Pour en finir avec la Françamérique
Pour en finir avec la Françamérique
La Françafrique existait. Elle n’est plus, nous dit-on, ce dont il convient de se réjouir. La Françamérique existe-t-elle ? C’est ce qu’affirme Jean-Philippe Immarigeon et il faut en finir pareillement avec elle. Pour nous en persuader, notre pamphlétaire brille de tous ses feux. « Impossible, pose-t-il en introduction, d’imaginer le monde sans (l’Amérique) ». Pourtant, l’histoire, l’actualité et le sentiment nous obligent à l’envisager.
L’histoire, telle qu’on nous l’enseigne, est au rebours de la réalité : « deux siècles de mésalliance », voilà le vrai. Nous rêvons américain, les Américains nous détestent. Pour ceux-ci, Révolution française et Révolution bolchevique, c’est tout un. Société française et société américaine n’ont point la même base : la liberté est au principe de la première, l’égalité de la seconde.
L’actualité invite aussi à prononcer le divorce. La puissance américaine est morte. L’acte de décès est daté du 11 septembre 2001. Mais l’autopsie pratiquée par Immarigeon attribue le décès à de multiples causes. L’Amérique fut belle, c’est une vieille décrépite qui ne tient debout que par le souvenir qu’en gardent ses anciens soupirants, le privilège dont bénéficie le dollar, l’assurance qu’elle a de ne jamais devoir régler sa dette cependant que les Européens s’échinent à rembourser les leurs, le volume visible d’une force militaire démodée. Ces vieux restes masquent la décadence du grand pays qui s’enfonce dans la paupérisation et la sous-productivité.
Quant au sentiment, le tourisme intelligent et la filmographie (dont l’auteur est un spécialiste avisé) ouvrent nos yeux. Le quatrième chapitre en rend compte joliment : « Au pays des grands cow-boys dépressifs ». Qui s’aventure, en touriste ou en cinéphile, dans les grands espaces américains y découvre paresse, misère et mélancolie. Tocqueville mettait cette morne langueur au compte de la démocratie. Elle est le propre des Américains.
De tout cela, il serait facile de discuter. Le lecteur le fera selon son humeur. Suggéronslui quelques pistes. Identifier les révolutions française et bolchevique est pertinent : les Soviétiques se sont toujours réclamés de cette filiation. Dater du « 11 septembre » le déclin de l’Amérique, c’est faire bien de l’honneur à Ben Laden. Liberté et égalité forment un couple infernal dont les galipettes nourrissent un débat inépuisable ; prétendre que la liberté est française et l’égalité américaine, c’est un fameux retournement de l’opinion courante… et de Tocqueville en sa tombe. Notons enfin que le pamphlet pousse le pamphlétaire à des excès qui desservent son propos : ainsi du pauvre Fukuyama, « inénarrable découvreur de la Fin de l’Histoire » (attristé eût mieux convenu qu’inénarrable) ; du « mur idéologique digne des temps héroïques de la Révolution culturelle », à l’abri duquel ronronnent les américanophiles ; de la réhabilitation de DSK ; du négationnisme du 11 septembre (p. 86 et 87) et de l’abandon à la justice américaine de « notre compatriote » Moussaoui.
Laissons l’auteur à ses contradictions : « Ce n’est pas l’Amérique qui s’effondre, c’est le monde qui ne veut plus d’elle ». ♦