
Ce formidable album nous fait découvrir, via les cartes postales, l’École militaire autour des années 1900. Le support de la carte postale connaît son âge d’or à la Belle Époque (ca 1880-1914) et constitue un moyen de communication rapide et pratique alors que le téléphone en est encore à ses balbutiements. Tout le monde envoie des cartes postales et celles-ci, grâce à un arrêté ministériel de 1904 autorisant le découpage en deux parties (texte et adresse du destinataire) deviennent le support d’écriture le plus répandu pour envoyer des nouvelles.
La photo devient alors essentielle et tous les sites et monuments se voient abondamment photographiés pour illustrer ces cartes. À Paris, bien sûr la Tour Eiffel, Notre-Dame et les Invalides constituaient des illustrations très recherchées, ce qui est d’ailleurs le cas encore aujourd’hui. Ainsi, l’École militaire a fait partie des lieux « transformés » en cartes postales avec une abondance de vues. Celles-ci ont été très judicieusement rassemblées dans ce livre retraçant à la fois le quartier de l’École militaire et la vie quotidienne de ce qui était d’abord une grande caserne avant de se recentrer progressivement sur la formation des officiers supérieurs – une des conclusions du retour d’expérience de la guerre de 1870.
Bien sûr, l’ensemble architectural Tour Eiffel, Champ-de-Mars, École militaire constitue un patrimoine exceptionnel qui va être photographié sous tous ses angles, y compris avec des vues aériennes que l’on retrouve dans l’ouvrage. L’harmonie du château construit par l’architecte Gabriel en 1752 et des deux ailes construites en 1856 sous Napoléon III est mise en valeur avec, sur les photos, les voitures à traction hippomobile, les charrettes et les rails des tramways (1).
Le paradoxe de l’album est une forme d’immuabilité du site qui a peu changé sur le plan architectural et il en est de même pour le quartier, hormis les constructions Place de Fontenoy dans les années 1930 avec les bâtiments des ministères du Travail et de la Santé puis, dans les années 1950, avec l’UNESCO sur la partie ouest de cette même place. Auparavant, des casernements longilignes occupaient ces espaces côté sud de l’École militaire.
Au-delà des différents édifices, c’est la vie quotidienne qui est rapportée ici. Une grosse caserne, en plein cœur de Paris avec des soldats et des chevaux, car ceux-ci ont été étroitement liés au fonctionnement de nos armées jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Vie de caserne, avec ses « troupiers » y vivant, y travaillant, s’y entraînant et y dormant dans des chambrées au confort relativement rudimentaire par rapport aux casernes construites en 1880 et 1900 par la IIIe République pour des conscrits venant d’une population encore majoritairement rurale (2) ; mais ils étaient à Paris, la Ville lumière.
Autre intérêt du livre, les événements qui ont marqué l’École : la remise en 1905 à l’US Navy de la dépouille de l’amiral Jones (1747-1792), pourfendeur des Anglais sur les océans, avec une cérémonie exceptionnelle où les détachements militaires français et américains rendent les honneurs ; ainsi que, bien sûr, la cérémonie de remise de la Légion d’honneur au commandant Alfred Dreyfus le 21 juillet 1906, 21 ans après sa dégradation dans cette même enceinte. De nombreuses cartes postales ont été éditées à cette occasion et sont regroupées ici offrant de fait un reportage sur l’événement qui était tant militaire que politique.
Autre temps fort rapporté ici : la mobilisation de 1914 et la revue du général Gallieni, gouverneur militaire de Paris, pour les 3 000 jeunes effectuant une préparation militaire en novembre de cette même année. Personne ne pouvait alors imaginer que la guerre allait durer encore quatre ans.
Ce très bel album ravira aussi bien les amateurs de cartes postales que les passionnés d’histoire militaire, mais aussi les Parisiens retrouvant l’histoire d’un quartier hautement symbolique de la capitale. Seul regret, il n’y a plus aujourd’hui de cartes postales de l’École militaire disponibles dans les kiosques du quartier. Heureusement, la Tour Eiffel et les Invalides sont encore abondamment photographiés pour satisfaire les touristes et les cartophiles.
(1) La ligne de métro (actuellement ligne 8) n’est construite qu’en 1913. Une station Champ-de-Mars a fonctionné de 1913 à 1939 et n’a pas été rouverte après la Seconde guerre mondiale.
(2) En 1900, 59 % de la population française est rurale.