Années cruciales (La course aux armements, la Campagne)
Avant d’être chef d’état-major du Haut Commandement sur le front Nord-Est, le général Roton avait fait une grande partie de sa carrière en Europe centrale. C’est donc une plume particulièrement qualifiée qui retrace, avant d’entreprendre le récit de la campagne de 1939-1940, les prodromes de la guerre. Cette évocation est d’une utilité incontestable, car elle met dans son cadre exact l’aboutissement d’une crise née aux lendemains de l’autre guerre. Renaissance de la puissance allemande, reconstitution de la Wehrmacht, Anschluss, tragédie tchécoslovaque, telles sont les étapes que l’auteur nous propose en un tableau, brossé rapidement, plein de faits et de jugements intéressants.
Il intercale dans cet exposé un aperçu de l’effort militaire français de 1918 à 1939. On y trouve, quant aux programmes et aux réalisations, des chiffres précis concernant unités et matériels, et une idée du climat de cette période.
L’ambiance ainsi créée, l’auteur entre dans le vif du sujet. Après avoir rappelé les événements des premières semaines de guerre, il revient sur l’effort militaire français postérieur à l’ouverture des hostilités. Nouvelles précisions quant aux matériels et aux travaux de fortifications. On regrette seulement de n’y rien trouver de ce qui fut fait pour la mise en condition morale de l’Armée et du pays, et l’instruction de l’Armée en vue du combat proche.
Le récit des opérations, poursuivi jusqu’à l’armistice, montre fréquemment les rapports qui existèrent entre le commandant du front Nord-Est et les commandants des Armées et des groupes d’Armées, les réactions diverses de ceux-ci. Le changement d’atmosphère qui suivit la prise de commandement par le général Weygand y apparaît nettement. On y trouve aussi quelques détails sur l’opposition qui se manifeste à diverses reprises entre le Commandement et le Gouvernement.
Cet ouvrage constitue donc une documentation de grand intérêt. Il serait désirable, pour l’histoire, que tous les acteurs de ce drame décrivissent ainsi la part qu’ils y prirent.
Malheureusement, dès la Préface, écrite par le général Georges, nous comprenons que cet ouvrage est une réponse aux deux volumes du général Gamelin. On ne peut alors s’empêcher, tout au cours de la lecture, de se demander : est-ce bien la vérité historique, n’est-ce pas seulement le point de vue du général Georges ? De nombreuses allusions aux divergences de vues de ces deux chefs, viennent souvent raviver cette impression.
Sans s’attarder à ce qu’il y a de pénible dans cette polémique, on est alors porté à rechercher si cette responsabilité, rejetée de l’un sur l’autre, ne fut pas, en réalité, bien partagée.
Or, si le général Roton expose bien les critiques que soulevaient les conceptions stratégiques du général Gamelin, l’organisation du commandement, l’insuffisance des moyens, leur mauvaise répartition, nulle part n’apparaît comment le général Georges a manifesté sa volonté de s’opposer à ce qu’il estime aujourd’hui critiquable. L’auteur cite des suggestions, des observations, des notes portées par le général Georges en marge d’un programme de Conseil de guerre, des constatations désabusées, des regrets, mais certes pas ce que l’on eût attendu. Et qui songerait à nier, après la période que nous venons de vivre, qu’à un certain échelon, accepter, c’est prendre sa part de responsabilités.