Cette semaine, le général Pellistrandi revient sur les dernières déclarations du Président Emmanuel Macron, au regard de la situation européenne à l'aube de la Seconde Guerre mondiale. Si les raccourcis sont faciles, la réalité est bien plus complexe, et l'histoire a bien des choses à nous enseigner, alors que nous sommes en pleine période de commémorations des événéments de la Seconde Guerre mondiale.
Éditorial – « Mourir pour Dantzig ? » (T 1580)
« Trahison russe. Calvaire de Varsovie. Retraite des armées polonaises (17-28 septembre [1939]) », dans Général Boucherie, « La campagne de Pologne », Revue Défense Nationale, février 1940, p. 201. © RDN, tous droits réservés.
Le 4 mai 1939, Marcel Déat (1894-1995), journaliste politique issu des rangs de la SFIO, publiait dans le quotidien L’Œuvre (1), un article retentissant contre un éventuel engagement militaire français pour défendre la ville libre de Dantzig (aujourd’hui la polonaise Gdansk) suite aux pressions de l’Allemagne nazie. Le paradoxe fut que l’ultra-pacifiste Marcel Déat fut ensuite un artisan zélé de la Collaboration avec Berlin puisqu’il fut ministre du gouvernement Laval et que, condamné à mort par contumace, il finit sa vie en exil en Italie.
Cette expression « Faut-il mourir pour Dantzig ? » a fait couler beaucoup d’encre car, au final, la France fut obligée d’entrer en guerre le 1er septembre 1939 et, pensant gagner du temps, la « drôle de guerre » ne fut que l’antichambre de la débâcle militaire, politique et morale du printemps 1940.
Aujourd’hui, certains posent désormais la question : « Faut-il mourir pour Kiev ou le Donbass ? » avec bien sûr le « non » sous-jacent. Raccourci hélas tragique de l’histoire. À ce jour, il n’est pas question d’envoyer des troupes en unités constituées sur le terrain, avec effectivement le risque d’une confrontation directe avec l’armée russe. Non, il s’agit de renforcer l’aide à l’Ukraine et de consolider la cohésion européenne face à la menace que constitue désormais Moscou. Il ne faut pas se voiler la face, le régime de Poutine n’a pas changé d’objectifs et vise, d’une part, la défaite de l’Ukraine et, d’autre part, l’éclatement de l’Europe en tant qu’entité politique.
Il ne s’agit pas de mourir pour Kiev, mais désormais de se prémunir face à un adversaire résolu à se venger de deux ans d’humiliation militaire face à un pays qui ne devait résister que quelques semaines tout au plus. Certes, la situation militaire est difficile pour les forces ukrainiennes qui doivent s’installer en défense ferme pour tenir face aux vagues d’assaut de l’infanterie russe, mais, pour autant, Kiev n’a pas perdu la guerre. Même sur le plan naval, la marine russe subit défaite sur défaite, ses navires ayant été incapables d’assurer le contrôle sur la Mer noire.
À deux semaines de la « réélection » de Vladimir Poutine, il est en effet essentiel que les Européens, poussés notamment par la France, accélèrent la montée en puissance du soutien en s’inscrivant dans la durée. En effet, très clairement, sauf surprise stratégique, la guerre va continuer tout au long de cette année et se poursuivra en 2025. En effet, pour les dirigeants russes, renoncer à défaire l’Ukraine signifierait la fin du régime. La Russie l’a déjà connue en 1905 après la défaite maritime contre le Japon, obligeant le Tsar à des concessions politiques majeures et en 1917, avec la première révolution de février suivie du coup de force des bolchéviques en octobre et l’arrivée au pouvoir de Lénine. Vladimir Poutine sait donc qu’il doit poursuivre sa guerre, tout en instrumentalisant l’histoire en voulant faire passer la Russie comme la victime et non l’agresseur. D’où le besoin d’hybridité de la guerre et de l’étendre à toute l’Europe, voire au-delà, en jouant sur tout le spectre : désinformation, manipulation, cyberattaques, déstabilisation. La palette des actions est, malheureusement, quasi sans limite, tout en jouant sur la peur ! Faire peur aux opinions occidentales en agitant l’épouvantail nucléaire, moyen efficace pour que certains commentateurs occidentaux s’agitent très vite en poussant à la négociation avec la Russie – sur le dos de l’Ukraine.
Un autre parallèle peut, hélas, être fait avec les années 1930. Personne ne voulait croire aux pensées apocalyptiques et millénaristes écrites par Hitler dans Mein Kampf. En mars 1938, rares sont les protestations contre l’annexion de l’Autriche (l’Anschluss) par le IIIe Reich. Le 30 septembre 1938, les accords de Munich ne sont qu’un lâche soulagement de Londres et de Paris qui ferment les yeux sur l’annexion des Sudètes et donc du démantèlement de la Tchécoslovaquie. Sans parler du pacte germano-soviétique à l’été 1939, permettant à Staline de s’emparer de la partie est de la Pologne, dont l’ouest de l’Ukraine. Et au final, à défaut de se battre pour Dantzig, il fallut se battre pour Dunkerque.
Or, l’histoire se répète. Le discours de Vladimir Poutine à la Conférence pour la sécurité de Munich en 2007 était d’une violence sidérante à l’égard de l’Occident. Puis il y eut la guerre contre la Géorgie en 2008, l’annexion de la Crimée en 2014 et des provinces de l’est de l’Ukraine. Autant de signaux dits « faibles » mais qui ne retinrent pas suffisamment l’attention.
Aujourd’hui, c’est bien la Russie qui mène la guerre, d’abord contre l’Ukraine, mais aussi contre l’Europe. ♦
(1) Le quotidien collaborationniste cessa définitivement sa publication le 17 août 1944, alors que la Libération de Paris commençait.