Chargé par Bruxelles de mener la deuxième séquence des discussions avec Londres, Michel Barnier sait qu'un succès des négociations n'a rien de certain. Il l'a récemment confirmé lors d'une intervention au Conservatoire national des arts et métiers de Paris.
Brexit : Michel Barnier repart au combat (T 1146)
Michel Barnier (photo : Parlement européen)
Tasked by Brussels with leading the second round of talks with London, Michel Barnier knows that successful negotiations are by no means certain. He recently confirmed this during an intervention at the National Conservatory of Arts and Crafts in Paris.
Un nouveau bras de fer hors du commun l’attend. Pour autant, Michel Barnier a tout fait pour apparaître calme et prudent lors de son intervention au Conservatoire national des arts et métiers de Paris (Cnam), le 20 février. Dans un amphithéâtre plein à craquer, cette rencontre avec des étudiants et d’autres passionnés de l’Europe s’est déroulée quatre jours avant que le chef de l’équipe désignée par Bruxelles pour négocier avec le Royaume-Uni reçoive le mandat de mener la deuxième séquence des discussions avec Londres.
Michel Barnier s’attend à des tractations au moins aussi dures et mouvementées que celles qui ont conduit à un accord au forceps pour la sortie officielle du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE), devenue effective le 31 janvier. Un processus qui a entraîné au passage la chute de la Première ministre Theresa May et le triomphe du conservateur pro-Brexit Boris Johnson aux élections législatives britanniques.
« Aujourd’hui, il n’y a aucune garantie qu’un accord soit trouvé », prévient le Français. Les prochaines discussions ne concerneront pas les questions de sécurité et de politique étrangère, Londres ne semblant pas pressé de chercher un terrain d’entente en la matière. Michel Barnier et son équipe d’une soixantaine de personnes vont donc surtout tenter de nouer des partenariats dans les secteurs de l’économie, des transactions financières, des transports et du commerce.
Le dumping, point brûlant des négociations
L’accord doit être trouvé avant le 31 décembre prochain, date à laquelle le Royaume-Uni quittera l’Union douanière. Boris Johnson a refusé toute prolongation de la période de transition. Il faut donc « trouver au moins un accord sur une base ». Faute d’entente, le Royaume-Uni se retrouverait dans une situation où il n’existe pas de statu quo, seulement un retour en arrière, juste avant l’adhésion du pays à l’UE (alors Communauté économique européenne, en 1973), dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). En d’autres termes, des taxes et des quotas s’appliqueraient dans les échanges avec chacun des pays membres.
Les enjeux financiers s’avèrent majeurs. Le marché de l’UE représente 46 % des exportations britanniques, d’après une étude de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), publiée au mois de février. Sans accord, le Royaume-Uni pourrait perdre jusqu’à 30 milliards d’euros. Selon Michel Barnier, Londres représente 8 % des exportations de l’Union européenne.
Une déclaration politique, où les deux parties ont fait part de leurs intentions, sert (en théorie) de point de départ. « Si on fait tout ce qui est prévu, on arrivera à établir une relation qui n’a pas de précédent. » Reste à y parvenir. Parmi les dossiers les plus chauds, celui qui pourrait conduire à un échec des négociations : la volonté britannique d’assouplir ses règles sociales, fiscales ou encore environnementales dans ses échanges commerciaux. En clair, Londres pourrait décider de pratiquer un dumping dont seraient victimes ses anciens partenaires.
« Pas de passion, pas d’émotion »
L’ancien ministre des Affaires étrangères de Jacques Chirac (2004-2005) assure que Bruxelles ne transigera pas sur ses principes – « on ne laissera pas le Royaume-Uni nous concurrencer de manière déloyale », affirme-t-il – tout en respectant la liberté des Britanniques.
Les signes envoyés depuis Londres ces dernières semaines ne prêtent pas à l’optimisme. « Les Britanniques nous ont dit il y a quelques jours que le document de 36 pages ne compte pas », a révélé Michel Barnier. Son homologue de l’autre côté de la Manche, David Frost, semble prêt au bras de fer : « Penser que nous pourrions accepter une supervision de l’UE sur des questions dites d’égalité des conditions de concurrence, c’est ne pas comprendre l’intérêt de ce que nous faisons », a-t-il déclaré lors d’une allocution à l’Université libre de Bruxelles, le 17 février. De son côté, le ministre de l’Irlande du Nord, Brandon Lewis, a remis en cause l’existence d’une frontière douanière maritime, qui implique le contrôle des produits arrivant à Belfast en provenance du reste du Royaume-Uni selon les critères de l’Union européenne. Ce mécanisme entériné à l’issue de la première phase des négociations permet notamment d’éviter le retour d’une frontière entre les deux Irlande, qui aurait été perçu par beaucoup comme une menace pour la paix.
Autant de déclarations qui ne semblent pas perturber Michel Barnier. Il résume son approche des négociations en une formule : « Pas de passion, pas d’émotion. »
Seul message répété avec force : son européisme. Un peu moins de quatre ans après le vote historique du peuple britannique, il affirme que « personne n’a été capable de [lui] montrer la moindre valeur ajoutée du Brexit, pas même monsieur [Nigel] Farage ». Le leader du camp du « oui » lors de la campagne pour le référendum a prédit à son adversaire que l’UE s’effondrerait après le Brexit. « Ils veulent nous détruire de l’intérieur », estime Michel Barnier à propos des eurosceptiques.
Vers un retour en France ?
Plus d’un craint, d’ailleurs, un possible effet domino où d’autres pays auraient la tentation de suivre un chemin similaire. « Je ne le crois pas, mais il faut faire attention », répond pour sa part l’intéressé. Il assure ne plus entendre les partis populistes demander la sortie de l’UE. Toutefois, Michel Barnier se méfie du « sentiment populaire selon lequel l’Europe n’a pas assez protégé la population, notamment après la crise économique ».
Le bateau peut tanguer, les voix des eurosceptiques peuvent porter, Michel Barnier n’en démord pas : à ses yeux, le projet européen demeure la solution idoine pour des lendemains qui chantent. « On ne se protège qu’ensemble. Sinon, on est foutu. » Il s’appuie sur les projections économiques des prochaines décennies : en 2050, l’Allemagne serait le seul État du Vieux Continent à figurer dans le top 10 des Produits intérieurs bruts mondiaux, alors que l’Indonésie, le Mexique ou encore le Brésil dameraient le pion tant à la France qu’au Royaume-Uni. L’Union européenne, en revanche, ferait de la résistance en suivant le trio Chine/États-Unis/Inde.
Michel Barnier entend bien continuer à prêcher ce message pro-UE une fois les négociations avec les Britanniques terminées, y compris dans son propre pays. À 69 ans, il affirme envisager un possible retour dans la vie politique française. Lors de son intervention au Cnam, il a pris soin à plusieurs reprises de dénoncer les idées de Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. ♦