Il y a 60 ans étaient signés les Accords d'Évian, suivis par un cessez-le-feu le lendemain, marquant la fin de la Guerre d'Algérie et la reconnaissance de l'indépendance algérienne. Pour la RDN, le colonel Claude Franc, historien militaire, a souhaité faire la lumière sur un aspect moins connu de cet événement sur le plan des relations internationales : ses conséquences sur l'Alliance atlantique, en pleine guerre froide.
Les Accords d’Évian et l’Otan (T 1373)
La délégation du Gouvernement provisoire de la République algérienne à la signature des Accords d'Évian, 18 mars 1962 (© Viepublique.fr)
60 years ago, the Evian Accords were signed, followed by a ceasefire the next day, marking the end of the Algerian War and the recognition of Algerian independence. For the RDN, Colonel Claude Franc, military historian, wanted to shed light on a lesser-known aspect of this event in terms of international relations : its consequences for the Atlantic Alliance, in the midst of the Cold War.
Si les débats autour des Accords d’Évian ont donné lieu à d’interminables polémiques de part et d’autre de la Méditerranée, il est un aspect de ces accords qui n’a que fort peu été évoqué depuis leur conclusion, il y a 60 ans, le 18 mars 1962 : leurs retombées sur l’Otan – si tant est qu’il y en ait eu !
Tout d’abord, il convient d’observer que durant toute la phase de la Guerre d’Algérie, quel que fût le régime en place à Paris, IVe ou Ve République, les dirigeants français ont toujours soigneusement veillé à en éviter l’internationalisation. Vis-à-vis de l’ONU, l’action de freinage de la France en ce domaine a donné lieu à une réelle médiatisation. En revanche, et au regard du contenu même des articles du Traité de Washington, il n’y eut aucune implication de l’Otan dans l’affaire algérienne, considérée, à l’inverse de l’ONU, comme une affaire intérieure franco-française.
Certes, l’article VI du Traité de Washington du 4 avril 1949, qui définit la zone géographique à l’intérieur de laquelle les États-membres ont pris des engagements militaires en cas d’agression, indique bien « La France et les départements français d’Algérie » (1). À ce titre, l’année suivante, lors de la mise sur pied de l’Otan, ipso facto, la base navale de Mers el-Kébir devenait « otanienne ».
Tant qu’a duré le conflit algérien, l’Otan, ou plus exactement le « Conseil atlantique », ne pouvait se préoccuper de ce dossier que si la France lui en faisait expressément la demande, démarche que Paris s’est, bien évidemment, toujours bien gardée d’effectuer. Certains ont d’ailleurs émis l’idée que la France eût dû se résoudre à cette procédure, non pour solliciter une quelconque intervention militaire, mais pour placer les membres de l’Alliance devant l’impératif de solidarité, ce qui eût alors évité des dissonances fâcheuses en la matière, notamment en provenance des États-Unis.
Dès lors que les pouvoirs publics en France annonçaient l’ouverture de « conversations » entre le gouvernement français et les chefs nationalistes, ce qui pouvait laisser à penser qu’un État algérien devenu maître de sa diplomatie existerait à court terme, les données du problème se trouvaient modifiées.
Le sort de la base de Mers el-Kébir se trouvait en effet posé. Il sera exposé plus loin, comment, en réalité, cette question était un faux problème. Surtout, dès lors que des institutions algériennes verraient le jour, un futur gouvernement algérien ne serait aucunement tenu d’entériner les engagements pris antérieurement par la France. Or, le Traité de Washington n’avait pas prévu ce cas, l’accession à l’indépendance d’une partie d’un État-membre (2). À l’inverse, l’article X du Traité de Washington spécifiait que tout nouveau membre ne pourrait être qu’un État européen.
Qu’en était-il de Mers el-Kébir ? Pour le court terme, l’affaire était entendue, puisque la seule et unique clause des Accords dont la non-application par le nouvel État algérien aurait été susceptible de constituer un casus belli concernait en partie Mers el-Kébir : la France avait imposé à ses interlocuteurs le maintien des pas de tir des essais nucléaires sahariens, jusqu’à la réalisation effective du Centre d’essais du Pacifique. Dans ce cadre, les matières fissiles nécessaires à l’activation de la « bombe » devaient transiter par Mers el-Kébir, ce qui imposait le maintien de son contrôle par la France. De fait, la dernière unité militaire à quitter la base, le fit en 1967, soit un an après le retrait global de la France du commandement intégré de l’Otan. Mais, même si certains ont pu se crisper à l’époque sur Mers el-Kébir, arguant qu’il s’agissait d’un point d’appui indispensable dans la stratégie de l’Otan en Méditerranée occidentale, il n’en était rien. En effet, dès la fin de l’année 1958, le général de Gaulle avait retiré l’escadre du Levant (Escadre de la Méditerranée répartie entre Toulon et Mers el-Kébir) du commandement intégré de l’Otan. En clair, Mers el-Kébir n’était plus une base de l’Otan. Dès 1959, l’Otan a reporté sur le seul point d’appui de Gibraltar le centre de gravité de son contrôle de la Méditerranée occidentale, ce qui était d’ailleurs largement le cas auparavant. De même qu’il reportera sur Malte celui exercé auparavant par Bizerte, sur la Méditerranée centrale et le détroit de Messine. Dans les années qui ont suivi la rétrocession de la base de Mers el-Kébir à l’État algérien, alors que quelques esprits sceptiques agitaient le spectre d’une « soviétisation » de cette base, il a été dénombré plus d’escales de navires de guerre soviétiques à Toulon qu’à Mers el-Kébir.
Pour ce qui relevait de la place du nouvel État algérien vis-à-vis de l’Otan, les choses étaient clarifiées depuis longtemps, et ce, par l’Algérie elle-même : le 19 septembre 1960, depuis Tunis où il avait établi son siège, le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) avait diffusé un mémorandum dont le préambule ne prêtait à aucune ambiguïté : « Le présent mémorandum porte dénonciation par le Gouvernement provisoire de la République algérienne, non seulement de l’inclusion de l’Algérie dans l’Otan, mais encore du Pacte atlantique lui-même. »
Aucune clause des Accords d’Évian ne faisait référence à l’Otan ou à l’Alliance atlantique. De son côté, l’Otan garantissait la sécurité de son flanc Sud depuis Naples, implantation du QG des Forces alliées du Sud de l’Europe (AFSOUTH), en s’appuyant sur la Turquie (gardienne des Détroits), la Grèce (flanc-garde sud des Balkans titistes) et l’Italie et l’Espagne (les deux puissances méditerranéennes occidentales). Jamais le territoire algérien n’a tenu la moindre place dans les plans de défense de l’Otan, alliance euro-atlantique au sein de laquelle la plateforme nord-africaine, si elle avait pu jouer un rôle primordial à partir de 1942 dans la stratégie alliée, n’avait dès lors plus sa place, et ceci dès la conception même de l’Otan à la fin de l’année 1950.
C’est ainsi que le désengagement de la France d’Algérie le 1er juillet 1962 n’a eu aucune incidence sur l’Alliance atlantique. ♦
(1) C’est par cet artifice que Paris a pu justifier, début 1956, le départ en Algérie des unités stationnées sur le territoire allemand, et alors, sous commandement de l’Allied Force Command in Center Europe (AFCENT).
(2) Le cas se reposerait en 1975 avec l’Espagne et le Rio de Oro (Le Sahara occidental). Avec une sage prudence, l’Alliance a pris le profil le plus bas possible sur ce dossier.