Cette semaine, le général Pellistrandi revient sur le parralèle envisageable entre le contexte des accords de Munich en 1938 et l'actualité diplomatique et politique européenne autour de la guerre en Ukraine.
Éditorial – Munich 1938, Kiev 2024 (T 1582)
Signature des accords de Munich le 30 septembre 1938 (© Bundesarchiv, Bild via Wikimedia Commons)
Certes, l’histoire ne se répète généralement pas mais elle donne des leçons trop souvent dramatiques et ceux qui feignent de les ignorer seront hélas rattrapés par leur inconsistance, leur ignorance et leur lâcheté. Certes, les époques sont différentes et les dirigeants ne sont plus les mêmes mais, là encore, il y a trop de similitudes pour ne pas s’y arrêter et y réfléchir.
À la fin de l’été 1938, les chefs des gouvernements britannique et français, Neville Chamberlain et Édouard Daladier, sont à Munich pour entériner le rattachement de la région germanophone des Sudètes, alors sous souveraineté tchécoslovaque, à l’Allemagne nazie. La signature se fait en présence d’Adolf Hitler – au pouvoir depuis 1933 – et avec l’œil approbateur de Benito Mussolini, le Duce maître de Rome depuis 1922 et au sommet de sa gloire. Chamberlain et Daladier sont les représentants d’un système politique, la démocratie, alors soumis à rude épreuve et concurrencé par les totalitarismes que sont les fascismes avec sa déclinaison nazie et le communisme incarné par l’URSS de Joseph Staline. Systèmes totalitaires où les opposants sont éliminés stricto sensu et où les succès économiques sont mis en images par la propagande que ce soient avec le film de Leni Riefenstahl, Les dieux du stade, à la gloire des jeux olympiques de Berlin en 1936, ou les exploits du mineur soviétique Stakhanov dans les mines de charbon.
Les démocraties sont sur la défensive, peu sûres d’elles-mêmes, touchées par la saignée démographique de la Grande Guerre et les différentes crises économiques. À l’inverse, le Troisième Reich et l’URSS semblent alors construire l’avenir tout en préparant le démantèlement de l’Europe sorti du traité de Versailles de 1919.
Daladier en est d’ailleurs conscient lorsqu’il revient de Munich et se pose à l’aéroport du Bourget. Paris et Londres ont de facto entériné le démantèlement de la Tchécoslovaquie, car celle-ci en perdant les Sudètes ne dispose plus du système de fortifications et d’un minimum de profondeur tactique pour se défendre face aux menaces allemandes. Quelques mois plus tôt, là encore, Londres et Paris avaient fermé les yeux sur l’Anschluss, traduisant l’annexion pure et simple de l’Autriche à l’Allemagne nazie, sous prétexte d’un plébiscite effectué d’ailleurs après l’entrée des troupes allemandes sur le territoire autrichien et qui donnait un résultat de 99 % favorable à Berlin. Vaste hypocrisie cependant avalée par les Alliés.
De fait, inexorablement, Hitler a avancé ses pions, mettant en œuvre ce qu’il avait écrit en 1925 dans Mein Kampf. Et, à peine l’encre des accords de Munich était-elle sèche que le 9 novembre 1938, la « Nuit de Cristal » entamait les persécutions systématiques contre les juifs encore présents sur le territoire allemand.
Au final, la lâcheté de Munich n’empêcha pas le début de la guerre le 1er septembre 1939.
En 2007, Vladimir Poutine lors de sa participation à la Conférence pour la Sécurité à Munich prononça un discours anti-américain et anti-Otan particulièrement agressif et ce, devant la chancelière Angela Merkel. En 2008, la Géorgie vit ses velléités de rapprochement avec l’Ouest brutalement remis en cause, tandis qu’une partie de son territoire est toujours sous le contrôle des forces russes. En 2014, c’est au tour de l’Ukraine avec la saisie de la Crimée et le début de la guerre dans le Donbass. Le 17 décembre 2021, c’est une forme d’ultimatum – passé inaperçu – de Moscou à l’Otan, lui demandant de revenir aux frontières de 1991 et donc de retirer ses forces, notamment dans les États baltes. Et bien sûr, le 24 février 2022 !
Alors que la troisième année de guerre de haute intensité débute, les objectifs militaires pour Kiev sont, hélas, limités pour cette année 2024, après l’absence de succès de la contre-offensive de l’été dernier. Il s’agit désormais de tenir en défensive sur le front terrestre et de reconstituer ses forces, tant sur le plan matériel que sur le plan des effectifs, avec l’aide des partenaires alliés.
À l’inverse, il s’agit pour Moscou de gagner du temps pour poursuivre le grignotage sur le terrain, affaiblir une Ukraine fatiguée, diviser une Europe inquiète et attendre une éventuelle victoire du candidat républicain aux États-Unis, Donald Trump, au mois de novembre ; et, ainsi, de s’offrir des garanties de sécurité à bon compte. Avec le risque non négligeable de relancer une offensive terrestre majeure à la fin du printemps vers Kiev, Kharkiv ou Odessa, Poutine n’a pas changé les buts de son « opération spéciale militaire ». Il s’agit toujours d’éliminer l’Ukraine comme État indépendant et souverain et de reconstituer une Grande Russie, en réécrivant l’histoire. Ainsi les États baltes sont toujours dans le collimateur de Moscou comme le démontre le récent mandat d’arrêt contre Kaja Kallas, Première ministre d’Estonie pour « actions hostiles à la mémoire historique ».
Alors, penser que le temps de la médiation ou de la négociation est venu fait effectivement directement référence à l’« esprit de Munich ». Dire que l’on se situe dans le camp de la paix et qu’il faut offrir des garanties de sécurité à la Russie, c’est effectivement accepter le rapport de force que Moscou veut imposer aux démocraties européennes. Dire que l’on peut dialoguer avec Moscou, c’est fermer les yeux sur la réalité du pouvoir du Maître du Kremlin. Faire croire que le régime russe est démocratique sous prétexte d’une élection cette semaine, c’est mentir et renier les millions de morts depuis les goulags staliniens jusqu’à Alexeï Navalny, Poutine ayant réhabilité Staline.
Face à un dirigeant qui ne connaît et ne pratique que le rapport de force, il est donc nécessaire de lui faire face, avec nos alliés, en s’appuyant sur nos certitudes et nos forces. Créer une vraie ambiguïté stratégique pour l’amener à douter et à renoncer à ses ambitions impérialistes. ♦