Souvenirs d'un monde qui chavirait (2001-2011)
Les attentats de New York et Washington ont fait ressurgir des appels à la guerre totale d'un autre âge dont s'inquiètent les Européens. S'affrontent, de part et d'autre de l'Atlantique, deux visions radicalement différentes du droit, donc du monde. Et si le choc des civilisations n'était pas celui que l'on croit ?
Dans la guerre ouverte le 11 septembre 2001, si l'on mesure une victoire à l'objectif initialement fixé, celui-ci n'a de toute évidence pas été atteint. Nous sommes entrés dans une pure représentation de la crise pour ne pas en voir les fondements, et les États-Unis recherchent la guerre pour la guerre et non la victoire : leur pouvoir résidant non dans le fait de vaincre le plus rapidement possible, mais dans celui de faire étalage de leur puissance le plus longtemps possible.
Si l'Amérique est revenue au centre de toutes les disputes, elle l'est comme sujet, en ceci qu'il faut repartir de la représentation qu'elle se fait d'elle-même pour comprendre la grave crise identitaire qui secoue une nation uniquement préoccupée d'elle-même, piégée dans son refus d'un monde pris comme principe de corruption.
Quelle que soit l'issue de la crise irakienne, le président George W. Bush a conduit son pays dans un piège : sa rhétorique guerrière dresse le monde contre lui, et l'Amérique est désormais vue comme une nuisance. Il n'est pas déraisonnable de penser qu'elle mettra un terme à l'ère des empires. L'Europe peut y voir une chance à saisir, à condition de ne pas se tromper elle-même de projet.
Parmi les amabilités que les États-Unis ont réservées à la France lors de la crise irakienne, a ressurgi l'accusation d'être encore dans l'esprit de Munich. Or la bien mal nommée hyperpuissance est en train de démontrer son incapacité à imposer sa vision d'une société où le droit ne serait que la résultante de la force et du fait accompli, elle qui ne se projette dans le monde que par la violence.
Dès avril 2002, nous annoncions un « accident impérial » absolument prévisible. Bien plus que contingent, il est inscrit dans les racines les plus profondes de l'histoire américaine. La place de puissance dominante d'un XXIe siècle encore à définir étant désormais vacante, comment l'Europe compte-t-elle s'y prendre pour l'occuper ? Et d'ailleurs, est-il souhaitable qu'elle le veuille ?
Concluons notre relecture des relations transatlantiques qui nous a permis d'anticiper la confrontation que les États-Unis recherchent avec l'Europe. Il ne s'agit pas d'une simple dispute infra-occidentale au sein d'une communauté soudée par un socle de valeurs communes car l'Amérique a toujours rejeté la modernité européenne et n'a de raison d'être que dans ce refus fondateur. C'est à la lumière de l'actualité, et d'un despotisme non pas démocratique mais américain, qu'il faut relire Tocqueville.
Érigée en punition des péchés de 1789 par le régime de Vichy, signe irréfutable de la disqualification de la France pour beaucoup, la défaite de mai-juin 1940 continue d'alimenter la dénonciation d'une nation jugée coupable. Mais l'effondrement français fut avant tout un succès allemand qu'aucune logique n'annonçait a priori, et c'est mentir avec la mémoire que de se complaire dans la représentation convenue d'un événement qui n'a d'autre signification que d'être un pari gagné par le Blitzkrieg.
Le monde selon Rand (Décembre 2006) - Jean-Philippe Immarigeon - p. 95-102
Savoir le monde pour le gérer. Voilà l'ambition affichée par ceux qui vantent leurs modèles de management, alors que leur incapacité à répondre aux défis du terrorisme, de la prolifération nucléaire, de la pénurie d'eau ou des pandémies, ou tout simplement à gagner la guerre en Irak, sonne le glas de leurs ambitions. 2005 avait déjà révélé que le postulat déterministe avait atteint ses limites : 2006 aura montré qu'il n'a rien d'autre à proposer que la fuite en avant.
Afghanistan, Otan, Livre blanc : voilà la trilogie de notre future défense. Rupture radicale, elle semble n'avoir d'autre fondement que la volonté de clore la dispute irakienne et de s'aligner sur la politique américaine. Encore faudrait-il expliquer pourquoi il est urgent d'adopter une pensée managériale qui mélange guerre et stratégie, et dont l'échec est une nouvelle fois patent en Orient.
Au moment même où les conclusions du Livre blanc bousculent notre approche stratégique, voilà que la Rand Corporation découvre que le concept de guerre contre le terrorisme n'est qu'une chimère, qu'Al-Qaïda représente un risque proche de zéro, et que l'Amérique fait erreur depuis 2001 en s'engageant militairement en Afghanistan.
L'Amérique hors du monde (Février 2009) - Jean-Philippe Immarigeon - p. 115-118
Qu'il nous plaît ce rêve que le président américain ne cesse de célébrer ! Qu'elle est réconfortante cette idée que les vieilles recettes, qui ont fait son succès durant deux siècles, vont de nouveau pemettre à l'Amérique de rebondir ! Mais qu'il est régressif et infantilisant ce repli vers une pastorale sublimée, qui serait détachée des contingences de l'histoire !
Les mésaillées (Août-septembre 2009) - Jean-Philippe Immarigeon - p. 119-126
Après plus de deux siècles d'un mariage chaotique que l'on s'obstine à croire d'amour alors qu'il ne fut dès l'origine que de raison, la France et les États-Unis n'en finissent pas d'afficher leurs divergences de valeurs que d'aucuns nomment convergence d'intérêts. Les questions d'Orient et du terrorisme mettent de nouveau cette béance en lumière.
La crise n'est ni une surprise ni une catastrophe. Annoncée depuis une décennie, elle signe la fin d'une civilisation atlantique qui a fait son temps et doit être remplacée. Mais comment faire pour penser « en dehors de la boîte » ?
Postface – Il est minuit moins une - Jean-Philippe Immarigeon - p. 141-143
Recensions
Recensions - - p. 145-165
Karl-Heinz Frieser : Le Mythe de la guerre-éclair (Décembre 2003) Lire la suite
English Edition