Il y aura un avant et un après. Alors même que le pic épidémique n’est pas encore atteint en Occident, la crise du Covid 19 est d’ampleur stratégique, car elle remet brutalement en cause un certain nombre de certitudes et de pratiques. Elle est une épreuve majeure, pour les malades et les personnels soignants tout d’abord, mais pour tous les gouvernants et les sociétés dans leur diversité.
Coronavirus : un nouveau « 11 septembre » ? (T 1148)
Le coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère 2 Photo : NIAID Rocky Mountain Laboratories (RML)
There will be a before and an after. Even though the epidemic peak has not yet been reached in the West, the Covid 19 crisis is of strategic magnitude, because it brutally questions a certain number of certainties and practices. It is a major ordeal, for patients and caregivers first of all, but for all governments and societies in their diversity.
En octobre 2017, lors du 19e Congrès du Parti communiste chinois, Xi Jinping se permettait d’introduire sa pensée dans la doctrine du PCC, rejoignant ainsi Mao et se présentant dès lors comme le nouvel empereur rouge. En 2019, l’affirmation de la volonté impérialiste chinoise s’imposait comme une quasi-évidence, Pékin s’étant créé un réseau de pays affidés grâce au projet pharaonique des « nouvelles routes de la soie ». Il a fallu le courage des étudiants de Hong Kong puis l’émergence, en décembre, d’une nouvelle épidémie de coronavirus pour que la réalité s’impose face aux discours d’une propagande effrénée.
La fin de l’année 2019 a effectivement été marquée par la montée des tensions dans deux régions du globe. Tout d’abord dans le golfe Arabo-Persique où la menace d’affrontements entre l’Iran, l’Arabie saoudite et les États-Unis n’avait cessé de croître depuis l’été. L’élimination de Qassem Soleimani, chef des Pasdarans iraniens, à Bagdad, le 3 janvier, avait semblé marquer le début d’un affrontement de grande ampleur, mais la tragédie de la destruction du Boeing 737 d’Ukrainian Airlines le 8 janvier a contraint Téhéran à un retrait humiliant. Ce drame a constitué la première surprise stratégique de 2020.
À la mi-janvier, il est apparu qu’une épidémie de coronavirus commençait à se répandre autour de la ville chinoise de Wuhan. L’accélération du processus de contamination, la présence de nombreux Occidentaux dans ce poumon économique de la Chine et la vigilance de citoyens chinois courageux ont alors obligé Pékin à devoir affronter publiquement ce problème sanitaire avec à la fois des mesures coercitives et une action diplomatique souterraine visant à en minimiser l’ampleur auprès de l’OMS notamment.
Hélas pour Pékin, la maladie s’est très vite répandue avec heureusement un taux de létalité alors relativement faible aux alentours de 2,20 % dans le courant janvier. La mise en quarantaine de masses de populations sans équivalent dans le monde et la médiatisation contrôlée des actions sanitaires ont semblé un temps limiter la crise. Or, la mondialisation des échanges étant devenue ce qu’elle est aujourd’hui, l’incendie s’est propagé dans un premier temps dans le golfe Arabo-Persique, démontrant ainsi son rôle de hub entre l’Occident et l’Asie puis en Europe avec les dégâts que l’on connaît désormais.
L’OMS a dû admettre le 11 mars qu’il s’agissait d’une pandémie qui concerne toute la planète. Les conséquences sont multiples et touchent au final toutes les activités de l’humanité, qu’elles soient économiques, sociales, culturelles, spirituelles et individuelles. Chaque pays touché y va de ses mesures, certains y ajoutant une part de cynisme, d’autres une part de désespoir. Chacun s’affirme mieux préparé que son voisin – le virus étant bien entendu interdit de franchir les frontières comme chacun sait.
À cette crise sanitaire s’ajoute une crise économique avec le plongeon du prix du pétrole à des niveaux qui vont directement impacter des pays comme l’Algérie, le Nigeria et la Russie, dont le niveau de vie dépend du cours du brut. La chute du tourisme de masse, la remise en cause des grands événements qui rythment la vie mondiale comme le sport, les congrès et autres rencontres constituent les autres conséquences.
Chacun se replie, pensant échapper au pire. Dès lors, l’Homme fort apparaît comme seul capable d’affronter le coronavirus. Ainsi, Pékin reconstruit sa crise en présentant Xi Jinping comme le « timonier » qui a su affronter la tempête à présent considérée comme ayant une cause extérieure – pouvant venir des États-Unis – aux faiblesses intrinsèques du système chinois. C’est la formation en germes d’une théorie complotiste sciemment alimentée par Pékin, avec d’autant plus de facilité que les réseaux chinois, dont Wechat (un milliard d’utilisateurs chinois), se voient totalement contrôlés par le PCC. Tencent, entreprise propriétaire de Wechat, a même souligné l’excellence de sa collaboration avec le gouvernement.
Xi Jinping (Photo : Senado Federal)
Par ailleurs, il y a les déclarations martiales de Donald Trump, se prenant pour Chuck Norris affrontant le virus à mains nues, alors même que les experts américains reconnaissent les difficultés à contenir la pandémie.
À l’inverse, on ne peut être que frappé par la mosaïque européenne qui démontre que le « vieux continent » est désormais celui des flux massifs humains, économiques, matériels et virtuels, dépassant les frontières nationales. D’où la complexité des mesures de confinement qui ne peuvent plus se limiter à mettre une chaîne entre deux berges comme ce fut le cas à Marseille lors de la peste de 1720. L’interconnexion est telle que les réponses doivent être au minimum coordonnées.
Alors même que le pic épidémique n’est pas encore atteint en Occident, alors qu’il semble l’être en Chine, la crise de la Covid-19 est d’ampleur stratégique, car elle remet brutalement en cause un certain nombre de certitudes et de pratiques. Elle va obliger à réfléchir dans l’urgence et la contrainte sur des questions d’ordre vital, car elle touche la vie de l’Homme et donc sa survie. Elle est une épreuve, pour les malades et les personnels soignants tout d’abord, mais pour tous les gouvernants et les sociétés dans leur diversité. Elle attise les tensions alors même que la pratique du rapport de force et les politiques de puissance avaient déjà pris le pas sur le multilatéralisme et la négociation. Elle montre les égoïsmes nationaux et les vulnérabilités de tous. C’est un tournant stratégique, géopolitique et donc historique. Comme pour le 11 septembre 2001, où le monde a basculé, il y aura donc un après-Covid-19, dont personne ne peut encore imaginer les perspectives. ♦