Structurations stratégiques en Afrique
Introduction
Structurations conflictuelles
L'Afrique connaît récemment de nombreuses crises sous des formes différentes. L'instabilité politique apparaît récurrente dans certains pays tels que la Guinée, le Zimbabwe, ou elle peut se développer de façon spontanée dans certains États tels que le Kenya, la Mauritanie. Des conflits perdurent toujours dans la corne de l'Afrique ou au Soudan. En Afrique centrale, la présence de l'Union européenne et de l'Organisation des Nations unies à l'est du Tchad et au nord de la République centrafricaine est là pour empêcher que la situation ne dégénère.
Face à la fragilité de la situation du continent africain, des groupes criminels et terroristes se développent, notamment dans le golfe de Guinée et au Sahel. Le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) devenu « Al-Qaïda pour le Maghreb islamique » cherche à renforcer sa position dans le Sahel, notamment en s'alliant avec les populations locales. Depuis le mois de septembre 2008, le « Mouvement pour l'émancipation du delta du Niger » attaque les grandes compagnies qui exploitent le pétrole dans cette zone.
La région du Darfour, à l'ouest du Soudan, et les provinces du Nord et du Sud Kivu, à l'est de la République démocratique du Congo sont à l'intersection d'intérêts multiples et de modes d'actions divers. La complexité de ces conflits armés révèle tout d'abord un enchevêtrement de nombreux facteurs, notamment politique, économique, social et environnemental. En outre, chacun de ces deux exemples illustre la manière dont la reconfiguration constante des alliances entre les États et les acteurs non-étatiques finit par aboutir à la régionalisation de la violence. L'objectif de cet article est de revenir sur les dynamiques qui ont contribué à la propagation de ces conflits armés ainsi qu'à leur transformation en « système de conflits ».
Cet article analyse les expressions de la piraterie maritime (groupes organisés, répertoires d'action, revendications) dans le golfe de Guinée : un espace trop souvent négligé dans l'étude du phénomène. La seconde partie de la recherche montre que l'Organisation internationale de la francophonie en rapport à la piraterie est en retard. Son dispositif de prévention et de gestion des crises est calqué sur le modèle des conflits politique, institutionnel et social, qui n'ont rien à voir avec la criminalité maritime alors même que c'est elle qui constitue aujourd'hui le principal défi sécuritaire des États francophones côtiers, fluviaux et lacustres du golfe de Guinée.
La tendance à la propagation d'un conflit et à sa diffusion hors d'un territoire national du fait de la perte de capacité de gestion de l'État constitue une des manifestations stratégiques contemporaines sur le continent africain. Cet article analyse cette problématique de la régionalisation conflictuelle en Afrique de l'Ouest.
Structuration continentale
Malgré une philosophie commune de rassemblement, il existe assez peu de ressemblances dans la façon dont se sont structurés les continents européen et africain. Chacun s'est organisé en fonction d'objectifs différents et selon sa propre histoire. L'Union européenne est une organisation à vocation essentiellement économique qui cherche à développer une politique étrangère et de sécurité commune, alors que l'Union africaine entend d'abord assurer la sécurité et le développement économique sur le continent en s'appuyant sur les organisations sous-régionales.
En revanche, il existe bien actuellement une influence de l'Union européenne acceptée par les organisations régionales et sous-régionales africaines sur la structuration du continent africain. Elle s'exerce dans le domaine normatif que l'on retrouve dans les traités conclus, dans le champ économique par le biais du libre-échange défendu dans les accords de partenariat économiques, et dans la sphère militaire avec l'aide européenne fournie aux organisations africaines en charge du maintien de la paix et le programme de formation Eurorecamp.
Le panafricanisme est né dans la diaspora ; mais il a eu aussi un ancrage dans la pensée et l'action d'une intelligentsia africaine doublement engagée dans un processus de réhabilitation culturelle et de libération politique de l'Afrique. Dans son évolution, le panafricanisme nourri par la pensée humaniste et l'engagement de ses précurseurs va être un important carrefour où se croisent et se fécondent militantisme, réflexion et recherches sur l'Afrique. Il passera de la théorie de l'unité africaine au projet politique d'intégration sous la forme des États-Unis d'Afrique.
L'avènement de l'Union africaine constituera une étape importante dans l'émergence d'un nouveau panafricanisme qui reste confronté aux divergences des États concernant les modalités de l'intégration. La volonté d'accélérer malgré tout le processus s'est traduite par la transformation de la gouvernance de l'Union africaine et la mise en place d'une Autorité politique en lieu et place de la Commission. Le panafricanisme reste attendu sur sa capacité à produire une stratégie pour capitaliser les acquis des expériences actuelles d'intégration régionale et faire de celle-ci un élément de réponse aux défis que vit l'Afrique.
Comment la francophonie en tant qu'instrument de la politique étrangère des pays ayant le Français en partage entend contribuer à la résolution des conflits en Afrique ? Cette contribution entend apprécier le rôle de l'OIF à l'aune de ses activités en matière de prévention des conflits et de sa participation dans le maintien et le rétablissement de la paix sur le continent.
Afrique et armement : le rendez-vous attendu
Dans son discours prononcé, le 28 février dernier, au Cap, devant les parlementaires sud-africains, le président de la République a souhaité « remettre à plat » les accords de défense qui lient la France avec certains États africains depuis les années 60, sur la base de relations constructives et décomplexées, sous le sceau d'une stratégie commune entre « nations égales en droits et devoirs » de part et d'autre des continents européen et africain.
Dans ce sens, le renforcement des capacités africaines de maintien de la paix à travers la sixième génération du programme d'équipement, formation et entraînement Recamp, concept français de renforcement des capacités africaines de maintien de la paix (2007-2009) en partenariat avec l'Union africaine et sous l'égide de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (Cedeao), ne doit pas seulement se réduire à ne « penser » l'équipement en matériels des forces armées africaines et la formation des hommes qui les servent comme une simple mise à disposition de matériels « remisés ». Dès lors, qu'elles pourraient être ses coopérations militaires du futur en Afrique ?
Le président de la République a décidé d'orienter les activités militaires françaises en Afrique vers le soutien aux Africains pour les aider à prendre en main leurs problèmes de sécurité. Cette décision impose une réflexion sur la nécessaire adaptation des activités militaires françaises en Afrique. Les missions des forces de présence doivent être modifiées pour renforcer leurs solidarités avec les forces africaines. Il s'agit aussi d'établir une meilleure coordination avec l'action de la coopération militaire française qui joue un rôle important dans l'harmonisation des systèmes de défense africains. L'efficacité de l'ensemble repose sur une cohérence qui suppose un commandement particulier chargé du maintien de tous dans l'axe de la mission, de la prise en compte des préoccupations africaines et des nombreuses questions de formation et de gestion des personnels. Dans le cadre de ses nouvelles préoccupations, la France pourrait, avec les autres pays européens ayant des responsabilités en Afrique, être un passeur d'expérience pour que l'Europe prenne conscience de sa nécessaire solidarité avec l'avenir du continent africain.
Depuis les indépendances, les pays africains connaissent des crises qui ont, entre autres, déstructuré l'ensemble de leur administration en charge des questions de sécurité (l'armée, la police, la justice). La réforme du secteur de sécurité (RSS) apparaît comme la condition première pour créer des conditions favorables de sortie de crise. Pourtant actuellement, ses résultats sont mitigés, notamment en raison de la réticence de certains dirigeants africains et à cause de la multiplication d'acteurs extérieurs qui cherchent à développer chacun leur programme de réforme, limitant ainsi les possibles synergies.
Pourtant, certaines situations d'instabilité qui perdurent sur le continent africain nécessiteraient la mise en œuvre de telles réformes avant que la situation ne dégénère. Afin d'être pleinement efficaces, elles devraient être menées dans le cadre d'une nouvelle approche. Elle viserait à proposer un programme de « certification de la gouvernance sécuritaire » que les pays africains pourraient solliciter, afin d'assurer une reconstruction durable ou pour prévenir une crise.
Structurations sous-régionales
La Cedeao possède tous les outils nécessaires à la gestion de crise. Depuis les instances décisionnelles jusqu'aux forces en passant par les mécanismes de gestion et les outils de formation. Dans ce domaine, elle est probablement la sous-région la plus avancée de l'Union africaine. Ses expériences au Sierra Leone, au Libéria en Côte d'Ivoire et récemment son implication en Guinée montrent son aptitude à réagir aux crises sous-régionales. Toutefois ses faiblesses financières, générales au continent, ne permettent pas encore d'agir dans la durée. Pionnière en matière de sécurité en Afrique, la Cedeao doit maintenant consolider les outils lui permettant d'assurer sa visibilité en tant qu'organisation sous-régionale et de gérer dans la durée les opérations déployées. Elle pourrait ainsi grâce à une subsidiarité bien comprise alléger les charges de l'ONU et de l'UA dans une région où les facteurs de crise sont toujours présents.
L'Afrique centrale est de l'avis des experts la partie de l'Afrique subsaharienne où l'intégration régionale est la moins avancée. L'absence de complémentarité entre les économies des différents pays et la faible appropriation par les États des différents processus d'intégration expliquent cet état de fait. Or, l'équilibre fragile de la sous-région est susceptible d'être bouleversé par les mutations du contexte international que sont l'implication croissante des acteurs extrarégionaux, la libéralisation des échanges avec l'Union européenne et la compétition globale pour l'approvisionnement énergétique. Il s'avère donc nécessaire de redéfinir la coopération entre les États autour de priorités sectorielles (énergie, transport, sécurité transfrontalière) dans le cadre de la Communauté économique de l'Afrique centrale qui est le processus d'intégration le plus avancé.
Dix après le rétablissement de la Communauté est-africaine (East African Community, EAC), en 1999, les interrogations sur le rôle effectif que cette jeune organisation régionale peut jouer en Afrique orientale demeurent. Depuis les indépendances, les organisations intergouvernementales africaines connaissent en effet « une floraison impressionnante (plus de deux cents actuellement), qui n'a d'égale que leur incapacité à remplir les objectifs affichés » (F. Grignon, 2000). Aussi, la multiplication et l'intensification des conflits en Afrique de l'Est ou encore l'émergence de crises politiques internes sont autant d'épreuves qui démontrent les limites de l'organisation dans la gestion de l'instabilité politique de la zone. Néanmoins, il ne s'agit pas pour autant de conclure à l'échec de l'EAC dans sa capacité de prévention et de gestion des crises. L'EAC démontre incontestablement le lien étroit qui unit les processus d'intégration commerciale et économique et la promotion de la sécurité.
Actuellement, l'Afrique subit la crise économique de 2008 par un assèchement des ressources venant du reste du monde. En réaction, l'intégration régionale mise en place depuis de nombreuses années semble être la stratégie la plus adaptée pour tempérer les chocs externes et se préparer à la concurrence mondiale. À ce titre la Communauté pour le développement de l'Afrique australe (SADC), dotée de 15 membres, a lancé une zone de libre-échange, en 2008. Elle s'est engagée dans la construction d'un espace politique et économique sur le modèle de l'Union européenne. Pourtant, l'ambiguïté accolée au rôle dominant de l'Afrique du Sud, depuis son adhésion, nous interroge sur l'avenir réel de la zone. Le pôle sud-africain s'est investi d'une part pour imposer une certaine forme d'ordre international illustré aujourd'hui par sa médiation dans la crise du Zimbabwe, d'autre part en dynamisant les échanges intrarégionaux. Mais l'asymétrie de ce commerce, ajouté aux tensions politiques des divers pays membres, ralentit la poursuite de l'intégration. En effet, la multi-appartenance à des intégrations régionales est un des symptômes de ces hésitations. Le développement de projets régio- naux, dans les domaines des infrastructures et de l'énergie, et la volonté d'étendre la zone de libre-échange aux autres organisations de proximité, ainsi qu'à l'Union européenne, semble néanmoins garantir un avenir commun entre l'Afrique du Sud et ses partenaires.
Postface