Reprenant les grandes thématiques des débats actuels, le frère cadet de notre vingtième Président de la République s’empare ici de l’outil historique pour modeler sa propre vision de l’avenir.
L’auteur ne se contente pas d’utiliser le passé pour projeter une histoire dans le futur : il imagine audacieusement les transformations de la société et les progrès de l’Humanité par le truchement de nos potentiels présents. Les évolutions mondiales dans les différents domaines de la connaissance et du savoir, des sciences exactes et des sciences sociales, du politique en passant par le technologique ; toutes ces descriptions s’entremêlent et se complètent pour forger un propos ambitieux et original. Rappelons que l’auteur est membre du « Conseil pour l’avenir du monde » et président-fondateur du « Comité pour un parlement mondial ».
L’ouvrage, prenant la forme d’un récit romanesque, est divisé en quatre chroniques couvrant chacune une période temporelle précise (10 ou 15 ans). Le narrateur est un entrepreneur polyglotte multimilliardaire de 78 ans. Sa longue expérience professionnelle de patron d’une société médicale lui permet de poser un regard clair et assuré sur les transformations dont il fut le témoin. Les cinquante années décrites sont ainsi jalonnées de crises et de renaissances, de folies meurtrières et de sagesse philosophique, de catastrophes naturelles et de miracles politiques. Il nous offre une description globale et macrosociologique des évolutions de la société mondiale, à laquelle s’ajoute parfois une description particulière et microsociologique relative à l’organisation de son entreprise.
Le récit s’ouvre sur la contagion des révolutions du Printemps arabe, qui aurait touché l’ensemble de la planète : les peuples ont pris le pouvoir, renversant de facto l’ancien monde corrompu. L’anarchie s’est généralisée et le monde n’a pu que constater l’accouchement raté d’un nouveau modèle. Nonobstant une série d’attentats atomiques, de pressions islamiques et de répressions militaires, l’intégration mondialisée des États s’est accrue. Au sein de nouvelles institutions supra-étatiques, la mutualisation des outils monétaires, militaires et administratifs a permis l’émergence d’une gouvernance transnationale, régulée par une interdépendance économique et culturelle graduelle.
Ces effets positifs font cependant place à leurs corrélatifs négatifs : la deuxième chronique s’ouvre sur la crise structurelle du modèle productif chinois. Après « 40 années glorieuses », l’économie chinoise, surendettée, entre en récession et entraîne dans son sillage l’ensemble de l’économie mondiale par le mécanisme des cercles vicieux évolutifs. Après une nouvelle série de révolutions, l’économie redémarre grâce à la combinaison des énergies solaires et des innovations relatives au dessalement de l’eau de mer, permettant une croissance exceptionnelle de l’agriculture mondiale. La résilience de l’Homme, égrenée tout au long du propos, s’avère décidément étonnante : elle témoigne d’une confiance optimiste de l’auteur envers la capacité humaine de dépassement perpétuel.
Une nouvelle époque de paix, forgée dans le moule angélique de la tolérance et du développement fraternel, s’ouvre alors. L’exploitation des nanotechnologies et de nouveaux minéraux enfante une qualité et un niveau de vie croissants et égalisateurs. Avec un réalisme froid, l’auteur n’oublie pas de mentionner les facteurs de régulation démographique favorisant cette prospérité : les catastrophes environnementales et sanitaires tout d’abord, une criminalité collective accrue et destructrice dans un second temps et enfin les causes sociales, avec l’explosion consommée de la famille nucléaire, la politique de l’enfant unique généralisée, l’indépendance totale de la femme entamant la natalité ainsi que la domination multimillénaire de l’homme.
L’auteur nous dévoile alors sa vision du monde régulé et rationalisé qu’il appelle de ses vœux : celle « d’une nouvelle société libérale et humanitaire », proche du projet kantien et de l’utopie de démocratie mondiale. De nouveaux espaces géographiques se forment : l’Union Israélo-palestinienne et la réunification des deux Corées sont imposées par la force des peuples eux-mêmes, mués dans une volonté pacifique fantasmée. Les murs entre les hommes sont faits pour être abattus, celui du Proche-Orient et du Nouveau Mexique le sont ici. Enfin, le débat brûlant sur la souveraineté nationale s’éteint progressivement sous l’impulsion d’une interconnexion mondiale en accroissement tendanciel : le multiculturalisme accentué par un renouveau de justice fiscale et salariale jugule les tensions et les différences. Le livre s’achève pourtant sur une note négative, appariant apocalypse et science-fiction, que l’auteur de cet article laisse au lecteur le soin de découvrir.
La plume d’Olivier Giscard d’Estaing, claire sans être claironnante, sa langue, châtiée sans être chatoyante, sa prose, simple sans être simpliste, donnent finalement naissance à un ouvrage précis et concis mais hybride, naviguant entre essai politique et digressions du sage. Notons que l’auteur s’écarte parfois des chemins de la Raison pour laisser parler le Cœur : empruntant le chemin des possibles avec lucidité, il s’égare parfois sur la route du fantasme avec ferveur. Invitation au voyage ouvrant le chemin à la réflexion téléologique ; multiples sont les sentences lapidaires, que le lecteur pourra apprécier au fil des pages, valant bien des péroraisons scientifiques : « Finalement on vit mieux avec 6,2 milliards d’habitants qu’avec 9 à 10 milliards de consommateurs ».