Panorama de la situation actuelle au Moyen-Orient, 100 jours après l'élection de Joe Biden. Une situation où règne l'incertitude des principaux acteurs du Moyen-Orient, des États-Unis à la Chine en passant par la Russie, l'Union européenne ou les pays du Golfe et la Turquie.
Le jeu incertain des principaux acteurs au Moyen-Orient (T 1268)
(© Pxhere.com)
Overview of the current situation in the Middle East, 100 days after the election of Joe Biden. A situation where uncertainty reigns for the main players in the Middle East, from the United States to China via Russia, the European Union or the Gulf countries and Turkey.
L’élection du président Biden aux États-Unis a donné le sentiment – et l’espoir – que la situation tendue et bloquée au Moyen-Orient pourrait évoluer dans le sens d’un apaisement des tensions.
Des premiers gestes ont certes été effectués de part et d’autre pour marquer cette volonté de changer la donne, mais au cours des derniers jours le dossier iranien paraît à nouveau englué dans la méfiance persistante des protagonistes.
L’accord nucléaire est naturellement très complexe en lui-même, ce qui explique la difficulté d’entamer la négociation alors que plusieurs paramètres ont évolué depuis 2015. Mais il est aussi frappant de constater que tous les principaux acteurs au Moyen-Orient ont en réalité une marge de manœuvre limitée.
Les États-Unis se désengagent partiellement de la zone (Afghanistan et Yémen notamment) et se déclarent ouverts à une négociation avec l’Iran, à certaines conditions. En Irak, en Syrie et au Liban, ils sont toujours présents mais n’entendent pas être en première ligne. Ils ont repris langue avec les Palestiniens, mais n’ont pas l’intention de prendre une initiative de paix au Proche-Orient. Ce désengagement relatif – sauf à l’égard d’Israël et dans le Golfe – ne renforce donc pas leur main dans la région.
La Russie, par sa présence militaire, est un acteur important en Syrie et en Libye. Mais son partenariat avec Erdogan est ambigu, de même qu’avec l’Iran en Syrie. En outre, ses relations difficiles avec l’administration Biden et maintenant avec les Européens (à cause notamment de l’affaire Navalny et de l’Ukraine) réduisent d’autant plus les cartes de Poutine.
L’Iran a un intérêt majeur à parvenir à un accord avec les Américains sur le dossier nucléaire afin de débloquer ses fonds et de réexporter son pétrole, conditions indispensables pour sortir de son marasme économique actuel. Mais le régime de Téhéran est prisonnier de sa rhétorique anti-américaine – surtout à la veille d’élections présidentielles – et a tendance à placer la barre trop haut, compliquant ainsi la négociation. Il est donc difficile à ce stade de savoir si les Iraniens finiront par accepter des compromis ou s’ils choisiront la fuite en avant en tablant sur l’antagonisme sino-américain.
Israël a du mal à former un gouvernement et Netanyahou joue sur l’image détestable du régime de Téhéran pour gêner le début de la négociation des 5 + 1 (les cinq membres du Conseil de sécurité de l’ONU + l’Allemagne) avec l’Iran, récemment par l’attaque, non revendiquée, sur la centrale de Natanz (1).
L’Arabie saoudite ne peut plus compter sur le soutien inconditionnel du président Trump et cherche un arrangement avec l’administration Biden, tout en jouant la carte de la diversification de ses partenaires : Chine, Russie, Europe, rapprochement avec la Turquie mais aussi avec Israël. Il est intéressant que des contacts aient même repris avec l’ennemi iranien, sans doute au sujet du Yémen, mais également pour marquer qu’il faudra prendre en compte ses préoccupations dans tout arrangement régional éventuel avec l’Iran.
La Turquie est incontournable en Irak, en Syrie et en Libye. Toutefois, la politique expansionniste d’Erdogan suscite la méfiance de tous ses voisins : l’Europe (dossiers de la Méditerranée orientale et de l’Arménie), la Russie (par la vente de drones à l’Ukraine), les pays arabes (sauf le Qatar) et l’Iran (qui est son concurrent traditionnel dans la région). Ses « gestes » récents à l’égard de l’Europe, de l’Égypte et de l’Arabie saoudite ne changent pas fondamentalement la donne. En outre, à l’intérieur, la mauvaise situation économique ne peut qu’éroder sa popularité. Bref, la marge de manœuvre du « néo-sultan » est limitée d’autant.
La Chine, premier partenaire commercial des pays de la région, cherche à avancer ses pions sur les plans politique et sanitaire. Elle a marqué des points (accord avec l’Iran, silence des pays musulmans sur la question ouïghour), mais elle ne peut pas encore être considérée comme un acteur déterminant dans la zone, d’autant plus que les pays du Golfe ont, en ce moment, pour priorité, de trouver un modus vivendi avec l’administration Biden.
L’Europe n’a pas le poids politique que son voisinage et sa présence économique devraient lui donner. Mais, face au jeu en cours, pour redéfinir les équilibres régionaux, elle pourrait, et devrait, devenir un acteur important permettant aux pays de la région de ne pas demeurer les obligés de Washington ou de devenir, à terme, ceux de Pékin. Cela impliquerait cependant d’avoir cette volonté stratégique et d’être en mesure de proposer des solutions sur les dossiers de la région, ce qu’elle n’est actuellement pas capable de faire.
* * *
En somme, chacun espère que l’arrivée du président Biden à la Maison-Blanche permettra de créer une dynamique vertueuse susceptible d’apaiser les tensions au Moyen-Orient. Mais, quand on considère le jeu des principaux acteurs dans la région, on ne peut que constater leur marge de manœuvre limitée du fait de la complexité des enjeux et de leur interconnexion.
Cela ne donne que plus de sens à la prochaine visite du président Macron dans le Golfe, pour discuter avec ces pays de la meilleure façon pour l’Europe d’apporter une contribution à la stabilisation indispensable du Moyen-Orient. ♦
(1) Franceinfo avec l’AFP : « Iran : ce que l’on sait de l’attaque d’un complexe nucléaire qui relance les tensions avec Israël », 13 avril 2021 (www.francetvinfo.fr/).