L’annulation probable du sommet entre les États-Unis et la Corée du Nord traduit une détérioration du dialogue diplomatique suite à une précipitation excessive des différents protagonistes face à la complexité des dossiers à traiter. Il faut laisser du temps au temps pour que les discussions puissent progresser avant une rencontre formelle qu’il ne faut pas rater.
Annulation du Sommet américano-nord-coréen du 12 juin : les ressorts d’une décision cohérente avec une ligne sécuritaire exigeante (T 1008)
US-North Korean Summit's June 12th Annulment: The Reasons for a Consistent Decision with a Strict Security Line
The probable cancellation of the summit between the United States and North Korea reflects a deterioration of the diplomatic dialogue following an excessive precipitation of the various protagonists in front of the complexity of the files to be treated. Time must be allowed for the discussions to progress before a formal meeting that should not be missed.
En exhortant Washington à abandonner l’objectif de dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible (DCVI) à quelques semaines du Sommet américano nord-coréen, Pyongyang a tenté de modifier les termes des négociations en cours à son avantage. À l’inverse d’une réponse accommodante, l’offensive diplomatique a grippé le processus. Séoul a dénoncé le geste comme contraire à l’esprit de la déclaration conjointe issue du précédent Sommet inter-coréen, et la Maison-Blanche a annulé le Sommet entre Donald Trump et Kim Jung-un, programmé pour le 12 juin à Singapour.
Par cette annulation, Washington a adressé un signal fort à Pyongyang et a sanctionné une dernière provocation considérée comme celle de trop. Les manœuvres nord-coréennes ne laissent pas dupe une administration américaine désormais rompue à ces techniques. Cette décision américaine procède de tout sauf du coup de sang d’un Président impulsif. Elle répond au cahier des charges strict d’une politique extérieure élaborée sur le principe et les règles de la dissuasion.
Depuis l’arrivée du président Trump et la réorientation de la politique extérieure américaine, Pyongyang n’a cessé de tester la détermination de Washington. Quand elle répondait à la pression diplomatico-militaire par une surenchère dans la provocation, son action s’inscrivait déjà dans cette logique. En tentant de modifier les termes des négociations à son avantage dans la dernière ligne droite avant le Sommet avec Donald Trump, Pyongyang a une nouvelle fois tenté de tester cette résistance.
La tentative d’intimidation nord-coréenne n’a pas vraiment laissé le choix à Washington. Il est même à se demander si l’objectif n’était justement pas de braquer l’équipe sécuritaire pour ensuite rejeter la responsabilité d’un échec des négociations sur la Maison-Blanche.
• Demander à Washington de réviser l’objectif de DCVI revenait à lui demander de renoncer à la priorité de sa politique extérieure. C’était impensable.
• Cela revenait aussi à faire plier une administration qui a fait de la reprise de l’ascendant dans les rapports avec l’adversaire, le fondement de sa politique extérieure. Dans le contexte de bras de fer avec Pyongyang, c’était, là encore, impensable.
Pour l’équipe sécuritaire américaine qui a placé le niveau de vigilance au plus haut, l’offensive diplomatique de Pyongyang a été reçue comme le signal d’un danger. Dans ce rapport de force, accéder à la demande nord-coréenne aurait négligé ce signal. C’était créer une faiblesse et donc commettre une erreur tactique. L’administration américaine l’a précisé à plusieurs reprises : elle ne se laissera pas « balader » (« play ») par ses adversaires. Céder au chantage, revenait à créer les conditions à de futures tentatives nord-coréennes d’exploiter l’ouverture comme une faiblesse et ainsi retomber dans le cycle des provocations et d’échecs annoncé des négociations.
Derrière une position ferme et intransigeante, la Maison-Blanche rappelle à ses alliés et à ses adversaires deux principes directeurs de sa politique extérieure :
• Elle refuse de porter la responsabilité historique d’agréer à l’émergence d’un nouvel acteur nucléaire officiel comme la Corée du Nord dans le jeu international.
• Elle refuse de créer les conditions à de futurs cas de prolifération que la légitimation d’une Corée du Nord nucléaire ne manquera pas de générer.
En annulant le Sommet du 12 juin, Washington condamne une provocation de trop de la Corée du Nord, elle sanctionne aussi les excès et limites d’un processus d’ouverture optimiste. Moon Jae-in, pressé d’obtenir un accord de paix avec Pyongyang, en a négligé Washington dans les négociations. Contrairement à ce que sous-entendait le Président sud-coréen depuis le début de l’ouverture, la coopération de la Corée du Nord n’était pas acquise. Au fond, Pyongyang ne s’est jamais vraiment engagé à dénucléariser.
Le président Moon a essayé de gagner une autonomie stratégique en tentant d’imposer sa ligne pour sortir de la crise, dans les limites qui sont les siennes, celles imparties par l’alliance, mais aussi d’une Corée du Nord bien décidée à exploiter à son avantage la bonne disposition et la bienveillance d’un Président sud-coréen conciliant. Dans la conjoncture de crise, l’initiative d’ouverture du président Moon et l’émancipation stratégique dont elle procède répondent à la frustration d’un allié qui prend la mesure de ses limites face à une Corée du Nord débridée et en pleine émancipation nucléaire, et d’une Amérique qui fixe le cap dans une gestion de crise qu’il juge trop stricte.
Les Américains ne semblent pas refuser à Séoul son aspiration à plus d’autonomie, dès lors qu’elle ne remet pas en cause le sacro-saint objectif de la dénucléarisation. Avec sa politique d’ouverture, le Président sud-coréen a réduit les tensions sur la péninsule et fait reculer au moins provisoirement le spectre d’un conflit, mais il a commis des maladresses et sa politique est rattrapée par ses insuffisances. Pyongyang et, derrière la capitale nord-coréenne, la Chine, ont vu dans la politique d’ouverture sud-coréenne une faiblesse. Séoul est devenu la cible d’actions d’influence de Pyongyang et de son allié, pour tenter de retourner la situation à leur avantage et, au final, accorder à Pyongyang un statut nucléaire.
La plus grande maladresse du Président sud-coréen dans ce processus est d’avoir négligé les rapports de force dans ce jeu de puissances complexe. C’est aussi d’avoir laissé Pyongyang exploiter sa bienveillance avec le soutien appuyé de la Chine pour ralentir, affaiblir et même discréditer la stratégie américaine. Et, réciproquement, d’avoir sous-estimé la détermination de l’équipe sécuritaire américaine constituée autour de profils sélectionnés précisément pour résister à la pression et aux actions d’influence.
Dans ce contexte, même l’agitation d’un Prix Nobel de la Paix en guise de récompense au président Trump pour son ouverture n’avait pas beaucoup plus de chance d’obtenir la conciliation de la Maison-Blanche. Un accord trop vite acquis est forcément mal acquis, et une récompense de paix sur la promesse de paix et non le résultat de la paix est indue. Le secrétaire d’État Mike Pompeo, issu des services de renseignement extérieurs (CIA) et rompu aux actions d’influence, a été désigné parce qu’il est capable de détecter ces tentatives de subversion et d’y résister.
Ce nouvel épisode de la crise place Américains et Sud-Coréens devant le défi de maintenir la solidité de leur alliance dans un contexte plus subversif :
• Pour Séoul, il s’agit de développer les moyens de résister à une pression nord-coréenne et chinoise qu’elle continue de sous-estimer, et même de relayer.
• Pour Washington, il s’agit de reprendre le leadership dans un processus d’ouverture et de sortir du cycle infernal des volte-face du régime nord-coréen.
L’annulation du Sommet, cohérente avec la ligne exigeante de Washington, annonce un retour à la fermeté et probablement, à la pression. Dans le rapport de force, les Américains estiment sans doute avoir encore une marge avant de céder à une autre forme de chantage sino-nord-coréen, relatif celui-ci, aux risques d’escalade et de conflit. ♦