Cette semaine, le général Pellistrandi revient sur la notion de limogeage dans le monde militaire en temps de guerre, après que le général Valeri Zaloujny, commandant en chef des forces armées d'Ukraine a été démis de ses fonctions par Volodymyr Zelensky, presque 2 ans après le début de l'invasion russe de l'Ukraine.
Éditorial – Ukraine – Zaloujny démis de ses fonctions : limogeage et renouvellement en temps de guerre (T 1572)
Zaloujny (au centre) en octobre 2022 lors de la Journée des défenseurs et défenseuses de l'Ukraine avec Serhiy Chaptala et Oleksiy Danilov (© President Of Ukraine via Wikimedia Commons)
Limoger : (de Limoges) Priver un officier, un fonctionnaire
de son emploi par révocation, déplacement, etc.
(Définition du Petit Larousse)
La semaine dernière a vu le départ du général Valerii Zaloujny de son poste de commandant des forces armées et son remplacement par le général Oleksandr Syrsky. D’autres changements sont également intervenus au sein du haut commandement ukrainien, changements décidés par le président Volodymyr Zelensky. Il était effectivement de notoriété publique que les relations entre Valerii Zaloujny et Volodymyr Zelensky s’étaient dégradées en particulier depuis l’échec de la contre-offensive ukrainienne lancée en juin dernier et qui n’a pas permis de franchir les lignes fortifiées édifiées par les forces russes au sud du pays. Depuis, le front s’est enlisé avec des difficultés accrues pour les Ukrainiens, le rapport de force notamment dans le domaine de l’artillerie étant largement en faveur des Russes en atteignant 1 contre 6.
Dès lors, l’enlisement stratégique était de mise et les actions de contournement avec les frappes de drones sur le territoire russe ne sont pas de nature à modifier le cours de la guerre.
La relève du commandant en chef était, de fait, inéluctable après bientôt 2 ans de guerre qui ont tout particulièrement usé chefs militaires et soldats. La pression totale qui pesait sur le général Zaloujny a dû être intense et usante, d’où le besoin de renouvellement.
S’agit-il alors d’un limogeage pour reprendre cette formulation qui prend sa source dans les premières semaines de la guerre de 1914-1918 ?
Le 3 août 1914, le Reich de Guillaume II déclare la guerre à la France après la montée des tensions provoquées par l’assassinat, le 28 juin à Sarajevo de l’Archiduc François-Ferdinand, héritier du trône austro-hongrois. L’armée française a engagé sa mobilisation, mais très vite le général Joffre constate de nombreuses défaillances chez certains officiers généraux incapables de passer du temps de paix à la guerre. Un arrêté est signé dès le 15 août et plusieurs généraux sont relevés de leur commandement et affectés au siège de la 12e Région militaire, à Limoges. D’où l’expression de « limoger ». Entre le 2 août et le 31 décembre 1914, 162 généraux ou colonels sont ainsi mutés en raison des insuffisances constatées.
Le limogeage est une réalité du temps de guerre. La pression, l’usure physique, voire la dépression peuvent toucher les chefs et les rendre incapables de prendre la bonne décision et de donner les ordres adéquats.
Il y a aussi l’impact de la durée de la guerre et le besoin de retrouver une nouvelle capacité pour la conception et la conduite des opérations. C’est ainsi que Joffre lui-même doit quitter son poste à la fin de l’année 1916 avec, cependant, le bâton de Maréchal, récompense suprême de la Nation en guerre. D’autres commandeurs furent d’ailleurs relevés de leur fonction comme Nivelle qui avait succédé à Joffre en décembre 1916 et qui est remplacé après l’échec de l’offensive du Chemin des Dames en mai 1917 par le général Pétain, le vainqueur de Verdun.
La durée – non prévue – de la guerre, les échecs des stratégies et l’usure du commandement ont donc obligé le pouvoir politique à changer les chefs militaires. Ce fut aussi le cas du côté allemand, en fonction des résultats obtenus sur le terrain. Limoger des chefs obéit donc à une logique d’efficacité, en théorie. Très souvent, ces mutations forcées pouvaient se traduire par des promotions permettant de préserver l’image de marque de l’intéressé. Ainsi, Nivelle est maintenu en activité sans limite de durée.
Le contre-exemple, ce sont les grandes purges de Staline en 1936-1938 avec l’élimination brutale des disgraciés. L’Armée rouge en fut victime avec l’exécution de deux tiers des officiers généraux durant cette époque, dont le Maréchal Toukhatchevski, fusillé en juin 1937. La violence stalinienne a littéralement décapité le commandement soviétique avec des conséquences dramatiques à l’été 1941, lorsque débute l’opération Barbarossa.
Un autre exemple célèbre de limogeage est celui du général Maurice Gamelin, généralissime et remplacé le 17 mai 1940 par Maxime Weygand, rappelé précipitamment du Levant pour essayer de faire face à la Blitzkrieg de la Wehrmacht. En vain !
Le commandement américain a, lui aussi, connu des changements brutaux dès l’entrée en guerre à la suite de l’attaque de Pearl Harbour le 7 décembre 1941. C’est ainsi que l’amiral Kimmel est relevé 10 jours après et qu’il sera rétrogradé contre-amiral. Patton lui-même connut des jours difficiles à l’été 1943 après avoir injurié un soldat blessé et fut mis sur la touche durant quelques mois par Eisenhower.
On peut également citer Douglas Mac Arthur qui, malgré sa gloire de héros du Pacifique, est « débarqué » par le président Truman en 1951 en raison de divergences majeures sur la guerre de Corée.
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On voit donc une différence entre le limogeage lié à une défaillance ou un manque de dynamisme et le renvoi provoqué par une appréciation différente entre chefs sur la situation militaire, ou avec l’autorité politique. Il faut souligner ici l’extrême difficulté de l’exercice du commandement en opération et l’inévitable usure psychologique y compris pour des chefs aguerris. Remplacer un chef militaire n’est jamais anodin, surtout s’il jouit d’une popularité certaine que ce soit auprès des forces ou de l’opinion publique. Ce fut le cas de Mac Arthur en 1951 mais qui, une fois rentré aux États-Unis, ne chercha pas à exploiter sa célébrité médiatique, notamment à des fins politiques. C’est aujourd’hui la difficulté pour Volodymyr Zelensky avec le général Zaloujny qui vient d’être fait Héros de l’Ukraine. C’est là que la loyauté est essentielle et est toujours une vertu militaire. ♦