À l'occasion des 60 ans de la mort du général Maxime Weygan, le colonel Claude Franc revient sur cette figure de l'armée française qui marqua la première moitié du XXe siècle, étant un officier qui joua un rôle important pendant les Première et Seconde Guerres mondiales.
Il y a 60 ans – Le Général Weygand (1867-1965), la haute conscience de l’armée (T 1675)
Weygand à son bureau en 1930
60 years ago —Le Général Weygand (1867-1965), Army's high awarness
On the occasion of the 60th anniversary of the death of General Maxime Weygan, Colonel Claude Franc looks back at this figure of the French army who marked the first half of the 20th century, being an officer who played an important role during the First and Second World Wars.
Il y a 60 ans, le 28 janvier 1965, le général Weygand disparaissait dans sa 99e année, victime d’une chute fatale dans son appartement parisien. En fait, si on veut évoquer la figure de ce grand soldat, on ne peut que constater que Weygand se trouve au centre d’un carré dont les côtés sont, d’abord le cavalier d’avant-guerre, puis le chef d’état-major de Foch, véritable ombre de ce dernier, ensuite le chef vaincu de 1940 qui s’est lancé immédiatement dans la reconstitution d’une nouvelle armée française et, enfin la grande conscience militaire française de l’après-guerre, durant presque vingt ans.
Mais auparavant, il convient de souligner une singularité de Weygand, qui l’obsédera toute sa vie : naturalisé français au cours de son stage d’application à l’École de Cavalerie, et donc né étranger, Weygand ne connaîtra jamais l’identité véritable de ses parents. Aujourd’hui, de récents travaux (1) le concernant ont fait apparaître, sans beaucoup d’ambigüité possible, qu’il serait le fils naturel de l’impératrice Charlotte du Mexique (fille du roi des Belges Léopold Ier et épouse de l’empereur Maximilien, lui-même frère cadet de l’empereur François Joseph) et d’un des aides de camp de son mari. Cette naissance pèsera sur sa personnalité. Ainsi au cours de l’été 1942, lorsque Giraud, récemment évadé d’Allemagne, vient se mettre à ses ordres pour le moment où la France rentrera à nouveau en guerre, Weygand lui oppose l’impossibilité d’une telle sédition, au motif qu’il n’est pas né français.
Weygand cavalier
À sa sortie de Saint-Cyr, Weygand choisit la cavalerie et son année d’application à Saumur sera pour lui à la fois une révélation et la confirmation de la pertinence de son choix. Toute sa vie, il restera marqué du particularisme de l’esprit cavalier, si fort à l’époque et qui perdure encore ; mais Weygand n’était pas un cavalier de concours, et restait avant tout militaire. La cavalerie constituait, dans son esprit, l’arme de la décision selon ses deux modes opératoires, renseigner et couvrir par le mouvement et combattre par le choc. Les unités de « Légère » étant dévolues aux deux premiers et celles de la « Lourde » au second. Weygand a d’ailleurs alternativement servi dans les deux subdivisions d’arme. Ce faisant, il était bien représentatif de son époque, pas uniquement en France d’ailleurs, mais dans toutes les armées européennes, où personne n’avait convenablement tiré les enseignements de la Guerre de Sécession, au cours de laquelle la puissance du feu devait, à moyen terme, condamner la présence et l’action de la cavalerie sur le champ de bataille, au moins dans son volet classique.
Autre marquant de son époque, comme la majorité des cavaliers de sa génération, Weygand ne s’est pas présenté au concours d’admission de l’École supérieure de guerre (lequel, à l’époque se passait très jeune, au cours des dernières années de lieutenant ou les premières dans le grade de capitaine). Les cavaliers préféraient demeurer au sein de leur arme, plutôt que d’aller servir au sein de service d’état-major qui les éloignait de la troupe et des chevaux. Ce particularisme d’arme ne sera pas bénéfique à la cavalerie dans la durée (mis à part les généraux d’Urbal et de Mitry, il n’y a pratiquement pas eu de cavalier titulaire d’un commandement d’armée durant la Grande Guerre) (2).
Toutefois, si Weygand n’était pas breveté, il restait passionné par l’emploi des formations de son arme et, à ce titre, il fut nommé, en 1910, directeur général de l’instruction de l’École de cavalerie (le prestige attaché à la fonction de DGI de l’École de Cavalerie perdure encore de nos jours). Lors d’une inspection de Joffre en 1912, celui-ci fut frappé par la clarté et la pertinence des exposés de Weygand. Il décida alors de l’envoyer comme auditeur de la session du Centre des hautes études militaires (CHEM) qui allait s’ouvrir et d’avoir l’œil sur lui. On verra rapidement toute l’importance de la bienveillance de Joffre portée à la carrière de Weygand.
Le cavalier Weygand n’avait rien de l’homme de cheval, faisant une fixation sur le caractère monté immuable de la cavalerie. En 1921, il ouvrit la reparution de la vieille Revue de Cavalerie par un article remarqué où il s’affirme avec vigueur en faveur de la modernisation de la cavalerie et de sa mécanisation. Si la mécanisation, voulue et appuyée par lui, n’a pas pu se développer comme il aurait fallu qu’elle le fît sous son commandement entre 1931 et 1935, les vicissitudes économiques de l’époque y furent pour beaucoup et, il convient de l’écrire, également les farouches et stériles querelles internes à l’armée entre les armes, notamment l’infanterie et la cavalerie.
Weygand, chef d’état-major de Foch
Lors de la constitution du Détachement d’armée Foch, fin août 1914, il fallut trouver un chef d’état-major à son titulaire. C’est alors que Joffre se souvint de Weygand et le proposa à Foch. Adjoindre à Foch, ancien et brillant commandant de l’ESG un chef d’état-major qui ne fût pas breveté allait au-delà du paradoxe. Foch maugréa et dit à Joffre : « S’il ne fait pas mon affaire, je vous le renvoie la semaine prochaine ». On sait ce qu’il en advint.
En fait, Foch et Weygand, c’était l’eau et le feu. Foch, d’une intelligence pénétrante, avait du mal à s’exprimer clairement. Les idées se bousculant dans sa tête, les mots pour les exprimer s’embouteillaient dans sa bouche et il avait souvent recours à des onomatopées. En clair, il était souvent incompréhensible. Weygand, c’était tout le contraire, son expression était aussi limpide que sa pensée. Leur premier contact fut rugueux. Au reçu de l’ordre de Joffre du 4 septembre 1914, mettant un terme à la retraite, Weygand rédigea l’ordre de ce qui était devenu la 9e Armée. Il fut fraichement accueilli par Foch qui lui rétorqua : « Quand le commandant en chef décide de faire halte, il faut halter, c’est tout ». Foch fut cependant frappé par la clarté de l’ordre préparé par Weygand. Leur entente se noua durant les heures dramatiques des Marais de Saint-Gond. Rapidement, Weygand apprit à décrypter l’expression plus qu’elliptique de son chef. Leur entente fut sans nuage. Foch savait qu’il pouvait s’appuyer sur son chef d’état-major. Combien de visiteurs à son poste de commandement (PC), se sont attiré cette réponse cinglante lorsqu’ils avaient du mal à exposer clairement le but de leur visite ou de leur convocation : « Allez voir Weygand et déculottez votre pensée. Il viendra alors m’expliquer votre affaire ! ».
Foch ne prenait jamais une décision sans s’être au préalable enquis de l’avis de son chef d’état-major ; avis souvent suivi. En réciprocité, Weygand sut se montrer d’une discipline intellectuelle sans faille. Il n’exista nulle part ailleurs un attelage aussi complet autour de deux personnalités aussi dissemblables. Néanmoins, cette différence s’arrêtait au domaine des convictions profondes. Là, Weygand et son chef se retrouvaient à l’unisson : une foi religieuse fortement ancrée, mais sans ostentation. De même, ni l’un ni l’autre ne transigeait sur les fondements de la discipline, la fidélité au chef, qu’il soit civil (ministre ou président du Conseil) ou militaire.
Lorsqu’après la Somme, en décembre 1916, Foch fit partie de la même charrette des disgraciés que Joffre, Weygand demeura à ses côtés dans l’épreuve et, en 1918, lorsque Foch reçut, en pleine bataille, le commandement des armées alliées, ce fut tout naturellement que Weygand retrouva sa place de chef d’état-major (plutôt de major-général). Au moment des grandes offensives allemandes alors qu’un grave différend survint entre Foch et Pétain, qui commandait les armées françaises, Foch, qui savait qu’il ne pouvait faire à ce dernier qu’une confiance limitée (3), envoya quotidiennement Weygand à Provins (4) durant six semaines à la fin du printemps et au début de l’été 1918, s’assurer que les ordres du Grand quartier général (GQG) allié étaient bien pris en compte par le GQG français. Une telle mesure laisse des traces et Pétain ne pardonnera jamais. Jusqu’en 1940, les relations Pétain-Weygand furent exécrables, notamment en 1934, lorsque Pétain devint ministre de la Guerre (dans le ministère Doumergue, dit d’Union nationale) et que Weygand commandait les armées françaises. Même à Vichy, elles étaient loin d’être au beau fixe.
Weygand ne s’exprimait jamais, parlant de Foch, autrement qu’en disant « Mon Chef ». Cette fidélité de Weygand trouvera son apothéose le 11 novembre 1918 par sa présence dans le wagon de Rethondes lors de la signature de l’armistice par les Allemands et le 14 juillet suivant, en défilant à cheval juste derrière Foch qui ouvrait le défilé de la Victoire.
Weygand, le vaincu de 1940, restaurateur de la future armée française
En 1952, dans son discours de réception à l’Académie française, le maréchal Juin prononça ces mots : « […] Et s’il est vrai, comme on a bien voulu le reconnaître, que l’armée française reprit alors sa place dans l’ordre de bataille de nos Alliés avec un rôle nettement prépondérant, lors de l’offensive sur Rome, il faut savoir que le mérite en revient à cette petite armée d’Afrique, de transition, qu’après l’armistice, le général Weygand avait reformée et retrempée dans des intentions qu’il ne cacha à personne. »
Dans cette simple phrase qui, sous la Coupole, fut accueillie par un tonnerre d’applaudissements, tout était dit. Certes, le général Weygand était vaincu en 1940, mais il avait accepté la charge du commandement, en pleine bataille, alors qu’il savait pertinemment que la bataille était déjà perdue. Il s’attacha donc à l’armistice en le considérant comme ce qu’il était, une simple suspension d’armes, puisque la guerre se poursuivait et qu’aucun traité de paix n’avait été signé. Sa ligne était immuable : « L’armistice, tout l’armistice, mais rien que l’armistice ». Cette ligne de conduite n’était pas en cours à Vichy où Laval se trouvait en butte aux critiques incessantes de son ministre de la Défense nationale, Weygand. Ne voulant pas trancher ce conflit de personnes, Pétain envoya Weygand comme proconsul en Afrique (Afrique du Nord et Afrique occidentale française). C’est ainsi, éloigné de Vichy, que Weygand donna toute sa mesure. Non seulement, il mit à profit toutes les opportunités pour faire augmenter ses moyens et ses effectifs, mais surtout, il reforgea le moral de cette armée, sachant qu’elle serait le noyau de la future armée de la Libération, celle-ci ne pouvant se faire que depuis l’Afrique du Nord, préservée de toute occupation allemande. Pas dupes, les Allemands demandèrent le rappel du Délégué général en Afrique du Nord, qui, très mollement soutenu par Pétain, fut révoqué à la fin de l’année 1941, alors que de sombres nuages commençaient à s’amonceler dans l’horizon allemand. Rapatrié en métropole avec interdiction de séjour en Afrique du Nord, Weygand est arrêté par les Allemands peu après le débarquement allié en Afrique du Nord. Il restera interné jusqu’en 1945.
Weygand, la haute conscience de l’armée
Auréolé de son prestige de second du vainqueur de 1918, de celui de restaurateur moral de l’armée vainqueur de 1945 et servi par un caractère entier qui ne se prêtait pas beaucoup à faire des concessions, doté d’une longévité hors du commun (il commencera à rédiger ses Mémoires à l’âge de 87 ans), c’est tout naturellement que Weygand devint, à son corps défendant, la haute conscience militaire française de l’après-guerre. Au sortir de la guerre, l’armée française affichait des divisions profondes, issues des choix effectués par tout un chacun durant le conflit, sans parler des prisonniers qui rentraient de captivité. En outre, cette armée allait se trouver confrontée à des crises successives qui allaient gravement affecter son moral. Outre une biographie consacrée au général Frère, le premier chef de l’Organisation de Résistance de l’Armée, Weygand s’exprima. Il condamna sans appel le projet de Communauté Européenne de Défense et soutint Juin dans son action publique contre le projet.
S’agissant de l’affaire algérienne, Weygand n’a jamais fait mystère de ses opinions, s’étant exprimé publiquement pour déclarer qu’il voterait « non » au référendum d’autodétermination de janvier 1961. Néanmoins, toujours attaché à la discipline, Weygand devait condamner sans appel ce qui fut appelé le « putsch » d’avril 1961 et, plus encore, la folie criminelle de l’Organisation armée secrète (OAS) au selon de laquelle certains officiers se sont fourvoyés.
Disparu à l’aube de son centenaire, Weygand ne reçut jamais la consécration de cette position de figure tutélaire de conscience de l’armée. Aucune promotion de Saint-Cyr ne porte son nom, le ministre de l’époque, plus animé par une rancœur partisane que par un réel souci de concorde militaire s’y étant opposé avec toute la force de sa position (5).
Cavalier d’origine, dans l’ombre du vainqueur de 1918, refondateur de l’armée française après le drame de 1940, haute conscience de l’armée, Weygand a passé quarante-neuf années, soit la moitié de sa vie, dans le généralat. Maintenu en activité sans limite d’âge (6) pour services rendus au pays lors de son départ en 1935, le général Weygand était grand-croix de la Légion d’honneur.
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En outre, le général Weygand a été l'auteur d'un article dans la RDN, que vous pouvez retrouver dans le numéro de décembre 1956 : Weygand Maxime, « Des chefs ? », RDN n° 142, décembre 1956, p. 1447-1449.
(1) Notamment la biographie de Max Schiavon, qui fait l’objet d’une recension en son temps.
(2) Cette absence de représentation cavalière au sein du haut-commandement a été responsable de l’usure très rapide du Corps de cavalerie Sordet, les ordres qui lui furent donnés ne prenant que très faiblement en compte les contraintes d’emploi de la remonte qui s’est trouvée usée avant d’être employée. De même Sordet fut relevé de son commandement au tout début de la bataille de la Marne car il avait profité de la nuit pour envoyer ses montures à l’abreuvoir, la zone d’engagement de la journée du corps de cavalerie, le plateau du Santerrois étant absolument dépourvu de points de points de ravitaillement en eau pour les chevaux. Sordet fut injustement accusé d’avoir quitté le champ de bataille sans ordres.
(3) Lorsque Pétain décommanda de sa propre autorité la contre-offensive de Fayolle du 18 juillet 1918, Foch lui envoya ce message comminatoire : « J’annule vos ordres. Exécutez les miens. »
(4) Implantation du GQG français.
(5) Comme la promotion de Saint-Cyr entrée à Aix en 1940 prit le nom de « maréchal Pétain », conformément à l’ambiance du moment, la promotion suivante s’enquit auprès de Weygand pour savoir s’il accepterait qu’elle portât son nom. Non sans humour, Weygand répondit : « La tradition saint-cyrienne veut que les promotions soient baptisées du nom d’un grand chef qui ne soit plus en vie. Il ne vous aura pas échappé que, pour le moment, je ne remplis pas cette condition cardinale ».
(6) Il s’agit d’une disposition honorifique, consistant à laisser à son bénéficiaire sa solde d’activité. Le dernier bénéficiaire en a été le général Catroux, alors grand chancelier de la Légion d’honneur dans les années 1960.