Dans sa traditionnelle chronique du Moyen-Orient, l'ambassadeur Bertrand Besancenot fait le point sur les dernières actualités autour de l'Iran et des discours américains à propos de Téhéran. Ensuite, il analyse le choix de Donald Trump d'aller rencontrer Mohammed ben Salmane en Arabie saoudite pour son premier déplacement international en tant que 47e président des États-Unis.
Chroniques du Moyen-Orient – Relations États-Unis–Iran et visite de Trump en Arabie saoudite (T 1701)
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Middle East Chronicles —United States-Iran relations, Trump's visit to Saudi Arabia
In his traditional Middle East column, Ambassador Bertrand Besancenot takes stock of the latest news surrounding Iran and American rhetoric regarding Tehran. He then analyzes Donald Trump's decision to meet Mohammed bin Salman in Saudi Arabia for his first international trip as the 47th President of the United States.
Le président Trump va-t-il bombarder l’Iran ?
Le président américain a haussé le ton face à la République islamique d’Iran, agitant pour la première fois explicitement le risque de frappes militaires : « Il y aura des bombardements. Ce seront des bombardements jamais vus auparavant ! ». Dimanche 30 mars, le président américain Donald Trump a lancé sa menace la plus sérieuse et la plus directe en direction de l’Iran, dans le cas où ce dernier ne signerait pas un deal sur le nucléaire.
Le lendemain, le guide suprême Ali Khamenei lui répondait que toute attaque sur son pays appellerait une « frappe ferme de représailles », tandis qu’un haut commandant des Gardiens de la révolution avertissait que les Américains, qui disposent de près de 40 000 soldats au Moyen-Orient, « sont dans une maison de verre », d’où il ne fait pas bon « lancer des pierres »…
Une montée des tensions qui rend la menace militaire de plus en plus pesante, alors que le locataire de la Maison Blanche avait donné un délai de deux mois à l’Iran pour parvenir à une entente dans sa lettre délivrée le 12 mars dernier au ministre iranien des Affaires étrangères par l’entremise des Émirats arabes unis (EAU).
Renforcements des capacités militaires
Différents préparatifs laissent présager une escalade. La semaine dernière, les États-Unis ont déployé au moins quatre bombardiers B-2, capables de transporter des ogives nucléaires, sur la base de Diego Garcia, dans l’océan Indien. Avec les B-52, que Washington a fait voler à plusieurs reprises dans la région ces dernières semaines, ces avions sont les seuls à pouvoir transporter des bombes souterraines de 30 000 livres (plus de 13,6 tonnes) nécessaires pour atteindre les infrastructures nucléaires iraniennes. Juste avant cela, le Pentagone approuvait l’envoi d’un second porte-avions au Moyen-Orient, et dans la foulée, préparerait d’y déployer des systèmes de défense anti-aériens en cas de représailles de la part des rebelles Houthis – sous le feu américain au Yémen depuis mi-mars – comme de l’Iran. Autant de messages destinés à Téhéran, alors que les Israéliens tentent de convaincre leur allié américain de soutenir une action militaire.
De l’autre côté, Téhéran a cherché à montrer les muscles, dévoilant, le 25 mars, une vidéo apparemment tournée dans des kilomètres de tunnels où sont stockés des milliers de missiles. Selon le quotidien Tehran Times, considéré comme proche du pouvoir, un nombre important de ces projectiles sont désormais prêts à être lancés d’installations souterraines disséminées dans tout le pays. Dans ce contexte, les membres de l’« axe de la résistance » mené par Téhéran se montrent particulièrement actifs ces derniers temps. Le Hamas a ainsi appelé lundi 31 mars, pour la première fois de son histoire, « quiconque peut porter les armes, où que ce soit dans le monde […] à passer à l’action », alors que la guerre à Gaza a repris le 18 mars. Les rebelles Houthis lancent, pour leur part, de régulières salves de missiles en direction d’Israël depuis le début de la campagne américaine de frappes. Au Liban, deux tirs de roquettes visant Israël ont ébranlé le fragile cessez-le-feu entre le Hezbollah et l’État hébreu ces derniers jours. Certains soupçonnent que ces attaques non revendiquées seraient téléguidées par l’Iran pour maintenir une pression sur Israël avant d’éventuelles négociations avec les États-Unis.
Option diplomatique privilégiée… jusqu’à quand ?
Si la région semble de nouveau au bord du gouffre, Donald Trump paraît, pour l’instant, privilégier encore l’option diplomatique pour conclure un accord sur le nucléaire iranien. Le président américain est connu pour sa rhétorique belliqueuse – rappelons-nous des menaces brandies envers la Corée du Nord avant qu’il ne rencontre son dirigeant Kim Jong-un lors de son premier mandat. Cela ne présage pas nécessairement d’une action militaire.
Dans son allocution lundi 31 mars, l’ayatollah Ali Khamenei s’est d’ailleurs dit « pas trop préoccupé » par les menaces américaines d’une opération, qu’il a jugée « hautement improbable ». Refusant toute discussion directe sous les pressions et les menaces, la ligne officielle de la République islamique est néanmoins en faveur de pourparlers indirects, via des médiateurs comme Oman. Sans donner de précisions, le président américain a, par ailleurs, déclaré dimanche 30 mars que des responsables des deux pays « parlaient ».
Alors qu’un démantèlement total de son programme nucléaire est une ligne rouge pour Téhéran, Washington pourrait exiger une supervision stricte de l’ensemble des installations iraniennes, ainsi que des garanties qu’une économie iranienne délivrée des sanctions ne servira pas à reconstruire le réseau de mandataires régionaux de l’Iran, ou à gonfler ses programmes balistiques et de drones. De quoi annoncer des négociations ardues.
Pourquoi Donald Trump a-t-il choisi Riyad pour son premier voyage à l’étranger ?
Le président des États-Unis a confirmé qu’il avait choisi l’Arabie saoudite pour son premier voyage à l’étranger – une étape symbolique qui marque la politique étrangère d’un mandat présidentiel. « J’entretiens d’excellentes relations avec le Moyen-Orient », s’était vanté, lundi 31 mars, le locataire de la Maison Blanche, alors que la possibilité d’une tournée régionale au Qatar et aux EAU a également été évoquée.
Acteur-clé de la région, Riyad incarne en effet un partenaire essentiel des ambitions américaines au Moyen-Orient : la fin de la guerre à Gaza, la limitation des velléités nucléaires de l’Iran, la stabilisation de la Syrie et, au-delà, la négociation d’un cessez-le-feu entre la Russie et l’Ukraine, alors que la capitale saoudienne a accueilli des pourparlers autour de ce dossier en présence de Washington au cours de ces dernières semaines. Si aucune date n’a encore été officiellement communiquée, le président Trump devrait atterrir dans la région à la mi-mai, selon une source citée par le média américain Axios.
Investissements saoudiens
Le président américain veut obtenir des résultats qui lui permettront de montrer à l’opinion publique américaine qu’il défend les intérêts nationaux, même à l’étranger. « Les responsables saoudiens vont dépenser des centaines de milliards de dollars et les donner à des entreprises américaines qui fabriquent des équipements pour l’Arabie saoudite et d’autres pays du Moyen-Orient », s’est félicité Donald Trump, évoquant la création de nouveaux emplois aux États-Unis.
Il a égalment précisé dans son allocution que sa visite auprès du roi Salmane et de son fils, le prince héritier et Premier ministre Mohammed ben Salmane (MBS), dirigeant de facto du royaume, aura pour objectif de finaliser des accords entre Washington et Riyad, d’une valeur de près de 1 000 milliards de dollars au cours des quatre prochaines années – une information non confirmée par les responsables saoudiens. Un chiffre au-delà du montant de 650 milliards de dollars annoncé par MBS à l’occasion du premier entretien téléphonique du président américain avec un dirigeant étranger, en janvier dernier ; mais qui reste en deçà des promesses émiraties faites après la visite de cheikh Tahnoun ben Zayed à Washington, le 15 mars dernier, s’élevant à 1 400 milliards de dollars d’investissements sur quatre ans.
Aux yeux de Donald Trump, l’Arabie saoudite remplit tous les critères : des dépenses de défense élevées, principalement consacrées à l’achat de systèmes d’armement américains, des promesses d’investissements massifs aux États-Unis et une balance commerciale positive en faveur de ce dernier. Au cours de son premier mandat, le milliardaire républicain s’était d’ailleurs rendu dans le royaume à l’occasion de son premier voyage à l’étranger.
Les bonnes relations entre les deux pays permettront à Donald Trump de pousser pour une normalisation entre Riyad et Tel-Aviv, à laquelle serait attaché un accord de défense entre le royaume saoudien et les États-Unis. Une percée qui serait vue comme une victoire diplomatique de taille. La visite en Arabie saoudite sera évidemment l’occasion pour l’administration américaine de faire pression pour la signature des accords d’Abraham, mais les éléments indispensables à la normalisation ne sont aujourd’hui pas réunis. Après la guerre à Gaza, l’Arabie saoudite insiste en effet désormais sur un engagement en vue de la création d’un État palestinien comme condition préalable. D’autant que Riyad accueillait, en février dernier, un sommet sur la reconstruction de Gaza avec la participation de l’Égypte, de la Jordanie et d’autres États du Golfe, en guise d’alternative au projet de « Riviera du Moyen-Orient » de Donald Trump, qui implique l’expulsion des habitants de l’enclave. L’Arabie saoudite a également pris l’initiative – conjointement avec la France – de convoquer en juin prochain à New York une conférence internationale sur la solution à deux États pour régler la question palestinienne.
Escalade contre Téhéran
Si Donald Trump se rend à Riyad en mai prochain, la visite coïncidera avec la date limite fixée par les États-Unis à l’Iran pour parvenir à un accord sur son programme nucléaire. Au cours de sa tournée dans la région, Donald Trump pourrait rechercher un alignement plus étroit des États du Golfe sur la politique américaine à l’égard de l’Iran et des Houthis. Il pourrait également solliciter de nouvelles garanties d’un accès sans entrave des États-Unis aux bases militaires américaines et à l’espace aérien du Golfe en cas d’escalade des tensions, alors que ces dernières semaines les frappes américaines se sont intensifiées contre les rebelles houthis soutenus par l’Iran au Yémen et que s’accroît la menace d’une opération militaire contre la République islamique.
L’Arabie saoudite, le Qatar et le Koweït auraient cependant déjà informé Téhéran qu’ils ne permettraient pas aux États-Unis d’utiliser leurs bases aériennes pour frapper l’Iran, selon une source saoudienne citée lundi 31 mars par le média israélien I24. Alors que Riyad a normalisé ses relations avec Téhéran en mars 2023, l’objectif du royaume est en effet d’assurer la stabilité de la région, afin de pouvoir mettre en œuvre ses mégaprojets et concrétiser ses ambitions du plan « Vision 2030 ». Le souvenir des bombardements massifs attribués à Téhéran contre les installations pétrolières saoudiennes en 2019, auxquels Washington n’avait pas répondu, est encore dans toutes les têtes. Les États du Golfe essaieront donc d’utiliser ce voyage pour tenter de convaincre les États-Unis de ne pas attaquer l’Iran et ainsi montrer à Téhéran qu’ils ne sont pas une extension américaine dans la région.
Reste que Washington dispose de plusieurs leviers de pression : les pays du Golfe restent très sensibles aux garanties de sécurité américaines. L’Arabie saoudite est probablement toujours intéressée par la conclusion d’un traité de défense assorti d’un accès à la technologie nucléaire américaine, tandis que les EAU pourraient s’intéresser aux avions de combat F-35. L’exemption de droits de douane sur les exportations d’aluminium des pays du Golfe ou l’assouplissement des restrictions d’accès à l’intelligence artificielle et aux technologies de pointe font également partie des options de Donald Trump. En sens inverse, MBS peut utiliser la carte d’un rapprochement avec la Chine, qui est déjà largement entamé.
Ces arguments américains pousseront-ils Riyad à revoir sa position régionale pour autant ? Cela semble peu probable dans les conditions actuelles. ♦