La crise sanitaire a démontré de nombreuses fragilités dans le fonctionnement de notre pays. Les armées ont apporté une contribution non négligeable pour remédier à des déficiences constatées et renforcer la résilience globale. Celle-ci devra être renforcée, notamment dans sa dimension militaire, les armées devant retrouver plus d’autonomie stratégique.
Quelle contribution des armées à la résilience de la nation en cas de crise majeure ?
La crise du coronavirus a créé un effet de surprise et imposé des mesures fortes. Comment s’adapter à cette pandémie au quotidien ? De l’avis de tous, elle met notre résilience à l’épreuve. Pour autant, elle reste à un niveau de dangerosité inférieur à des maladies comme la fièvre Ebola ou la variole : quelles mesures supplémentaires devrions-nous prendre face à une maladie plus grave ou face à une autre crise simultanée ? Imaginons un instant qu’elle s’accompagne d’attentats meurtriers, de troubles majeurs à l’ordre public entretenus par des campagnes de fausses nouvelles, tandis que des cyberattaques désorganiseraient les hôpitaux…
Depuis 2015, la perspective d’une crise majeure fait partie de notre univers mental, alors qu’elle semblait inconcevable à la majorité de nos concitoyens auparavant.
Face à une crise majeure, définie (1) comme telle lorsque « l’étendue des phénomènes qui la caractérisent et l’intensité des troubles et transformations qui en résultent conduisent à des pertes et des dommages socialement inacceptables » (2) la situation du pays s’aggraverait brutalement jusqu’à atteindre un paroxysme. S’ouvriraient ensuite schématiquement deux voies : celle du chaos accompagné de dégâts irréversibles en attendant des opportunités de redressement et celle de la résilience.
Résilience provient du latin resilire qui signifie rebondir, rejaillir. Le terme présente de nombreuses acceptions en physique, en psychologie ou en économie. Retenons pour cette réflexion la définition du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008, qui définit la résilience comme « la volonté et la capacité d’un pays, de la société et des pouvoirs publics à résister aux conséquences d’une agression ou d’une catastrophe majeures, puis à rétablir rapidement leur capacité de fonctionner normalement, ou à tout le moins dans un mode socialement acceptable ».
« La résilience concerne non seulement les pouvoirs publics, mais encore les acteurs économiques et la société civile tout entière » (3). Ici réside une partie de la problématique : notre société en proie à de profondes fractures voit son lien social se fissurer sous l’influence des communautarismes et des individualismes. Le sentiment d’insécurité est fort. La société française a fait preuve de résilience en 1914-1918. D’un point de vue concret, elle était résiliente au niveau des petites communautés, familles, villages, quartiers, qui avaient la capacité de subvenir seuls à leurs besoins vitaux sans l’aide directe de l’État. La situation actuelle est différente et les pouvoirs publics semblent porter aujourd’hui presque seuls cet impératif de résilience de la France. La garde des enfants du personnel de santé a imposé par exemple, dans le cadre de la gestion de la crise du coronavirus, la mise en place d’un dispositif particulier.
La résilience comporte une notion de durée comme l’illustre le schéma ci-dessous. Le rebond peut être suivi d’un retour au statu quo ante. Il peut également provoquer, dans le meilleur des cas, une amélioration de la situation, grâce à la saisie d’opportunités. Il peut enfin être suivi d’un effondrement, les forces engagées ayant culminé en délivrant toutes leurs capacités sans pouvoir les régénérer.
Schéma 1 - Évolution dans le temps de la situation du pays confronté à une crise
La réflexion sur la résilience amène à définir des facteurs de succès la favorisant.
• La résistance consiste à contrer la perturbation jusqu’à un point de rupture que l’on essaie de placer le plus loin possible.
• La flexibilité et l’adaptabilité garantissent, après passage du point de rupture, la continuité d’activité, la poursuite de la gestion de crise avec des priorisations. Elles fondent l’aptitude à poursuivre la mission en situation dégradée en intégrant des transformations.
• La fiabilité des hommes, des équipements et des organisations constitue le socle de toute action difficile dans un contexte de risque élevé. Aucune action durable ne peut se conduire sans cette fiabilité, qui repose sur des aspects statutaires, techniques et structurels, mais surtout sur les forces morales des personnes et collectivités engagées.
La redondance des ressources vitales (4) (parfois rares) permet d’encaisser le choc initial, d’absorber des pertes, de tenir dans la durée en économisant les hommes et les moyens, de placer à l’endroit et au moment voulus les moyens suffisants sans risquer ailleurs une défaillance irréversible.
Le schéma ci-dessous montre l’écart entre, d’une part un système qui privilégie la masse et le stockage et, d’autre part une logique privilégiant la haute technologie et les dynamiques de flux. En France aujourd’hui, la modernisation du matériel entraîne des coûts importants ; les ressources étant contraintes, le nombre de moyens diminue, certes au prix d’une efficacité souvent démultipliée, mais aussi d’une résilience parfois moindre. La résilience suppose un juste équilibre entre la logique économique de rationalisation et d’efficience du temps de paix et le système de redondances et de masse nécessaire au temps de crise ou de guerre.
Schéma 2 - Résilience versus efficience
La réactivité garantit une réponse immédiate à la nation, à l’heure où la confiance dans les institutions est une condition essentielle de succès. Cette réactivité doit empêcher l’effondrement qui rendrait impossible le rebond. Elle doit empêcher tout dégât irréversible et marquer d’emblée la préparation de l’État. Elle engage la suite de la manœuvre en jetant les bases immédiates d’un premier dispositif qui sera ensuite progressivement aménagé en conduite.
Face à une telle crise, tous les ministères et services déconcentrés de l’État seraient mobilisés et pas seulement les armées : la question de la résilience conjointe des différents acteurs est très large et dépasse le cadre de cet article centré sur la part des armées. Les sondages montrent que les Français gardent de leur armée l’image d’une force rassurante et bien équipée, capable d’assurer la protection de leur pays et formée de cadres compétents, en bref l’image d’une force résiliente. Cette confiance est en elle-même gage de solidité. Pour autant, correspond-elle à la réalité de ce que les armées peuvent produire sur le territoire national en cas de crise majeure ?
LES ARMÉES ET LA RÉSILIENCE
La contribution des armées à la résilience de la nation dépend naturellement de la nature de chaque crise, si bien qu’il est délicat de l’évaluer de manière théorique. Cela étant dit, force est de reconnaître que cette contribution est toujours importante, parce que les armées restent l’ultima ratio (*) face aux désordres les plus graves et parce qu’elles restent un des symboles forts de l’unité nationale même lorsqu’elles interviennent peu. C’est la raison pour laquelle la résilience propre des armées doit être rapidement améliorée parce que, même si elles restent un pilier de la résilience du pays par leur résistance, leur flexibilité et leur fiabilité, elles se trouvent aujourd’hui fragilisées par les limites actuelles de leurs redondances et leur manque d’épaisseur qui amenuise leur réactivité.
(*) Ultima ratio regum : littéralement cette formule, que Louis XIV fit graver sur ses canons, signifie « le dernier argument des rois ».
La contribution des armées à la résilience de la nation en cas de crise majeure reste centrale parce que les armées demeurent l’ultima ratio capable d’agir en autonomie dans les situations les plus chaotiques et d’abord face à toute agression extérieure. Les annonces présidentielles relatives au coronavirus ont d’ailleurs naturellement évoqué les armées, tant avec la définition de la crise qualifiée de « guerre » qu’avec l’annonce, forte en termes de communication, de déploiement de moyens militaires pourtant peu nombreux au regard de l’ensemble des efforts consentis. Le nom donné à l’opération Résilience porte un symbole fort.
Ce rôle d’ultima ratio des armées est encadré par la Constitution (5) et par le code de la Défense (6), notamment avec les définitions de l’état de siège (7) et de la défense opérationnelle du territoire (8). Il repose également sur l’IIM 10100 (9).
Puissantes, les armées représentent, en cas de crise majeure, la force capable de donner un coup d’arrêt décisif à toute menace militarisée, de rester organisée et de fournir des capacités essentielles au secours des populations dans les situations les plus difficiles. En ce sens, elles sont l’ultima ratio et leur emploi est un signal définitif qui doit impérativement se traduire par le succès.
En 2015, la France a pris conscience de l’existence d’une menace militarisée sur son sol, donc du besoin d’y engager des moyens militaires. Cette prise de conscience a montré la réactivité des armées. L’Armée de terre a su se réorganiser rapidement et, dans le même temps, recruter et former les 11 000 hommes qui lui manquaient pour pouvoir assurer ses missions. L’opération Sentinelle a mis en évidence la capacité des armées à s’insérer ponctuellement dans le continuum de sécurité en coordination avec le ministère de l’Intérieur, grâce notamment à l’efficacité de la cellule de coordination intérieur défense (C2ID).
La règle des « 4I », définie par l’IIM 10100, permet d’engager les armées sur le territoire national (TN) sous réquisition lorsque les moyens nécessaires sont indisponibles, inadaptés, inexistants ou insuffisants. Pour autant, l’emploi des armées ne répond pas qu’à des critères techniques, mais également à des critères politiques qui peuvent reposer légitimement sur des logiques subjectives d’appréciation de situation ou de communication de crise.
Cette place des armées est fondée sur une réalité statutaire. Le militaire est lié par une exigence de disponibilité qui peut aller jusqu’au sacrifice de sa vie. C’est une garantie pour la nation : quel que soit le danger de la mission confiée, il ne bénéficie pas de droit de retrait. Cet aspect statutaire est nourri (10) par les traditions militaires qui tiennent un rôle majeur tant elles participent à la solidité du lien qui unit le soldat à sa mission, à son chef, à son unité et donc à travers eux à la patrie. Les deux mots « honneur et patrie » (11) qui sont inscrits sur chaque drapeau traduisent de façon synthétique le code d’honneur du soldat en répondant aux questions cruciales lorsqu’on déclenche la mort ou qu’on s’apprête à la recevoir : pourquoi (pour la patrie) et comment (en respectant les règles de l’honneur dans les situations extrêmes). Ils sont un puissant gage de résilience pour les armées, mais au-delà pour la nation entière dont le lien social fragilisé repose encore inconsciemment sur ces réalités. La primauté du collectif sur l’individu reste une réalité militaire forte dans une société qui s’individualise.
Les armées cultivent un fort esprit de résilience, chacune à sa manière. Pour l’Armée de terre, « l’esprit guerrier » en est une illustration, grâce au lien qu’il crée entre un entraînement rustique, une forte référence aux valeurs avec les traditions et l’ouverture vers le progrès technique, et les efforts d’appropriation qu’il suppose. Cette résilience des armées comprend également la résilience des familles, illustrée par les liens très forts entretenus grâce à de multiples initiatives locales et avec le « plan familles » lancé par le ministère des Armées.
La contribution des armées à la résilience de la nation s’appuie sur leur préparation opérationnelle permanente alliée à leur réactivité, à la qualité de leurs équipements et à la façon dont elles les maîtrisent. Leur capacité à s’engager d’emblée avec succès est garantie par la formation, conduite avec soin, renouvelée tout au long des parcours, et par l’entraînement permanent aux scénarios les plus exigeants. Cet entraînement est indispensable au regard de la complexité du métier et des équipements. La dynamique interministérielle conduit d’ailleurs à l’organisation d’exercices communs avec les autres ministères. Ces exercices gagneraient à être durcis. La population pourrait utilement y être associée. Qui par exemple connaît aujourd’hui la conduite à tenir en cas d’activation des sirènes ?
La réactivité est basée sur la veille opérationnelle permanente des armées et leur habitude de planifier des scénarios relatifs aux risques et menaces possibles. Le vieil adage si vis pacem para bellum (12) s’applique à la résilience.
La résilience des armées se fonde également sur une réalité qui se trouve au cœur de leur fonctionnement : le commandement. Disposant à cet effet de systèmes d’information et de communication efficaces, elles représentent une capacité à prendre des décisions, à diffuser des ordres, à diriger des opérations, à commander en situation extrême dans tous les milieux. Les armées sont organisées sur le principe de subsidiarité (13) : la capacité d’initiative des petits échelons dans l’esprit du commandement est fondamentale et constitue un atout inestimable en cas de chaos. Le commandement dans sa dimension de proximité s’inscrit également comme un pilier des forces morales (14), les chefs au contact étant chargés du suivi efficace de leur personnel et capables de donner du sens aux actions entreprises.
Les armées françaises sont riches d’une grande expérience opérationnelle et compétentes sur un très large éventail de savoir-faire, du combat de haute intensité à la gestion de crise et de la contre-insurrection à la sécurité civile. Elles sont capables d’initiatives justes et pertinentes, dans tous les milieux, des sables du Sahel à la forêt équatoriale, de la haute montagne aux zones urbaines les plus dégradées, du fond des océans aux engagements les plus aériens. Cela constitue une force inestimable en cas de chaos généralisé où les capacités d’adaptation, la volonté de vaincre et l’intelligence de situation permettent de résister à de multiples contraintes y compris en dehors du champ purement militaire. L’exemple de l’intervention aux Antilles après le passage d’Irma illustre cette capacité en même temps qu’elle illustre le nécessaire travail interministériel dans lequel elle doit s’insérer (15).
La résilience s’appuie sur toute la nation. À ce titre, la neutralité politique des armées est fondamentale. Elle s’appuie sur le fait que, quels que soient les gouvernements qui passent et auxquels elle obéit, l’armée reste au service de la France qui est d’abord une réalité concrète, une patrie c’est-à-dire un patrimoine et une culture, une nation c’est-à-dire un peuple et une identité particulière, un État c’est-à-dire des intérêts concrets et un rôle international. Forte de cette neutralité, l’armée reste la propriété de l’ensemble de la nation et le pilier de sa résilience. Par les valeurs qu’elle porte et avec l’exposition consentie au risque qui en découle, l’armée garde un rôle exemplaire au sein même de la nation. Le lien entre l’armée et la société civile est donc un point-clef et les armées y veillent avec attention. La résilience propre du soldat est nourrie en retour par la considération de la nation et le soin avec lequel elle veille à ses besoins spécifiques (solde, sécurité des siens, suivi des blessés et familles de décédés…).
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Pour autant, aujourd’hui les armées françaises sont limitées si on les compare à celles de 1990, parce que, faute d’ennemi identifié, la nation par ses représentants a voulu toucher « les dividendes de la paix ». Depuis trente ans, les restructurations successives ont taillé une armée de projection, rationalisée et optimisée au juste besoin, loin de toute logique de redondance nécessaire pourtant à toute démarche de résilience.
La première limite des armées est celle de leur mission propre : en cas de crise sur le territoire national, elles s’insèrent dans un dispositif interministériel préexistant, et si leur rôle est plus ou moins central suivant la nature de la crise, elles agiront toujours en complément d’une action d’ensemble.
Leurs limites sont également physiques : les effectifs, réduits, offrent, en cas de déploiement, une empreinte au sol restreinte. Les réformes du soutien ont privilégié des logiques économiques de flux plutôt que des logiques de réactivité fondées sur la détention de stocks. Or, dans les situations extrêmes, la résilience suppose de la masse, de l’épaisseur et des redondances, pour combler l’attrition, durer et reprendre l’initiative, et pour que le chef qui doit décider dispose des moyens nécessaires au bon moment et à l’endroit voulu.
Or, l’organisation des armées, autrefois fondée sur l’autonomie des unités, a été optimisée de telle façon qu’un chef ne dispose plus au quotidien de la totalité de son soutien propre. Il ne dispose plus que d’une autonomie initiale limitée, le système étant fondé sur une logique de corps expéditionnaire que l’on fait monter en puissance lorsqu’il est désigné pour une opération extérieure. Concrètement, le régiment désigné pour une mission se voit renforcé d’un certain nombre de modules de soutien qui aujourd’hui ne lui sont plus subordonnés au quotidien. Dans le cadre de la résilience sur le territoire national, cela pose question, car la réactivité, nécessaire et peu compatible avec de longs délais de réorganisation, devient fragile, les forces mobilisées dans les temps ne disposant pas instantanément de tous les moyens nécessaires. La logique de flux se heurte aux réalités d’externalisation, de capacités de transport et à la nécessité que les différents réseaux soient praticables : la résilience des armées est ainsi dépendante de celle de la société qu’elle est chargée de soutenir en situation de crise grave. Le chef d’état-major des armées l’a d’ailleurs précisé lors de son audition devant l’Assemblée nationale le 23 avril 2020 : « Les précédentes lois de programmation militaire et la révision générale des politiques publiques ont conduit à privilégier le management sur le commandement, l’efficience sur l’efficacité, la logique de flux sur celle de stock. Elles nous ont affaiblis et ont bridé notre réactivité, en allant à l’encontre de la singularité militaire. Aujourd’hui, ces faiblesses se trouvent cruellement mises en évidence par la crise : je pense à l’externalisation d’un certain nombre de fonctions, à la délocalisation de fonctions vitales, au manque de réserves opérationnelles et d’épaisseur organique de nos armées. »
C’est la raison pour laquelle, sous l’impulsion de l’état-major de l’Armée de terre, du commandement Terre pour le territoire national et du commandement des forces terrestres, un « plan territoire national » a été conçu, visant à préparer l’Armée de terre à participer le plus efficacement possible à la posture de protection terrestre (16), et à lui redonner la part d’autonomie initiale dont elle a besoin pour redevenir une force immédiatement réactive en cas de menace grave. De son côté, le service du commissariat aux armées conduit une manœuvre de durcissement de ses capacités et d’amélioration de sa réactivité. En convergeant vers la mise en place d’une véritable réactivité au sein même des forces, ces efforts sur la logistique constitueront un facteur clef de succès dans la contribution des armées à la résilience, pour des raisons opérationnelles, mais aussi psychologiques. La nation en effet s’attend en cas de crise à voir son armée se porter immédiatement à son secours, comme ce fut le cas lors de la tempête de 1999, avant la réforme des soutiens.
Cet effort sur la logistique est accompagné par une réflexion sur les ressources humaines, notamment sur le taux d’encadrement qui est aujourd’hui, pour l’Armée de terre, un des plus faibles des armées occidentales. Un taux plus élevé permettrait d’encadrer plus facilement les réservistes et volontaires éventuels qui viennent en cas de crise renforcer le dispositif initial, pour lui fournir des spécialistes et augmenter sa masse, indispensable dans certains types de crise. De manière générale, les ressources humaines des armées doivent être dimensionnées en vue d’absorber des pertes, qui caractérisent le plus souvent les crises graves. Le coronavirus a confronté les armées à la question de leur capacité à affronter un choc en situation de pertes d’effectifs (indisponibles ou décédés). Or, les pertes doivent être remplacées par du personnel recruté, formé, équipé et encadré. Un nombre de cadres suffisant est donc consubstantiel à une véritable résilience. Toute augmentation de ce volume prend du temps et doit, par conséquent, être anticipée car un officier et un sous-officier supérieurs seront nécessairement passés par plusieurs années d’échelons intermédiaires pour comprendre et tenir leur rôle efficacement.
Matérialisant la trajectoire des ressources qui doivent permettre aux armées d’honorer leur contrat opérationnel, les acquis de la loi de programmation militaire 2019-2025 constituent un socle indispensable à toute réflexion sur la résilience des armées. Pour autant, il s’agit d’aller au-delà et de mieux définir la manière dont la résilience doit se concrétiser en termes de ressources comme de capacité générale à réagir à la surprise (définition des stocks, des capacités d’entraînement, capacités de production…). La résilience répond en effet à l’imprévu donc, et est plus exigeante que les contrats opérationnels qui correspondent à des cas définis.
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La résilience de la nation est aujourd’hui fragile en raison des vulnérabilités propres à notre société marquée par l’individualisme aussi bien que par une montée des communautarismes. À ce titre, le lien social est fondamental. Il est censé unir toutes les composantes de la société à travers la conscience, politiquement neutre, d’être les dépositaires d’une patrie, d’appartenir à une nation, de se reconnaître dans un État. Les fractures de ce lien social font aujourd’hui peser une lourde menace sur la résilience de la France, au service de laquelle les armées tiennent un rôle moteur en même temps qu’une fonction puissamment symbolique, reposant tant sur leur organisation que sur leur professionnalisme et leur absolu dévouement au service du bien commun.
La résilience reste d’abord une volonté, qui a besoin d’être entretenue grâce au développement des forces morales, le sens du commandement de proximité et l’esprit de corps. Parce qu’elle est également une capacité, la résilience doit être améliorée dans ses modalités grâce à un entraînement exigeant et une logistique davantage fondée sur la réactivité et la capacité d’action autonome, en adéquation avec la réalité des menaces actuelles.
Que se serait-il passé en effet si le coronavirus avait été la variole, et si le paroxysme de la crise avait été accompagné d’attaques majeures sur le territoire national ? Or, les menaces existent et il convient de placer notre système de réponse à leur hauteur. Il semble nécessaire d’admettre, au fond, que la recherche permanente de la rentabilité en matière de défense tue peu à peu la résilience qui est, comme la dissuasion, une assurance à fonds perdus dont se priver peut coûter très cher. Il s’agit finalement de rompre avec la dynamique de fin de guerre froide qui a considéré, à tort, que faute de menace la nation pouvait bénéficier des « dividendes de la paix ». Le temps est revenu de consolider à nouveau nos systèmes de sécurité et de défense.
La résilience sur le territoire national est une affaire profondément collective dans laquelle les armées gardent un rôle-clef en même temps qu’une fonction puissamment symbolique, qui repose sur des permanences de l’institution comme sur l’imaginaire populaire d’une masse aujourd’hui révolue. Il faut donc faire en sorte que ces perceptions ne soient jamais prises en défaut, car le prix à payer serait lourd. Certes, une armée coûte cher et n’apporte pas de bénéfices « sonnants et trébuchants », mais au moment où cessent le confort et les douces certitudes de sécurité, le peuple se tourne spontanément vers son armée dont il sait, à juste titre, pouvoir attendre l’impossible. Cette armée sait encore sacrifier sa vie au service de la nation. Elle le montre sur les théâtres d’opérations extérieurs, mais elle a besoin de retrouver une autonomie logistique à la hauteur des menaces montantes. Elle sait conduire des opérations de guerre comme rétablir l’ordre et la paix : ses multiples opérations des vingt dernières années le démontrent. Napoléon disait que « la guerre est un art simple et tout d’exécution » : cette maxime s’applique à la résilience et suppose que les efforts engagés soient maintenus. Leur coût sera le signe fort d’une volonté nationale de « ne pas subir » (17). ♦
(1) Mémento de gestion de crise du SGDSN, édition d’octobre 2019.
(2) « Les seuils correspondants en termes d’étendue, d’intensité et d’acceptabilité sociale relèvent d’une appréciation à la fois technique et politique ».
(3) Livre blanc sur la défense et la sécurité de 2008.
(4) Une activité d’importance vitale a trait à la production et à la distribution de biens ou de services indispensables à la satisfaction des besoins essentiels pour la vie des populations, à l’exercice de l’autorité de l’État, au fonctionnement de l’économie, au maintien du potentiel de défense ou encore à la sécurité de la Nation, dès lors que ces activités sont difficilement substituables ou remplaçables. Une activité de nature à présenter un danger grave pour la population peut également être considérée comme d’importance vitale. Références : articles L.1332-1 et suivants, et R.1332-1 et suivants du code de la Défense. Les AIV sont réparties en 12 secteurs, eux-mêmes répartis en 4 dominantes : dominante régalienne (activités militaires, judiciaires et civiles de l’État) ; dominante humaine (alimentation, eau, santé) ; dominante économique (énergie, transport, finances) ; dominante technologique (industrie, communications électroniques, audiovisuel, espace et recherche).
(5) Article 36 relatif à l’état de siège.
(6) Notamment les articles R.* 1211-2, R.* 1211-3 et D. 1211-5.
(7) Articles L. 2121-1 à L. 2121-8.
(8) Articles R.* 1421-1 à R.* 1422-4.
(9) Instruction interministérielle n° 10100/SGDSN/PSE/PSN/NP du 14 novembre 2017 relative à l’engagement des armées sur le territoire national lorsqu’elles interviennent sur réquisition de l’autorité civile.
(10) La réalité statutaire est parfois mise à mal (désertions, absentéisme médical abusif, etc.). De même, le « droit » de retrait exclut certaines administrations et pourtant il en est parfois question au sein de ces entités. Ce n’est donc pas le statut mais bien plutôt l’esprit, la culture et la cohésion des armées qui font la différence.
(11) Honneur et fidélité pour la Légion étrangère.
(12) Si tu veux la paix prépare la guerre.
(13) Principe selon lequel une responsabilité doit être prise par le plus petit niveau d’autorité compétent pour résoudre un problème. Il conduit à ne pas faire à un échelon plus élevé ce qui peut être fait avec la même efficacité à un échelon plus bas, le niveau supérieur n’intervenant que si le problème excède les capacités du niveau inférieur.
(14) Les forces morales sont fondamentales en termes de résilience, s’agissant de métiers potentiellement confrontés à la mort. Elles dépendent de « trois paramètres fondamentaux : la fraternité d’armes, le courage et le sens donné à l’engagement » : général d’armée Dary, Inflexions
(www.cairn.info/revue-inflexions).
(15) Sans pouvoir développer cet aspect ici, il est intéressant de remarquer que la place des armées dans la résilience des États et leur positionnement vis-à-vis des populations est très différente d’un pays à l’autre.
(16) Posture de protection terrestre : les armées, directions et services adoptent une posture de protection terrestre (PP-T) qui constitue le cadre de mise en cohérence de l’ensemble des dispositions prises dans le milieu terrestre, au titre de la fonction stratégique « protection ». Cette posture permet, le cas échéant, d’engager sous faible préavis des capacités militaires sur le territoire national, pour des missions de défense civile ou relevant strictement de la défense militaire du ter ritoire. La posture de protection terrestre (PP-T) s’inscrit dans le cadre de la politique de défense mise en œuvre sous l’autorité du Premier ministre. Elle complète les postures permanentes de sauvegarde maritime (PPS-M) et de sûreté aérienne (PPS-A), ainsi que la posture de cyberdéfense (PP-C) et les capacités de soutien spécifiques du Service de santé des armées (SSA) et du Service des essences des armées (SEA).
(17) Maréchal de Lattre de Tassigny.