Dans le nouveau « Parmi les revues » de la RDN, André-Hubert Onana analyse la dernière livraison de la revue américaine Foreign Affairs. Alors que Donald Trump vient d'arriver au pouvoir aux États-Unis, quel sera son impact sur le reste du monde ? En effet, l'actualité démontre que, du Proche-Orient à l'Ukraine, Donald Trump ne compte pas rester inactif dans cette nouvelle transformation internationale.
Parmi les revues – « The Strange Triumph of a Broken America. Will Trump Change the World? », Foreign Affairs, vol. 104, n° 1, janvier-février 2025 (T 1686)
Among the Reviews —“The Strange Triumph of a Broken America. Will Trump Change the World?”, Foreign Affairs, vol. 104, n° 1, january-february 2025
In the new "Among the Reviews" of the RDN, André-Hubert Onana analyzes the latest issue of the American magazine Foreign Affairs. Now that Donald Trump has just come to power in the United States, what impact will he have on the rest of the world? Indeed, current events show that, from the Middle East to Ukraine, Donald Trump does not intend to remain inactive in this new international transformation.
Cette première livraison de l’année 2025 s’appesantit sur l’état de la nation américaine au lendemain du retour au pouvoir de Donald J. Trump. Un dossier intitulé « Will Trump Change the World? » commis par six experts politiques, et un essai libre titré « The Strange Triumph of a Broken America » sous la plume de Michael Beckley, suscitent un intérêt particulier.
Les cinq articles qui constituent le captivant dossier esquissent une ébauche de réponse, pour le moins alambiquée, à la question de savoir si Trump pourra changer le monde tel qu’il le clame depuis les sentiers de la campagne électorale. En ouverture, Margaret MacMillan, Professeure émérite d’histoire internationale à l’Université d’Oxford, dans sa missive « Stress Test. Can a Troubled Order Survive a Disruptive Leader? » assimile Donald Trump au Mule de notre temps, car tout comme le mutant de la trilogie de science-fiction d’Issac Asimov, il s’érige en destructeur des conventions et règlements et briseur des institutions. De même qu’il est arrivé au pouvoir par le soutien d’une masse fanatique qui lui attribue les facultés de changer potentiellement le cours des événements et de créer une Amérique différente dans un monde différent. Puisant dans le registre historique mondial des leaders prétendument ambitieux et iconoclastes, l’auteure s’interroge sur la pertinence des politiques annoncées par le Président Trump, et met en garde contre les confrontations possibles que pourraient causer des fautes, malentendus et erreurs de jugement de l’administration américaine. Mais il est actuellement difficile de deviner la portée réelle de ces politiques sur la scène internationale.
Alexander Cooley et Daniel Nexon, respectivement professeurs de sciences politiques au Barnard College et à la Georgetown University relèvent le danger de l’ordre antilibéral prôné par le Président américain et ses affidés. Dans leur article « Trump’s Antiliberal Order. How America First Undercuts America’s Advantage », ils notent fort à propos que le retrait des États-Unis du multilatéralisme pourrait procurer un avantage stratégique à la Russie et la Chine. En se retirant de l’ordre libéral international qu’elle a elle-même créé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et qui constitue, jusqu’ici la source de sa puissance, l’Amérique laisse ostensiblement un vide en faveur de ceux qui la combattent. En effet, ces politiques soutiennent que Donald Trump, dans sa posture nationaliste, n’essaie que d’achever un ordre libéral chancelant durement éprouvé par les assauts incisifs russes et chinois. Le paradoxe est que ces puissances sont sur le point de tirer profit de cet ordre international en le modulant à leur image au détriment des États-Unis.
Dans la même mouvance, Niall Ferguson, chercheur à la Stanford University, dans un article poignant recommande à Donald Trump de se référer à Ronald Reagan pour mieux gérer la rivalité avec la Chine. Dans ce texte dense intitulé « How to Win the New Cold War. To Compete With China, Trump Should Learn From Reagan », cet expert suggère de faire des compromis avec la Chine pour réduire le risque cauchemardesque d’une troisième guerre mondiale. Mais il est peu probable qu’il le fera pour la simple raison que des faucons de son régime prônent une politique étrangère agressive fondée sur la puissance militaire.
Aux antipodes de ces appréhensions des bouleversements abrupts de l’ordre international, l’ancien Secrétaire permanent au ministère des Affaires étrangères de Singapour, Bilahari Kausikan, mentionne la continuité de la politique d’échange entre les États-Unis et le continent asiatique. À son avis, il n’y a rien de surprenant sous le soleil comparativement aux appréhensions de l’Europe. Telle est la quintessence de la réflexion titrée « Who’s Afraid of America First? What Asia Can Teach the World About Adapting to Trump ». L’auteur soutient que les relations entre l’Asie et Washington ont toujours été fondées sur les intérêts mutuels plutôt que sur les valeurs communes. Toutefois, le souci majeur, pour la plupart des pays asiatiques, a trait à la politique commerciale de l’administration Trump.
Matias Spektor, professeur de sciences politiques et relations internationales à la Fundaçao Getulio Vargas (FGV) de Sao Paulo au Brésil, se fait l’écho de la position du Tiers-Monde par rapport à la politique étrangère de Donald Trump dans son texte « Rise of the Nonaligned. Who Wins in a Multipolar World? ». Il souligne que Donald Trump va se heurter à l’insoumission des pays en voie de développement qui, faut-il le mentionner, oscillent entre les trois pôles de puissance actuels que sont les États-Unis, la Russie et la Chine. « La tentative de Trump de réaffirmer l’hégémonie américaine va se heurter à un monde qui est loin d’être malléable comme il le pense », note-t-il.
Enfin, le politologue Michael Beckley de la Tufts University, dépeint une Amérique en décadence, en proie aux solutions antilibérales, sous le titre « The Strange Triumph of a Broken America. Why Power Abroad Comes With Dysfunction at Home ». De prime abord, le professeur Beckley argue que « les États-Unis, en apparence, sont en plein chaos. Deux tiers d’Américains pensent que le pays se porte mal et près de 70 % estiment que l’économie stagne. La confiance au gouvernement a substantiellement baissé ». Toutefois, ces dysfonctionnements internes ont paradoxalement peu d’effets sur la puissance américaine dont la résilience repose sur son étendue géographique, sa dynamique démographique et les institutions politiques décentralisées. Il souligne que la nation américaine s’est souvent relevée plus forte des crises politiques, à l’instar de celle qui pointe à l’horizon sous l’ère Donald Trump. Cette résilience face aux soubresauts est conditionnée à l’unité nationale qui, elle-même, repose sur la réduction de la fracture sociale à travers l’accès universel à l’emploi et au logement, le développement d’infrastructures et l’éducation pour tous. Ainsi, le pays ne devrait pas, par pure peur de déclin, glisser dans le piège du protectionnisme et de la xénophobie qui pourraient miner ses atouts majeurs. Et d’avertir qu’en adoptant un faux discours de déclin, les États-Unis risquent de devenir une superpuissance sauvage, un monstre mercantiliste prêt à saisir la moindre goutte de richesse et de pouvoir au reste du monde.
En somme, ces quelques réflexions de personnes avisées résonnent comme un cri de cœur à l’intention non seulement de l’administration américaine actuelle, mais aussi des décideurs du monde entier, afin qu’ils évitent des stratégies cyniques menant à des politiques malsaines de nature à ruiner les normes éthiques universelles. Albert Einstein, en son temps, n’avertissait-il pas que « le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire ». ♦