1940, le roman de la France
L’inévitable défaite… Voilà comment on a raconté une fois encore la Bataille de France. Il semble donc établi que tout était inéluctablement écrit pour aboutir à la catastrophe de Sedan puis à la capitulation de Rethondes, qu’aucune autre hypothèse n’était envisageable ; rien qui remette en cause une supposée déchéance française, comme s’il s’agissait d’empêcher toute cicatrisation, toute résilience comme on dit aujourd’hui, et laisser à tout prix la plaie ouverte aux fins d’instruire le procès d’une France décadente et irresponsable. Cette accumulation d’évidences trompeuses a fourni la trame de l’ouvrage de l’académicien Max Gallo, grand intervenant médiatique de ce 70e anniversaire aux côtés de Claude Quétel qui s’est chargé pour sa part d’expliquer, sans faux-semblant, que le discours de Vichy sur les causes de la défaite restait le seul possible. Fut balayé ce que les historiens étrangers nous répètent depuis vingt ans : à savoir que, contrairement à ces idées reçues depuis l’acte d’accusation de Riom, la France s’était préparée à cette guerre et était mieux armée que l’Allemagne. 2010 aura été une régression, et Pétain a une seconde fois gagné la défaite de 1940.
Certes, certains auteurs ont choisi de rappeler le sacrifice de la troupe. Mais outre que ces travaux ne remettent pas en cause le dogme de l’impréparation française (1), ils ouvrent une aporie vue par François Delpla : « Si ces travaux ruinent nombre de préjugés, ils laissent cependant une question intacte. Plus on admet que les poilus de 1940 valaient leurs pères et leurs aînés, plus on devrait trouver étrange qu’ils aient accepté l’armistice et répondu en si petit nombre aux premiers appels du général de Gaulle. Ou encore que ceux d’entre eux, servant notamment dans l’aviation, qui avaient pu gagner l’Afrique du Nord, n’y aient pas fait triompher le choix de la continuation de la guerre ». C’est pourquoi parmi les ouvrages publiés, Et si la France avait continué la guerre… se démarque en ce qu’il consiste en une uchronie, la première de ce genre en France. Et c’est tout son intérêt, car s’il y a dans l’inconscient des Français un événement de notre histoire qui méritât cet exercice, c’est bien 1940.
Laurent Henninger rappelle dans son introduction nos réticences à envisager ce qui ne fut pas, même par jeu d’esprit : l’uchronie n’a jamais été prisée des Français, même si la paternité en revient à l’un d’entre-eux, Charles Renouvier en 1857. Si l’auteur de fiction s’y met (signalons une nouvelle collection de bande dessinée historique titrée Jour J, aux Éditions Delcourt), l’historien s’y refuse, même s’il sait que le futur tient souvent à peu de choses, et même à de petits riens comme, par exemple, le changement de nom du père du futur maître du IIIe Reich. À défaut, s’interrogeait l’historien américain William Shirer, « Heil Schicklgruber ! » n’aurait certainement pas mobilisé tout un peuple. Les Anglo-saxons sont donc friands de l’exercice : c’est le « What if… ? » auquel s’adonnent leurs historiens comme leurs cinéastes, leurs romanciers et désormais leurs jeux vidéos. Ainsi, pour se limiter à la Seconde Guerre mondiale, on peut citer Le complot contre l’Amérique de Philip Roth et Le Maître du Haut Château de Philip K. Dick, ou le jeu Turning Point. Fall of Liberty qui propose de résister dans une Grande-Bretagne et des États-Unis passés sous la croix gammée (avec une spectaculaire reconstitution graphique).
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