne pouvons collaborer qu’avec un seul secrétaire d’État à la fois. » M. Truman mit fin à cette confusion en revenant sur sa première déclaration et en demandant à M. Wallace de quitter le cabinet (20 septembre 1946). Mais il s’en faut de beaucoup que la démission du ministre ait entièrement dissipé l’émotion produite par ses déclarations. « S’il est vrai – écrit le New York Times – que les États-Unis n’ont rien à voir en Europe orientale, qu’avions-nous à voir lorsque Hitler envahit la Pologne ? Que faisions-nous lors de l’invasion de la Yougoslavie et de la Grèce et lors de l’occupation des Balkans ? Pourquoi avons-nous offert à ces pays, comme le fit le président Roosevelt, l’aide du prêt-bail, et cela avant Pearl Harbour ? » Vivement critiquée dans les milieux républicains, la thèse de M. Wallace n’a pas été approuvée unanimement par les démocrates, qui reprochent à l’ancien ministre de prêcher l’isolationnisme et de trahir ainsi la pensée de Roosevelt, dont naguère il se réclamait. Accepter comme inévitable, presque comme désirable, la division de l’Europe en deux blocs, en deux sphères d’influence, est considéré par une grande partie de l’opinion américaine comme une erreur dangereuse.
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