Editorial
Éditorial
La perspective débattue du bouclier antimissile, de ses modalités techniques, de son efficacité et donc de son utilité défensive est, comme sa compatibilité et sa complémentarité avec la dissuasion nucléaire, un thème trop souvent réservé aux spécialistes. Elle renvoie en fait à la question de l’invulnérabilité. Comment se mettre à l’abri, hors de portée des dangers possibles ? Comment restaurer par de nouvelles couches de protection une dissuasion supposée dévaluée ? Et ajouter le bouclier au glaive.
Abordée sous l’angle technique et opérationnel, la question du bouclier antimissile n’apporte pas de vraie réponse car la cuirasse absolue n’existe pas. Traitée par la dialectique de la guerre froide, elle part d’une conjecture improbable pour ignorer la réalité des actuelles menaces trans et infra-étatiques. Comptabilisée par son coût financier, elle trouve sa réponse immédiate dans l’austérité budgétaire exigée. Voilà qui explique l’hésitation qui caractérise ce projet. Constatons aussi que la salve balistique redoutée est moins une préoccupation européenne qu’une ancienne obsession américaine que l’Otan a intégrée.
Reste les questions clés sous-jacentes, celle de la souveraineté technologique et celle du rang. Et celles-là exigent que champions français et européens fassent valoir leurs savoirs scientifiques et leurs capacités techniques dans les projets débattus au prochain Sommet de Chicago. La haute technologie comme marqueur d’excellence, ambition collective et réservoir de progrès et de croissance, c’est bien une réalité centrale qui régule la compétition mondiale et oriente les marchés d’exportation. Là est sans doute le vrai nœud stratégique de la défense antimissile plus que la menace iranienne ou nord-coréenne qui lui sert aujourd’hui de paravent. Et pour aborder la complexité d’un dossier qui divise les experts, il faut réfléchir plus avant à l’émancipation stratégique européenne, tant en matière de programme intégré de défense collective qu’en matière d’analyse des risques qu’encourent nos pays. Évitons d’enrôler une nouvelle fois les Européens dans une manœuvre qui ne les concerne pas au premier chef et qui va les éloigner un peu plus de leurs responsabilités stratégiques. Car ce n’est sans doute pas dans le domaine balistique que se trouvent les premières vulnérabilités des démocraties européennes. Et ce n’est pas le mode balistique qui porte préférentiellement les capacités offensives décisives des perturbateurs décidés, étatiques ou non.
La promotion de leurs technologies souveraines, la préservation de leur base industrielle de défense sont des exigences stratégiques pour les Européens. La protection contre les coups faciles, la sûreté de nos systèmes critiques sont des exigences pratiques d’aménagement de nos territoires. Les combiner au mieux dans une période d’investissements contraints est une responsabilité partagée par les États, les industriels de la défense et les états-majors.
Voilà un vrai thème de réflexion en cette période électorale qui offre aux équipes politiques une occasion d’évoquer leurs convictions de défense, comme dans ce numéro. ♦