Dans son éditorial hebdomadaire, le général Pellistrandi revient sur les tragiques événements survenus à Moscou le week-end dernier et sur les possibles suites géopolitiques de cette attaque terroriste attroce revendiquée par Daech-Khorassan.
Éditorial – Attentat terroriste à Moscou : un tragique retour à la réalité
(© Mosreg.ru via Wikimedia Commons)
Après avoir « remporté » 87 % des voix d’une élection fabriquée il y a à peine une semaine, Vladimir Poutine pouvait se croire intouchable et Tsar de toutes les Russies pour encore de nombreuses années. Las, l’histoire s’est brutalement retournée contre lui avec, d’une part, la reconnaissance par le Kremlin que l’« opération spéciale militaire » en Ukraine était de fait une guerre et, d’autre part, l’attaque terroriste du vendredi 22 mars au soir dans une salle de spectacles dans la banlieue nord-ouest de Moscou avec un bilan effroyable – et encore provisoire – de 137 morts et près de 200 blessés, attentat très vite revendiqué par l’État islamique au Khorassan, avec des preuves vidéo à l’appui.
Pour la première fois depuis des années, le Président russe se retrouve fragilisé et mis en échec dans sa stratégie de tension. En cherchant par tous les moyens à impliquer l’Ukraine dans ce drame, et malgré les messages envoyés par les capitales occidentales – à commencer par Washington – il révèle son aveuglement par rapport à la situation induite par l’attaque contre le Crocus City Hall.
Certes, les images violentes des arrestations des auteurs incriminés – sans que l’on soit sûr de leur culpabilité – sont censées rassurer une opinion russe traumatisée par cet événement hors norme. L’air hagard et les corps visiblement torturés des « terroristes » témoignent du désir de vengeance à la fois des services de sécurité qui ont échoué à anticiper ce geste, mais aussi de Poutine lui-même confronté à une nouvelle réalité stratégique qu’il croyait avoir éradiqué quelques années auparavant.
Pour les services de sécurité si prompts à poursuivre le moindre citoyen exprimant même un « léger désaccord » avec la propagande du Kremlin, l’humiliation est totale. Certes, il a toujours été plus facile de poursuivre des journalistes ou des intellectuels opposants au régime, mais respectant les institutions, que de poursuivre des terroristes agissant dans la clandestinité et soutenus par une idéologie ou une religion renforçant leur motivation à l’action armée. Depuis des années, Poutine n’a cessé de faire pression sur les différents opposants désormais contraints à l’exil ou au silence pour ne pas subir le sort funeste d’Alexeï Navalny.
L’acharnement pathétique de Poutine et de son premier cercle à vouloir attribuer cette affaire à l’Ukraine l’est d’autant plus que Kiev n’a aucun intérêt à conduire de telles attaques qui seraient totalement contre-productives. Déjà, une action de ce genre ne peut que renforcer la cohésion de la société russe et accroître le désir d’une vengeance aveugle. Ce qui serait en quelque sorte suicidaire pour l’Ukraine. De plus, alors que le président Zelensky réclame, à cor et à cri, un accroissement de l’aide occidentale : là encore, qui pourrait en Europe cautionner un acte aussi cruel ?
Le réveil est donc brutal pour Moscou qui découvre qu’il est confronté à une menace d’autant plus insidieuse et difficile à combattre qu’elle est de nature terroriste. À la limite, les règles de la guerre de haute intensité contre l’Ukraine sont claires et se basent sur le rapport de force et des considérations d’ordre militaire. Il y a une ligne de front et des armées régulières en confrontation.
Contre le terrorisme islamiste venant d’Asie centrale, la lutte est beaucoup plus complexe et davantage basée sur le renseignement et les actions ciblées que sur des bombardements à l’aveugle. La force brute y est beaucoup moins efficace et oblige à d’autres modes d’action plus subtils qui ne semblent pas l’apanage des services russes.
Maintenant, il faut rester vigilant face aux suites que Vladimir Poutine va pouvoir donner à cet échec majeur. Mobilisation partielle pour « en finir » avec l’Ukraine d’ici cet été ? Accroissement de la répression intérieure contre toutes les oppositions susceptibles de troubler son pouvoir ? Actions brutales en Asie centrale pour punir certains groupes ethniques hostiles à Moscou ? Poursuite des manœuvres de désinformation et de déstabilisation dirigées principalement vers l’Europe et la France, en particulier.
Une seule certitude, l’humiliation subie par le Kremlin ne prédispose pas à l’optimisme quant aux conséquences à venir.