Le temps où les puissances occidentales avaient l’ascendant dans la troisième dimension est désormais révolu. Le combat aérien à l’horizon 2035 sera plus polymorphe, plus complexe et plus exigeant. Il faudra également augmenter la capacité à durer tout en renouvelant différentes composantes dont le système au sol nucléaire.
Le combat aérien à l’horizon 2035
Du fait aérien à la puissance aérospatiale
Dès la Première Guerre mondiale, l’expérience, les possibilités offertes et l’évolution rapide des caractéristiques de l’ensemble des moyens employés ont conduit à poser les fondements des missions qui définissent une force aérienne. Cela a d’abord été la reconnaissance pour observer les manœuvres adverses, tandis que la chasse cherchait à dénier à l’adversaire cette capacité. Le bombardement a permis de porter le feu dans la profondeur du dispositif adverse, et le transport d’acheminer très rapidement des moyens. L’action aérienne se fonde toujours sur ces quatre missions liées aux caractéristiques propres du milieu aérien.
La question de la liberté d’action dans ce milieu et de son accès a logiquement été rapidement posée. Est alors apparu le concept de supériorité aérienne qui consiste à acquérir puis conserver l’accès à tous ces avantages tout en en privant l’adversaire. L’Histoire démontre que c’est à cette condition que des victoires militaires stratégiques peuvent être remportées, à moindre coût humain ou matériel.
Rapidité, allonge, souplesse d’emploi, gages de la capacité à réagir, à surprendre et à frapper l’adversaire où qu’il soit, sont devenus les caractéristiques principales de la puissance aérienne militaire qui a étendu, selon des logiques proches les mêmes principes à l’espace.
Une puissance aérospatiale militaire soumise à une forte contestation
Une évolution de la conflictualité
Depuis la fin de la guerre froide, les puissances occidentales ont fondé leurs actions militaires sur une suprématie aérienne sans partage. Nos adversaires, avérés et potentiels, se sont adaptés. Ils ont développé des modes d’actions contournant, voire entravant, notre supériorité aérospatiale. Ils sont devenus fugaces, notamment dans des conflits de basse intensité et asymétriques. Pour rendre leur détection et leur engagement difficiles, ils se fondent parmi la population, utilisent tous les terrains favorables (montagnes ou villes) ou développent des modes d’actions souterrains (tunnels urbains, caches…). De plus, en évitant l’engagement décisif, ils provoquent aussi la persistance des conflits dans le temps long dans une logique de lutte des volontés.
Par ailleurs, un adversaire potentiel, même proche de la parité, peut employer des modes d’action ambigus dans le cadre d’une approche hybride. Il opère alors de façon masquée et mène des opérations dont les objectifs sont à première vue peu identifiables, tout en tirant parti de toutes les vulnérabilités et faiblesses de la cible. Ce mode d’activité limite politiquement notre capacité d’action tout au moins dans des délais qui permettent à l’adversaire d’atteindre des objectifs limités et la prise de gages qui le place dans une position favorable selon le principe du fait accompli. Nos capacités de renseignement peuvent être alors particulièrement prises en défaut et un retour au statu quo ante pourrait impliquer un risque important d’escalade du niveau de violence sans rapport avec les enjeux en cause. Dans ce cas, les forces aériennes peuvent apporter une réponse particulièrement adaptée par leurs capacités à agir rapidement, même loin de leurs points d’appui, dans la profondeur et avec les préavis les plus courts, tout en représentant une empreinte au sol minimale, mais aussi avec une proportionnalité et une réversibilité de l’action propices au contrôle du niveau de violence voire à la désescalade. La manœuvre aérienne conduite par des plateformes de combat, de reconnaissance et de transport (avions de combat, de transport, drones, avion léger de surveillance et de reconnaissance [ALSR], avions, hélicoptères ravitaillables en vol…) peut en effet combiner tous les modes d’action des opérations de l’intimidation, à la saisie de gages (via l’action des commandos-parachutistes de l’air au sol) ou la frappe cinétique d’arrêt.
Le risque de conflit de haute intensité a également augmenté ces dernières années par l’affirmation de nouvelles puissances ou la réémergence d’anciennes. Alors qu’un réarmement est constaté dans la plupart de nos zones d’intérêt, elles disposent ou souhaitent acquérir des capacités militaires, notamment aéronautiques et spatiales, qui les situent à parité ou à un niveau proche du nôtre. Elles peuvent alors contester l’utilisation de ces milieux y compris dans le cadre d’un conflit à objectif limité. Le risque est accru par la remise en question du traitement des conflits dans un cadre multilatéral et plus généralement de l’ordre du monde tel qu’il s’est constitué depuis la chute du bloc soviétique. Le contexte général sans rendre l’hypothèse d’un conflit majeur inéluctable en renforce néanmoins l’éventualité.
Un espace de bataille de plus en plus contesté dans les champs matériels et immatériels
La menace actuelle la plus forte réside dans la dissémination des moyens concourant à des stratégies dites de déni d’accès A2/AD (Anti Access/Area Denial). Ils visent à contester la supériorité occidentale, notamment aérienne, mais s’étendent aussi aux espaces maritimes voire exo-atmosphériques. Dans le milieu aérien, l’A2/AD s’appuie sur des systèmes intégrés IADS (Integrated Air Defence System), employant des radars et des systèmes sol-air performants liés en réseaux maillés, éventuellement utilisés en coordination avec une aviation de dernière génération. La portée de ces systèmes pourra créer des barrières de défense très cohérentes et robustes. Couvert par ces moyens, l’adversaire retrouverait une pleine liberté d’action pour conduire des attaques sur nos forces, nos lieux de stationnement et nos chaînes logistiques. De plus, de nombreuses forces aériennes améliorent nettement leur niveau d’entraînement ce qui réduit aussi l’écart qui nous était jusqu’alors favorable.
Parallèlement, la démocratisation des moyens légers (drones, missiles rustiques, roquettes lourdes) rend leur usage courant sur les théâtres d’opérations, y compris par des entités non-étatiques. Ils peuvent menacer jusqu’à nos emprises territoriales métropolitaines ou outre-mer. Ces moyens autorisent des stratégies de harcèlement, de test de nos défenses voire d’usure. Les attaques contre les bases aériennes russes en Syrie en 2018 ainsi que les frappes contre les installations pétrolières en Arabie saoudite en 2019 ont démontré l’acuité de ces menaces. Les forces en surface ainsi que les points névralgiques sont de ce fait de plus en plus exposés à une menace provenant de la troisième dimension.
Mais, la confrontation potentielle s’exprimera aussi massivement dans le spectre électromagnétique et dans les champs numériques. Il est en effet facile pour des acteurs étatiques comme non étatiques, avec peu de moyens, de menacer certains systèmes à l’instar du GPS. Ces actions peuvent avoir des effets sur les matériels tant militaires que civils. Des États comme la Russie et la Chine développent des organisations et des moyens très puissants qui peuvent mettre en danger le fonctionnement des équipements de navigation, de ciblage, d’identification et de communication voire certains armements. La menace cyber est permanente et pèse sur l’ensemble des systèmes dès le temps de paix. L’intégrité et la protection des données sont à ce titre primordiales dans le cadre du développement de l’intelligence artificielle. Toute architecture présente et future doit, en conséquence, être conçue pour faire face à ces menaces, en particulier celles pesant sur la permanence des communications et des échanges numériques.
Enfin comme l’espace est devenu central, il est le théâtre d’une concurrence voire de confrontation. Certains essayent d’écouter les communications des autres, voire de dégrader certaines capacités de renseignement, de navigation ou de communication. L’accès à l’espace peut être dénié par des attaques cyber et l’utilisation des moyens spatiaux peut être perturbée par du brouillage, l’aveuglement des capteurs optiques, etc. Nos capacités spatiales seront menacées, y compris leur segment sol. L’appui et le soutien aux forces, mais aussi les services fournis à l’ensemble de l’activité économique nationale, ne pourront plus être considérés comme garantis en permanence, la résilience doit donc s’organiser.
D’où l’impérieuse nécessité d’adapter l’Armée de l’air et de l’espace à la physionomie du combat en 2035
Le nécessaire renforcement du combat collaboratif
Une capacité renforcée de combat collaboratif permettra de dépasser la logique du duel. Il renforcera la permanence, la survivabilité et l’efficacité des moyens aériens grâce à un système de systèmes très digitalisé. Cette digitalisation permettra de passer de la coordination entre les systèmes, à la collaboration puis à un haut niveau d’intégration. Les capteurs et toutes les plateformes seront mis en réseau, permettant l’établissement de la situation opérationnelle et des engagements collaboratifs plus rapides. L’IA et l’analyse massive de données permettront de détecter plus rapidement l’adversaire, comprendre plus facilement sa manœuvre et enfin choisir les meilleurs modes d’action pour le combattre et le vaincre. Les opérations aériennes étant menées essentiellement en coalition, l’ensemble devra être développé en coordination avec nos alliés. Pour cela, nous devrons définir des standards permettant un très haut niveau d’intégration des forces tout en conservant des mécanismes de souveraineté pour les missions nationales. L’amélioration constante de l’interopérabilité entre les Typhoon, les Rafale et les F-35 est un exemple de mise en application de ces principes.
La structuration des réseaux et des données à travers le cloud de combat sera un préalable indispensable à la mise en place du combat collaboratif tel qu’il est défini par l’Armée de l’air. Le cloud de combat peut être défini comme un ensemble où chaque acteur constitue un nœud de communication participant au recueil, au traitement, à la valorisation et à la distribution contextualisée de données. Agrégées, elles contribuent à l’élaboration d’une situation tactique partagée et au partage des informations, constamment mises à jour, nécessaires à l’exercice de la mission. Il sera alors possible d’accélérer le tempo du recueil, du traitement de l’information puis de l’engagement et ainsi répondre aux modes d’actions de l’ennemi visant à réduire les périodes pendant lesquelles il est vulnérable. Cette connectivité doit aussi permettre de renforcer les liens avec les forces agissant en surface afin d’améliorer l’intégration générale de la manœuvre et ne pas laisser à l’adversaire le temps de s’adapter.
Le combat collaboratif implique un partenariat renforcé entre les opérateurs humains (embarqués ou non), et des systèmes disposant d’un certain niveau d’autonomie (Remote Carriers notamment). L’objectif est d’améliorer l’efficacité au-delà de ce que le seul vecteur habité traditionnel pourrait obtenir, grâce à l’appui fourni par des drones, des ailiers non pilotés, mais interagissant de manière étroite avec le chef de patrouille (loyal-wingmen) ou des systèmes automatisés consommables. Il est bien entendu que les décisions cruciales resteront l’apanage de l’être humain et que l’autonomie sera strictement bornée dans un cadre espace-temps défini, pour accomplir des tâches qu’il aura autorisées.
Progressivement, tirant le meilleur parti des progrès en termes de communication et de connectivité, de portée des senseurs et des effecteurs, les forces aériennes et spatiales, conçues comme un système de systèmes, inscriront leurs effets combinés dans le temps et l’espace, et leurs organisations et leurs moyens dans une perspective multidomaine. Celle-ci intégrera pleinement l’action de l’ensemble des armées et services en faisant bénéficier chacun du soutien, de l’appui, de l’expertise et de l’excellence des autres.
Une nécessité : durer pour gagner
Les conflits de haute intensité de demain se caractériseront par une phase initiale brève et très violente. La victoire tiendra toujours à un ensemble composé de supériorité technologique, d’agilité tactique et opérative, et de la qualité de l’entraînement. Mais dans un contexte de rééquilibrage général, la capacité à durer, donc la résilience, pourra s’avérer décisive. Il faudra pouvoir supporter une attrition élevée. Dès lors, la masse retrouve une place importante : la quantité redevient un facteur essentiel.
Un niveau de performances des systèmes au juste besoin
Le renforcement du combat collaboratif n’efface pas l’exigence de se maintenir au juste niveau opérationnel en améliorant les capacités pour continuer à remplir les missions dès avant l’entrée en service du New Generation Fighter (NGF) dans le cadre du système de combat aérien du futur (Scaf) prévue en 2040. Afin de répondre aux enjeux à l’horizon 2030-2035, notamment au profit de la dissuasion, l’Armée de l’air modernise ses capacités de combat et progresse dans les différents champs technologiques.
Tout d’abord, elle ne pourra être aussi efficace dans les opérations de haute intensité, antiterroristes et de stabilisation que grâce à son aptitude à détecter l’adversaire et à adapter l’emploi de la force au contexte et à l’environnement. La multiplication des capteurs de haute qualité et des plateformes de surveillance ainsi que la fluidité du renseignement dans le C2 seront indispensables. La modernisation des moyens et des processus de ce C2 est aussi la condition de l’accélération du tempo des opérations et d’une meilleure intégration multidomaine, éléments fondamentaux pour répondre aux défis et enjeux de l’environnement opérationnel futur.
S’agissant du volet défensif, il est indispensable de moderniser et développer nos moyens de défense et de protection du territoire national, des points d’appui et des forces déployées afin de conserver notre liberté d’action aux niveaux opératif et stratégique. Cela passe en particulier par des capacités de lutte anti-drones et une défense aérienne et antimissile de théâtre modernisée suffisamment dense pour faire face à une menace polymorphe et saturante (aéronefs, missiles de croisière dont supersoniques puis hypersoniques, missiles balistiques, roquettes lourdes, drones armés…). Des moyens de détection lointaine et d’alerte avancée pour bénéficier de l’anticipation requise, des capacités accrues de protection de nos satellites et in fine une plus grande continuité de surveillance et d’action entre milieux aériens et spatiaux s’avèrent aussi nécessaires. En outre, la mission de défense aérienne, sur notre territoire (posture permanente de sûreté-Air) comme en opérations, fera face à un accroissement important du trafic aérien civil, y compris avec une multiplication des appareils légers (dont des drones) en basse altitude. L’Armée de l’air devra se doter des moyens aériens adaptés qualitativement et quantitativement pour pouvoir intervenir avec un fort pouvoir de discrimination dans des environnements aériens qui seront extrêmement denses.
Les conflits verront aussi l’emploi d’un nombre important d’armements. Il est indispensable de constituer des stocks permettant de durer dans un contexte où les opérations pourraient connaître des phases aiguës très denses. Dans la lutte contre les IADS (Integrated Air Defense System), de nouvelles munitions intelligentes, évoluant en meute, permettront de saturer les défenses adverses. Leur coût devra être réduit afin de pouvoir être tirés en grand nombre. Au niveau tactique, des moyens de guerre électronique et cyber agiront de manière combinée en complément des moyens cinétiques. En parallèle, les munitions air-air et air-sol seront modernisées de manière cohérente : MICA NG, rénovation du Meteor, futurs missiles de croisière et antinavire améliorant notamment notre capacité à neutraliser les défenses adverses.
Compte tenu de l’éloignement, de la durée des opérations sur les théâtres lointains mais aussi de la nécessité de répondre rapidement à des situations de crise, le transport aérien militaire joue un rôle fondamental dans le cadre de la manœuvre globale interarmées. Le renforcement des moyens en quantité comme en qualité (MRTT, A400M, C130J, Caracal Standard 2, hélicoptères lourds…) renforcera les capacités de mobilité stratégique et intra-théâtre (opérative et tactique) comme nos capacités de combat au profit de l’ensemble des armées.
Enfin, lors de son discours du 7 février 2020 à l’École militaire, le président de la République a clairement réaffirmé sa détermination à maintenir la dissuasion nucléaire et sa crédibilité opérationnelle dans la durée. Analysant les ruptures stratégiques, politiques, juridiques et technologiques qui rendent l’environnement de sécurité actuel et futur instable et incertain, il a insisté sur la nécessité d’anticiper les menaces à venir et d’adapter continûment notre outil de défense aux nouveaux modes de conflictualités. Dans ce contexte, le renouvellement de la composante nucléaire aéroportée s’appuiera, à l’horizon 2035, sur le système d’armes air-sol nucléaire de quatrième génération (ASN4G). Conçu autour de l’hypervélocité, définie comme l’association d’une vitesse hypersonique et d’une manœuvrabilité accrue, ce missile aura la capacité de pénétrer les futures défenses adverses, garantissant la possibilité d’infliger à l’ennemi des dommages absolument inacceptables. En parallèle, les évolutions du Rafale et la mise en service du NGF (New Generation Fighter) assureront la capacité d’entrée en premier du porteur de l’arme nucléaire, dont la dualité illustre concrètement l’articulation conventionnelle-nucléaire présentée par le président de la République. ♦