L’objectif poursuivi ici est de fournir un schéma explicatif des relations politico-militaires dans la République fédérale d’Allemagne aux officiers français travaillant étroitement avec la Bundeswehr. Dans ce cadre sont examinées les responsabilités de plusieurs institutions et entités des ministères et de leurs administrations organiques, la structure de l’échelon suprême de la Bundeswehr ainsi que d’autres particularités et compétences du système politique allemand. Les éléments présentant une différence par rapport au système politique français font l’objet d’une attention spécifique.
Le système politico-militaire allemand : genèse et explication
La déclaration de Potsdam du 2 août 1945 prévoyait la démilitarisation totale de l’Allemagne comme condition des Alliés à toute réflexion sur sa reconstruction (1). La fin de la guerre, intervenue le 8 mai 1945, scella la défaite totale de la puissance militaire allemande et interrompit l’histoire de l’armée allemande au plan organisationnel. Ce n’est qu’avec la création de la Bundeswehr en 1955 que le fil de l’histoire fut officiellement repris.
De fait, le Corps fédéral de protection des frontières (Bundesgrenzschutz) créé en 1951, tout comme d’autres « groupes de services » (Dienstgruppen), avait déjà un caractère paramilitaire et représentait en 1955 un réservoir d’expérience capable d’alimenter les futures armées allemandes en personnel.
Les unités allemandes de dragueurs de mines qui, sous la surveillance des Alliés, détruisaient en mer du Nord et dans la Baltique les traces de la guerre, jouèrent un rôle semblable pour la création de la Bundesmarine.
Le « bureau Blank » (« Amt Blank »), du nom du ministre Theodor Blank, fonctionnait depuis 1950 comme l’organisme préfigurant le ministère fédéral de la Défense.
De nombreux cercles informels d’officiers de la Wehrmacht s’étaient constitués bien avant la création de la République fédérale d’Allemagne. Ils entretenaient des contacts avec les plus hautes sphères politiques et se livraient à un travail de lobby pour la création d’une nouvelle armée.
La Bundeswehr n’a donc pas été créée ex nihilo, comme l’affirmait Blank en 1955 devant le Bundestag. Elle est le produit d’organisations existant auparavant. Ainsi, la continuité de l’histoire militaire allemande est plus marquée que nous pourrions le penser au premier abord : malgré la décision prise par le Conseil de contrôle allié de démilitariser l’Allemagne, les dix années précédant 1955 ne devraient pas être considérées comme une longue année zéro de l’armée allemande.
Bref historique
Le politique à l’origine de l’institution militaire
Avec l’exacerbation croissante de la tension entre les vainqueurs soviétiques et occidentaux de la Seconde Guerre mondiale, les résistances au projet de création d’une armée en Allemagne de l’Ouest s’estompèrent, notamment aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Il était en effet devenu trop manifeste qu’on ne pourrait pas se passer de la puissance économique allemande ni des soldats que la RFA pourrait éventuellement fournir à l’Alliance occidentale. Cette décision fut facilitée par le fait qu’en Allemagne, durant les premières années d’après-guerre, une certaine stabilité politique commençait à se dessiner, faisant apparaître la République fédérale comme un partenaire fiable. En outre, l’idée d’étouffer dans l’œuf d’éventuelles ambitions que l’Allemagne nourrirait pour retrouver sa puissance par le biais d’une intégration à une alliance gagna du terrain.
Le chancelier fédéral Konrad Adenauer considérait la Bundeswehr comme un instrument permettant d’intégrer la RFA à l’Occident. Il entendait de cette manière atteindre son objectif premier, à savoir arracher aux Alliés les droits à la pleine souveraineté dont la RFA avait été largement privée lors de sa création en 1949. C’est un paradoxe qui éclaire la situation d’exception dans laquelle se trouvait la jeune République fédérale. Alors que la puissance armée, élément de la puissance étatique, est, en temps normal, le garant de la souveraineté, l’armée allemande était, après 1949, la condition permettant de rétablir une souveraineté allemande limitée.
La Communauté européenne de défense (CED) de 1952 devait créer une armée européenne et promouvoir ainsi l’unification de l’Europe occidentale. La France, les pays du Benelux, l’Italie et la RFA auraient été impliqués ; cette dernière s'y serait également intéressée parce que cela aurait signifié en même temps le réarmement et la fin du statut d’occupation. Le projet échoue en 1954 lorsqu’il n’obtient pas la majorité au Parlement français. La signature des Accords de Paris le 23 octobre 1954 constitua une autre étape importante du réarmement de l’Allemagne puisqu’ils mirent fin au statut d’occupation de la République fédérale d’Allemagne (2), ouvrant ainsi la voie à son adhésion à l’Otan un an plus tard. Ils conféraient à l’État ouest-allemand une souveraineté limitée en matière de défense et en firent un membre permanent de l’Alliance. Ce processus fut accompagné, sur le terrain de la politique intérieure, de manifestations contre le réarmement, expression de la critique d’une large fraction de la population vis-à-vis de l’institution militaire.
Au sein de la société et du monde politique, les débats furent menés avec passion, mais la politique d’Adenauer triompha. Ce succès n’était pas seulement à mettre sur le compte de la décision de ne pas appeler sous les drapeaux les hommes nés après le 31 décembre 1926 et avant le 1er juillet 1937 qui n’ont été ni enrôlés dans la Wehrmacht pendant la Seconde Guerre mondiale, ni, plus tard, dans la Bundeswehr. Ce sont les « classes blanches » dans lesquelles se trouvaient de nombreux opposants au réarmement allemand. Ce sont plutôt les événements tels que le blocus de Berlin en 1948-1949, ou la guerre de Corée en 1950, qui mirent en évidence l’émergence d’une menace internationale rendant indispensable une contribution militaire de l’Allemagne au sein de l’Alliance atlantique. En outre, l’anticommunisme largement répandu contribua à faire accepter la mise sur pied d’une armée qui, sous le drapeau du libéralisme démocratique, était de facto tournée contre l’Union soviétique. Le but déclaré était de mettre sur pied une force de 500 000 hommes en l’espace de quelques années.
Entre innovation et tradition
La Bundeswehr des débuts présentait tous les caractères du provisoire. Quand bien même des dispositions avaient été prises en secret au plan organisationnel pour sa mise sur pied, il n’y avait pas suffisamment d’uniformes pour habiller les 101 premiers soldats incorporés le 12 novembre 1955. En avril 1957 suivirent les 10 000 premiers appelés du contingent à qui, également, uniformes et tenues d’hiver appropriés n’avaient pu être fournis en nombre suffisant. Engins majeurs et blindés étaient inexistants dans un premier temps, sans même parler des avions.
Depuis le 12 novembre 1955, bicentenaire du réformateur militaire prussien Gerhard von Scharnhorst, cette date est considérée comme le jour de la fondation de la Bundeswehr. Par ce symbole, les responsables politiques et militaires soulignaient publiquement que la Bundeswehr ne devait pas s’inscrire dans le prolongement de la Wehrmacht. Dans le document appelé Mémorandum de Himmerod, on pouvait lire que « les conditions de la reconstruction [d’une armée allemande] diffèrent de celles ayant prévalu dans le passé » et que « quelque chose de fondamentalement nouveau doit être créé sans l’adosser aux structures de la Wehrmacht » (3). Cette phrase était le résultat d’une première lutte de pouvoir entre traditionalistes et réformateurs.
La nouvelle Bundeswehr se cherchait une tradition en tant qu’armée. Cependant, après les expériences de la Seconde Guerre mondiale, il apparaissait comme une évidence qu’on ne pouvait renouer sans réserve avec l’histoire militaire allemande. Tous ne partageaient pas cette conception des choses. Un cercle de généraux conservateurs de la Wehrmacht défendait ouvertement l’idée selon laquelle il fallait renouer avec les vieilles traditions militaires sans réflexion préalable. Également présents à Himmerod, ils imposèrent dans le Mémorandum, parallèlement à la formule souvent évoquée d’un renouveau de l’armée, l’image d’une Wehrmacht courageuse qui n’avait pas failli à son honneur. Leur influence était considérable parce qu’ils bénéficiaient du soutien d’une bonne partie du monde politique. Adenauer était convaincu d’avoir également besoin de ces forces. De nombreux politiciens considéraient, en outre, que les valeurs militaires allemandes avaient été perverties par le national-socialisme, mais qu’elles constituaient, au fond, des normes socio-politiques dignes d’être conservées. L’affrontement entre réformateurs et traditionalistes, qui perdura jusque dans les années 1980, renvoie une image ambivalente de la Bundeswehr de l’époque et explique le caractère de compromis imprégnant de nombreux mémorandums et règlements.
Pour autant, les forces progressistes purent dans un premier temps faire prévaloir l’idée fondamentale selon laquelle la Bundeswehr ne saurait être un prolongement institutionnel de la Reichswehr et de la Wehrmacht et qu’il convenait de préparer le terrain à la démocratie dans les forces armées. Ils y parvinrent parce que les Alliés accompagnaient le réarmement allemand avec vigilance et empêchèrent ainsi les extravagances des conservateurs. Les traditions de la Bundeswehr, trouvées et inventées autour de 1955, renouaient très largement avec l’histoire des réformes prussiennes du début du XIXe siècle. Ces dernières devaient, après 1807, permettre à la Prusse vaincue par Napoléon dans les batailles d’Iéna et d’Auerstedt (14 octobre 1806), d’être de nouveau en mesure de faire la guerre. Cette époque fut utilisée de manière positive comme un passé avec lequel l’armée allemande pouvait renouer. Cette référence servit aussi à illustrer la nécessité de renforcer le lien « peuple-armée », ainsi que le formula le ministre de la Défense Blank en 1955. Les idées des réformateurs militaires du XIXe siècle semblaient particulièrement adaptées à la situation. En effet, Gerhard von Scharnhorst, August Neidhardt von Gneisenau, Carl von Clausewitz, et bien d’autres, défendaient que seuls des soldats suffisamment instruits et jouissant de droits civiques étaient à même d’assurer une défense efficace de la patrie. Cette conception des choses était parfaitement compatible avec l’esprit qui régnait au sein des forces progressistes regroupées autour de Wolf Graf von Baudissin (1907-1993), Johann Adolf Graf von Kielmansegg (1906-2006) et Ulrich de Maizière (1912-2006) durant la phase de construction de l’armée allemande.
Les réformateurs imprimèrent, à ce qui allait devenir la Bundeswehr, une orientation permettant de la présenter comme une armée totalement nouvelle et qui avait renoncé aux traditions militaires allemandes perpétuées jusque-là. Dans un article écrit à titre personnel, Ulrich de Maizière définissait en 2005 quatre « principes » qui symbolisaient la nouveauté dans la Bundeswehr (4).
- Son premier principe énonce l’ordre constitutionnel libéral et démocratique sur lequel a été résolument axée la République fédérale. Cela signifiait que la vieille question visant à savoir qui du militaire ou du politique avait la primauté dans les affaires relevant des forces armées et de la conduite de la guerre avait été nettement tranchée en faveur du politique. L’engagement des forces armées était soumis à un examen par le Parlement. Les soldats n’étaient plus considérés comme une simple ressource dont pouvaient disposer les dirigeants militaires, mais comme des citoyens en uniforme qui n’avaient pas que des devoirs dans la hiérarchie militaire, mais avaient également des droits. Le principe du commandement fondé sur la prise en compte du soldat citoyen (« Innere Führung ») établissait que l’État de droit et la démocratie constituaient des principes fondamentaux de la pensée militaire et venaient se substituer à l’« obéissance aveugle », en instituant des rapports réfléchis et critiques entre supérieurs hiérarchiques et destinataires de leurs ordres. En vertu de ce principe, les militaires devaient garder les droits attachés à leur citoyenneté, quand bien même ils étaient assortis de nécessaires restrictions.
La fonction du Commissaire aux forces armées du Bundestag (5) (Wehrbeauftragte des Deutschen Bundestages), instituée en 1957 sur le modèle suédois, était conçue comme interface entre le Parlement et la base des forces armées. Sa vocation était de rendre publics les insuffisances en matière d’équipement ou les déficits constatés lors de l’exercice du commandement militaire. C’est donc un organe auxiliaire du Bundestag dont la mission est d’exercer le contrôle parlementaire des forces armées, de veiller au respect des droits fondamentaux des militaires et à celui des principes de l’« Innere Führung », et de remettre au Bundestag, une fois par an, un rapport dans lequel il fait état de ses observations. « Avocat des soldats », sans être ni membre du Bundestag ni fonctionnaire, il occupe une position particulière au sein du système parlementaire allemand (6).
- Dans son deuxième principe, de Maizière observe que le fondement de la Bundeswehr est le principe selon lequel l’armée est dédiée à la défense du pays et doit garantir « un ordre pacifique durable » (7).
- Le troisième principe établit que la Bundeswehr est par construction une armée intégrée à divers degrés à une alliance militaire internationale à structures supranationales. Cette intégration apporte de la sécurité à la République fédérale, tout en liant les forces armées allemandes à cette alliance. Cela correspond à un principe que le premier Secrétaire général de l’Otan, le Baron Ismay, a formulé ainsi : l’Otan a pour objectif « to keep the Russians out, the Americans in, and the Germans down » (8).
- Le quatrième principe est la volonté de lier étroitement entre elles les trois armées à travers une structure commune et, ainsi, d’empêcher l’émergence d’une mentalité « corporatiste » dans l’armée de terre, l’armée de l’air ou la marine. Ceci a été notamment imposé dans le domaine administratif (9).
Fonctionnement actuel
Une armée sous contrôle du Bundestag
Le Bundestag exerce un contrôle parlementaire sur la Bundeswehr. Ce contrôle s’effectue, d’une part en vertu du droit du Parlement à établir le budget (10), car les effectifs et l’organisation de la Bundeswehr sont fixés dans le budget ; d’autre part au sein de la Commission de la défense, dont la permanence est inscrite dans la Loi fondamentale et à laquelle sont conférés les droits de commission d’enquête (11).
En outre, le Bundestag dispose d’importants droits de codécision en cas d’engagement des forces armées hors du territoire national, droits valant à la Bundeswehr d’être désignée par le vocable de « Parlamentsarmee » (armée placée sous contrôle du Parlement). Toutefois, l’engagement de la Bundeswehr hors du territoire national dans le cadre du maintien de la paix ou, selon le cas, de sa sauvegarde, n’est pas mentionné dans la Loi fondamentale. La Cour constitutionnelle a défini dans un arrêt de 1994 trois conditions devant être respectées pour ce type d’engagement (12), sans toutefois les rendre obligatoires dans le cas de la défense du territoire national ou d’un engagement dans le cadre de la défense d’un pays membre de l’Otan.
- La première des conditions est la présentation d’un mandat sous forme d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.
- La deuxième requiert un cadre d’action multilatéral. Ce cadre rend impossibles d’éventuelles tentatives de l’Allemagne de faire cavalier seul dans la gestion internationale des crises.
- La troisième est de respecter l’examen par le Parlement qui vise à coupler l’engagement des forces armées à l’approbation du détenteur de la souveraineté, et donc du peuple, représenté par le Bundestag. Cette dernière règle s’applique à tous les engagements avec participation prévisible de soldats allemands au règlement de tout conflit armé. Exceptions : les missions d’assistance humanitaire ne comportant pas de risque de voir des soldats de la Bundeswehr impliqués dans des combats ne sont pas soumises à l’approbation du Parlement.
Les détails relatifs à l’engagement de militaires allemands dans des opérations menées à l’étranger sur mandat du Bundestag figurent depuis 2005 dans la loi dite Parlamentsbeteiligungsgesetz, obligeant d’associer le Parlement en cas d’engagement des forces armées hors du territoire national. Aux termes de cette loi, c’est le gouvernement fédéral qui dispose du droit d’initiative, sous la responsabilité du ministère fédéral de la Défense, lequel formule le mandat en étroite collaboration avec la Chancellerie fédérale et le ministère fédéral des Affaires étrangères. Avant présentation au Parlement, le gouvernement définit l’objectif de participation de la Bundeswehr à l’opération militaire internationale, le volume des forces engagées et les coûts. Le Bundestag a ensuite la possibilité de donner ou de refuser son aval. S’il ne peut modifier le mandat prévu, il peut cependant se rétracter après l’avoir avalisé. La modification ou la prolongation d’une mission exige qu’un mandat soit donné par le Bundestag.
Les opérations d’« intensité et portée moindres », telles que des missions de reconnaissance, font l’objet d’une procédure de consentement simplifiée. Les présidents de tous les groupes parlementaires, les présidents et les responsables des groupes de la Commission des affaires étrangères et de la Commission de la défense sont informés. La mission est considérée comme décidée si, sous sept jours, un groupe parlementaire, ou 5 % des députés, n’a pas exigé un débat en assemblée plénière.
En cas de danger imminent, un engagement de forces est possible sans décision préalable du Parlement. Toutefois, le Bundestag doit l’avaliser après coup, faute de quoi il devra y être mis fin.
Organisation avec le ministère fédéral de la Défense
L’organisation de l’échelon suprême de la Bundeswehr est le résultat d’un compromis entre, d’une part la nécessité d’un outil de commandement efficace des forces armées, et compatible des structures internationales auxquelles participe l’Allemagne, d’autre part l’obligation du contrôle civil par le gouvernement fédéral et le Bundestag (13).
Le ministre fédéral de la Défense est le supérieur hiérarchique de tout le personnel des forces armées sur lequel il exerce en temps de paix l’autorité et le commandement. Seule la promulgation par le Président fédéral de la constatation de l’état de défense faite par le Bundestag (14) implique le transfert au chancelier fédéral de l’autorité et du commandement sur les forces armées (15).
Dans le domaine politico-parlementaire, deux secrétaires d’État parlementaires, également membres du Bundestag, représentent le ministre en exercice auprès de la Commission de la défense, de la Commission des affaires étrangères, de la Commission du budget ou de la Commission de vérification des comptes et du groupe de travail « Défense ».
Deux autres secrétaires d’État permanents assistent le ministre dans ses tâches de direction du ministère et dans l’exercice de l’autorité et du commandement sur les forces armées. Certaines directions générales du ministère de la Défense leur sont directement subordonnées.
Le chef d’état-major de la Bundeswehr (Generalinspekteur der Bundeswehr) est le conseiller militaire du gouvernement fédéral et du ministre en exercice. Militaire le plus élevé en grade, il est responsable de la conception d’ensemble de la défense par les forces armées. Cela comprend entre autres, la planification et le développement ainsi que le commandement et l’engagement des forces armées (16). Outre les directions ministérielles « Plans » (Abteilung Planung), « Organisation et environnement des forces armées » (Abteilung Führung Streitkräfte), « Stratégie et opérations » (Abteilung Strategie und Einsatz), lui sont également subordonnés l’armée de terre (Heer), l’armée de l’air (Luftwaffe), la marine (Deutsche Marine), le service de soutien interarmées (Streitkräftebasis), le service de santé (Zentraler Sanitätsdienst der Bundeswehr) et le service « cyber et information » (Cyber- und Informationsraum). Six autres organismes relèvent également de son autorité directe et hiérarchique : l’Office fédéral de l’aviation militaire (Luftfahrtamt der Bundeswehr), l’Office des plans de défense (Planungsamt der Bundeswehr), le Collège de défense (Führungsakademie der Bundeswehr), l’Office fédéral de contre-ingérence militaire (Bundesamt für den Militärischen Abschirmdienst), le Centre de formation morale et civique (Zentrum Innere Führung) et le Commandement des opérations des forces interarmées (Einsatzführungskommando der Bundeswehr).
Évolution des responsabilités et des missions du chef d’état-major de la Bundeswehr
Avec les directions dont il est responsable, le chef d’état-major de la Bundeswehr est subordonné au ministre fédéral de la Défense. Il n’existe pas de rôle de chef d’état-major en dehors du ministère (17). Des arrêtés particuliers ont redéfini notamment les responsabilités, compétences et missions, tant du chef d’état-major de la Bundeswehr que des chefs d’état-major des armées qui la composent.
En 1970, quinze ans après la mise sur pied de la Bundeswehr, l’organisation de son échelon suprême au sein du ministère de la Défense se révèle manquer de clarté. Cela concernait notamment la responsabilité du chef d’état-major de la Bundeswehr. Lors de la création de la Bundeswehr, sa tâche était de conseiller le ministre et le gouvernement, sans être intégré dans la chaîne de commandement hiérarchique. Occupant un poste de directeur au ministère, sa position n’était pas plus élevée que celle des chefs d’état-major des trois armées, responsables de leur domaine respectif. En outre, le besoin d’adapter la structure d’état-major de la Bundeswehr à celle des partenaires de l’Otan avait été identifié. Les compétences du chef d’état-major de la Bundeswehr furent élargies avec l’arrêté ministériel de Blankenese, signé le 21 mars 1970. Il devint désormais responsable devant le ministre de la conception d’ensemble de la Bundeswehr et, en vertu de son statut de directeur général, habilité à donner des instructions aux chefs d’état-major de chacune des trois armées. Au sein du ministère, ces états-majors fonctionnaient comme des directions propres, alors qu’ils représentaient, au sein de la Bundeswehr, l’organe de commandement militaire le plus élevé de l’armée respective. Les états-majors de chacune des trois armées pouvaient ainsi diffuser de manière ciblée à la troupe les décisions prises par le ministère.
En 2002, dans le cadre de la transformation de la Bundeswehr en une armée d’emploi, le Commandement des opérations des forces interarmées de la Bundeswehr (Einsatzführungskommando) a été placé sous l’autorité du chef d’état-major de la Bundeswehr, responsable des tâches interarmées. La responsabilité relative à la préparation et à la réalisation des Opex a été élargie par la suite, mais elle n’a pas été réglée complètement pour l’organisation de l’échelon suprême. Ce n’est qu’avec l’arrêté de Berlin du 21 janvier 2005 que le chef d’état-major de la Bundeswehr se voit conférer le droit, non seulement de prendre des décisions d’ordre conceptuel, mais également de donner des instructions concrètes quant au commandement des unités déployées en opérations, à la planification des forces et à la mise en œuvre des moyens visant à assurer leur capacité opérationnelle. Ceci englobe les domaines de l’analyse capacitaire, de l’analyse des besoins et des achats.
La nouvelle orientation de la Bundeswehr qui a donné lieu à des réductions d’effectifs et à la création de structures de commandement adaptées, a montré la nécessité de renforcer plus avant la direction interarmées. L’Arrêté de Dresde du 21 mars 2012 fait, en conséquence, du chef d’état-major de la Bundeswehr, le militaire le plus élevé en grade en son sein, le supérieur hiérarchique de tous les soldats. En outre, les directions générales « Plans », « Organisation et environnement des forces » et « Stratégie et opérations » sont placées sous sa responsabilité. Il dirige désormais les opérations de la Bundeswehr, la tâche interarmées la plus importante. À cet effet, les échelons opératif et tactique ont été transférés du ministère vers le Commandement des opérations des forces interarmées de la Bundeswehr. Les chefs d’état-major de chaque armée ne sont plus rattachés directement au ministère et sont renforcés dans leur autonomie (18).
Le Président fédéral
Le Président fédéral est habilité, par la Loi fondamentale, à nommer les officiers et les sous-officiers (19). Il ne découle de cette compétence aucun droit de codécision lors des arbitrages à rendre en matière d’occupation de postes de la Bundeswehr. Ce n’est que depuis 1964 qu’existe le poste d’« officier de liaison du ministère fédéral de la Défense détaché auprès du Président fédéral », un colonel ou un capitaine de vaisseau. Il informe le président et le secrétaire d’État auprès de la Présidence fédérale de tout ce qui touche à la Bundeswehr, est responsable des questions protocolaires et de l’exécution des manifestations revêtant un caractère de représentation ; il accompagne le Président lors des visites que celui-ci rend à d’autres pays et à la troupe (20).
La Chancellerie fédérale et le Conseil fédéral de sécurité
La Chancellerie fédérale doit informer le Chancelier de toutes les questions courantes relatives à la politique générale et au travail dans les ministères. Elle prépare les décisions du Chancelier fédéral et veille à leur mise en œuvre. Lorsque cela s’avère nécessaire sont élaborées des recommandations d’action au niveau politique, lesquelles sont soumises au Chancelier fédéral pour décision ou bien présentées dans les discussions menées avec les ministères afin que ceux-ci s’en saisissent dans leur domaine respectif.
En raison du principe d’autonomie des ministères, la Chancellerie fédérale ne peut pas aller jusqu’à s’immiscer dans le détail des programmes et planifications traités et élaborés au niveau politique. La tâche de conseil du Chancelier fédéral doit, au contraire, être assurée par les différentes sections spécialisées de la Chancellerie fédérale, lesquelles, par leurs services « miroirs », sont en contact avec les ministères pour recueillir les informations nécessaires à leur action (21). Ainsi, la section 2 « Politique étrangère, de sécurité et de développement » est, entre autres, constitué du groupe 23 (ministère de la Défense, Conseil fédéral de sécurité) comprenant lui-même les services 231 « Administration de la Défense, armement » et 232 « Aspects militaires de la politique de sécurité, questions relevant de l’administration organique de la Bundeswehr, Conseil fédéral de sécurité ». Le groupe 23 est dirigé par un général de brigade ou un contre-amiral.
Avec le service 232, ce groupe assure également la fonction de secrétariat du Conseil fédéral de sécurité dont les réunions sont secrètes. Cet organe supra-ministériel, ne disposant pas de compétence exécutive, fut initialement mis en place à des fins de conseil du Chancelier ou de coordination en matière de la politique allemande de sécurité, afin de discuter des questions de politique étrangère et de sécurité particulièrement sensibles. Actuellement sont prises en son sein essentiellement des décisions concernant les exportations d’armes. Les personnes qui y siègent sont le Chancelier fédéral qui le préside, le directeur de la Chancellerie fédérale, les ministres fédéraux des Affaires étrangères, de la Défense, de l’Intérieur, de la Justice, des Finances, de l’Économie et de la Coopération au développement (22). Le Chancelier fédéral peut, dans des cas particuliers, convoquer à ces réunions d’autres membres du gouvernement fédéral et le chef d’état-major de la Bundeswehr.
Le Cabinet fédéral de sécurité
Groupe de discussion informel réuni occasionnellement, le Cabinet fédéral de sécurité doit être distingué du Conseil fédéral de sécurité. Il est convoqué si nécessaire par le Chancelier fédéral pour débattre de questions concernant la sécurité extérieure ou intérieure.
Les services de renseignement
Les trois services de renseignement fédéraux sont rattachés à différents ministères. Le Service fédéral de renseignement (Bundesnachrichtendienst) est subordonné à la Chancellerie fédérale, l’Office fédéral pour la protection de la Constitution (Bundesamt für Verfassungsschutz) au ministère de l’Intérieur et le Service de sécurité militaire (Militärischer Abschirmdienst) au ministère de la Défense. Un secrétaire d’État de la Chancellerie fédérale est chargé de coordonner et animer la coopération entre les trois services de renseignement fédéraux et la coopération avec les autres administrations et organismes. Il préside la commission des secrétaires d’État pour le renseignement et la sécurité qui se réunit à un rythme hebdomadaire.
Le commandement du renseignement stratégique (Kommando Strategische Aufklärung) appartenant à l’état-major du service « cyber et information » (Kommando Cyber- und Informationsraum der Bundeswehr), ne fait pas partie des services mentionnés ci-dessus. Commandement interarmées, il fait partie intégrante du renseignement militaire de la Bundeswehr. Il réunit tous les moyens nécessaires et en assure la responsabilité. Sa mission essentielle consiste à satisfaire aux besoins de la Bundeswehr en matière de renseignement, en mettant l’accent sur les opérations, le niveau tactique et la reconnaissance dans des domaines ciblés.
* * *
L’organisation de l’échelon suprême de la Bundeswehr, de même que la présence des forces armées au sein des différents organes du gouvernement fédéral et les compétences qu’elles y exercent, diffèrent considérablement de la structure et de la situation prévalant en France. Cette situation découle tant de l’histoire que de la Constitution dans lesquelles il trouve également sa justification. À la création de la Bundeswehr en 1955, il fallut ajouter à la Loi fondamentale, qui offrait déjà un fondement solide et stable à la République fédérale d’Allemagne, des dispositions relatives aux forces armées. Aux militaires fut confiée essentiellement la planification de niveau opératif, le politique se réservant les planifications de niveau stratégique. Vint s’ajouter à cela l’intention de soumettre la Bundeswehr au contrôle rigoureux du Bundestag. La profonde intégration de la Bundeswehr dans la structure de commandement de l’Otan constituait un élément structurant lors de la création de l’armée allemande. Ce cadre institutionnel reste encore en vigueur aujourd’hui.
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(3) Himmeroder Denkschrift, 9 octobre 1950 (www.bundesarchiv.de/).
(4) Maizière (de) Ulrich, « Was war neu an der Bundeswehr? Betrachtungen eines Zeitzeugen » in Bremm Klaus-Jürgen, Mack Hans-Hubertus et Rink Martin (dir.), Entschieden für Frieden. 50 Jahre Bundeswehr 1955 bis 2005, Rombach Druck- und Verlagshaus, Fribourg-en-Brisgau/Berlin, 2005, p. 11-15.
(5) Art. 45b de la Loi fondamentale, 8 mai 1949 (www.bundestag.de/).
(6) « Aus der Arbeit des Wehrbeauftragten », Bundestag (www.bundestag.de/parlament/wehrbeauftragter).
(7) Art. 24 de la Loi fondamentale, op. cit.
(8) Von Bredow Wilfried, Die Außenpolitik der Bundesrepublik Deutschland, Eine Einführung (2e édition), Vs Verlag Fur Sozialwissenschaften, Wiesbaden, 2008, p. 237.
(9) Nübel Christoph, « Die Gründung der Bundeswehr vor 60 Jahren », Portal Militärgeschichte, 30 mars 2015 (http://portal-militaergeschichte.de/nuebel_bundeswehr).
(10) Art. 87a, § 1 de la Loi fondamentale, op. cit.
(11) Art. 45a de la Loi fondamentale, op. cit.
(12) Cf. Bundeszentrale für politische Bildung, « Die Mandatierung von Auslandseinsätzen der Bundeswehr », 26 mai 2015 (www.bpb.de/204755).
(13) Molt Matthias, Von der Wehrmacht zur Bundeswehr, Personelle Kontinuität und Diskontinuität beim Aufbau der deutschen Streitkräfte 1955-1966 (thèse), Heidelberg, 2007, p. 296.
(14) Art. 115a de la Loi fondamentale, op. cit.
(15) Art. 115b de la Loi fondamentale, op. cit.
(16) Ministère fédéral de la Défense (www.bmvg.de/de/ministerium).
(17) En comparaison, le Chef d’état-major de l’armée prussienne a, par exemple, par ordre du gouvernement du 24 mai 1883, été officiellement placé sous l’autorité directe de l’empereur et roi de Prusse en sa qualité de commandant suprême des armées. Grâce à cette position d’immédiateté, l’état-major prussien put, au cours des années suivantes, s’émanciper du ministre de la Guerre du royaume de Prusse. Au ministère de la Guerre de Prusse incombaient principalement des tâches d’administration militaire ; l’état-major prussien était l’organe de commandement le plus important pour la défense de l’Empire. Les deux institutions devaient travailler en étroite coopération, mais des conflits de compétences éclataient régulièrement en raison de l’imbrication partielle des différents domaines. Cf. Schmidt-Richberg Wiegand, « Die Regierungszeit Wilhelms II », Handbuch zur deutschen Militärgeschichte 1648-1939, vol. III, Part. 5, Munich, 1979, p. 63-72 ; Huber Ernst Rudolf, Deutsche Verfassungsgeschichte seit 1789, vol. IV, Struktur und Krisen des Kaiserreichs, 2. Aufl., Stuttgart, 1982, p. 532-534.
(18) BMVG, « Erlasse zur Spitzengliederung » (www.bmvg.de/).
(19) Art. 60, § 1 de la Loi fondamentale, op. cit.
(20) Kilian Dieter E., Politik und Militär in Deutschland, BoD, Berlin, 2011, p. 17-19.
(21) Graf von Westphalen Raban, Prof. Dr. (Hrsg.), Deutsches Regierungssystem, Oldenbourg Verlag, Munich, 2001, p. 307-309.
(22) Schmidt Siegmar, Hellmann Gunther et Wolf Reinhard (dir.), Handbuch zur deutschen Außenpolitik, Vs Verlag Fur Sozialwissenschaften, Wiesbaden, 2007, p. 207-208.