Cette semaine, le général Pellistrandi revient sur l'élection dont l'issue était prévue à l'avance, qui a eu lieu le week-end dernier en Russie et qui a vu la réélection de Vladimir Poutine avec plus de 87 % des suffrages exprimés, dans un pays où « imposteur » se traduit par « auto-proclamé ». Fort de cette nouvelle légitimité, bien qu'illusoire, quels sont les enjeux d'une réélection pour 6 ans du président russe ? En 2030, il aura dépassé le règne de Staline.
Éditorial – La réélection du Tsar de toutes les Russies (T 1585)
Vladimir Poutine en février 2023 (© Kremlin.ru via Wikimedia Commons)
Bien sûr, l’effet surprise était peu vraisemblable ce dimanche 17 mars au soir, tant ce processus électoral avait tout du Canada Dry d’une élection démocratique. Pas d’opposants, les vrais étant soit éliminés comme Navalny, soit en prison, soit exilés. Les pseudo-adversaires électoraux, quant à eux, avaient été déclarés d’office pour légitimer la reconduction du Tsar Poutine. De vrais bureaux de vote, du moins ceux présentés aux médias, avec tout l’attirail démocratique pour faire croire que le modèle russe était parfait d’organisation et d’efficacité. Avec des résultats si vite annoncés alors même que l’étendue continentale du pays est un obstacle non négligeable à la centralité du pouvoir.
En obtenant 87,28 % des suffrages, Poutine est non seulement reconduit mais en quelque sorte adoubé pour achever ce qu’il a entrepris depuis le 24 février 2022 avec son « opération spéciale militaire » contre l’Ukraine. Il a désormais le feu vert pour aller plus loin et punir ce « non-pays » selon les dires de Dimitri Medvedev, éphémère Président et jouant le rôle de la « Brute de service » en professant injures et diatribes contre l’Ukraine, mais aussi contre l’Occident global et surtout contre la France.
En effet, pour le Maître du Kremlin, il s’agit désormais de punir ces Ukrainiens qui n’en finissent pas de résister et de poursuivre ainsi l’ambition de sa vie : reconstruire l’Empire de toutes les Russies, la disparition de l’URSS étant à ses yeux la plus grande catastrophe géopolitique de l’histoire. Cela signifie d’abord vaincre militairement l’Ukraine ; et dans la bouche de Poutine, quand il se dit prêt à négocier, cela signifie la capitulation de Kiev, avec le démantèlement du pays, un changement de régime et une mise sous tutelle de l’État croupion comme l’est actuellement la Biélorussie. Mais après l’Ukraine, ce sont les États baltes, la Moldavie, la Finlande et la Pologne qui sont dans le collimateur de Moscou.
Pour cela, il faut accélérer les efforts de militarisation de la société russe qui doit se considérer comme étant l’agressée et la victime de l’Otan. Réécrire l’histoire est d’ailleurs une tradition soviétique bien récupérée par Poutine et ses acolytes. Le passage en économie de guerre est, hélas, une réalité. Au début de la guerre, l’industrie de défense employait environ 2,5 millions de personnes. Aujourd’hui, ce nombre est évalué à 3,5 millions. Malgré les sanctions occidentales, les chaînes produisent à plein régime, quitte à privilégier désormais des matériels plus anciens comme les chars T-90 au détriment du T-14 Armata, trop complexe et donc trop coûteux à produire. Une nouvelle mobilisation n’est pas à exclure dans les mois à venir pour essayer de remporter la décision sur le champ de bataille, alors même que les forces ukrainiennes sont épuisées et manquent notamment de munitions d’artillerie.
Avec le blanc-seing donné par les électeurs russes, le chef du Kremlin peut désormais assouvir sa vengeance et effacer l’humiliation subie par son armée depuis plus de deux ans. Sa haine de l’Occident global, son aveuglement et son isolement – même si les félicitations de dirigeants comme le dictateur vénézuélien Maduro vont flatter son ego – ne laissent entrevoir aucune porte de sortie raisonnable. Bien au contraire, Poutine va accélérer et accroître sa détermination à « faire mal » à l’Ukraine mais aussi à l’Europe. Contre celle-ci, la guerre hybride va s’accentuer en jouant les clivages, en divisant les dirigeants et en faisant peur aux opinions publiques. Sa tâche n’en sera que plus facilitée car les élections européennes du 9 juin sont désormais son terrain de jeu avec la volonté de favoriser les partis eurosceptiques, avides de mettre à bas les acquis communautaires construits depuis 1952 avec la CECA, ancêtre de l’UE, qui permit en son temps la réconciliation franco-allemande et la prospérité des Trente Glorieuses. Le modèle européen, malgré toutes ses imperfections, représente tout ce que Poutine déteste, nostalgique d’un régime tsaro-stalinien où la verticale du pouvoir est totalitaire.
Alors, face à ce nouveau mandat de 6 ans, plus que jamais, il convient de remonter la garde et de se préparer à faire face à tous les scénarios possibles. À court terme et dans l’urgence, il s’agit de soutenir Kiev en faisant plus et en n’excluant aucune option. À moyen et long termes, poursuivre la remontée en puissance de nos forces, en liaison avec nos alliés européens. C’est l’objectif de la Loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 qu’il faut déjà impérativement respecter, malgré les contraintes budgétaires. Il y a en effet urgence. Sans oublier d’anticiper ce que pourrait signifier une victoire en novembre de Donald Trump, avec toutes les conséquences néfastes pour l’Europe.
Le Tsar de toutes les Russies a désormais, hélas, toutes les cartes en main pour vouloir punir ceux qui lui résistent. Dans son empire, Navalny en a subi les conséquences. À l’extérieur et contrairement à ce que peut prétendre Piotr Tolstoï, vice-président de la Douma et malgré son français quasi parfait, l’Ukraine poursuivra son combat pour préserver son indépendance, à condition que les Européens prennent conscience de l’urgence d’un soutien politique et militaire sans faille. Et à ceux qui pensent que le temps est de faire la paix, qu’ils arrêtent de servir de « petits télégraphistes » du Maître du Kremlin ! ♦