Le rôle structurant des coopérations inter-étatiques
Les programmes de coopérations en matière d’armement
La coopération en matière d’armement entre les pays européens aux niveaux aérien, terrestre, maritime, spatial, ou encore nucléaire s’organise essentiellement autour de la France, du Royaume-Uni, de l’Allemagne, et dans une moindre mesure de l’Italie, et concerne la base industrielle et technologique (BITD), les capacités d’innovation, de développement et de production.
Positionnement des trois grands acteurs européens
L’armement est largement corrélé aux budgets de Défense, qui ont connu une forte hausse (+ 4,9 %) (1). Dans le Top 100 des industries d’armement figurent 24 entreprises d’Europe occidentale, dont sept du Royaume-Uni. La France, l’Allemagne et le Royaume-Uni se classent respectivement à la 4e, 5e et 6e place des exportateurs d’armement à l’échelle mondiale et leurs transactions représentent 16,2 % de ces transferts (2). Le cadre dans lequel se situent les relations entre les trois pays conditionne la collaboration en termes d’armement. Entre la France et le Royaume-Uni, les positionnements divergent : la première est plus encline à soutenir une défense européenne en y associant les Britanniques, alors que le second plaide pour une coopération bilatérale (3). Les Allemands, quant à eux, misent sur des coopérations industrielles et capacitaires dans le cadre de l’Otan (4). Le Brexit est venu rebattre les cartes, dans la mesure où le Royaume-Uni critiquait toute initiative qui aurait approfondi l’Europe de la défense comme autant de défis lancés à l’Otan ; dans le sillage de cet événement, la défense européenne a émergé, notamment avec la Coopération structurée permanente (CSP ou PESCO).
L’industrie d’armement en Europe
Situation générale
Les industries européennes couvrent tous les secteurs de l’armement : terrestre, naval, aéronautique, missile, espace, électronique, Systèmes d’information et de communication (SIC), nucléaire. Si leur poids est important – 1,4 million emplois directs ou indirects et un chiffre d’affaires total de 100 milliards d’euros par an (5) –, l’essentiel se concentre sur six pays dont l’industrie est réellement significative : France, Royaume-Uni, Allemagne, Italie, Espagne et Suède (avec un fort poids pour les trois premiers). Les six premières entreprises européennes d’armement ont chacune plus de 10 000 salariés et un chiffre d’affaires d’au moins 5 Mds $ (6), et ce malgré l’émiettement des projets et entités en Europe : en 2014, il existait ainsi onze programmes parallèles et concurrents de véhicules blindés, contre deux aux États-Unis et seize chantiers navals, contre trois outre-Atlantique. Certains secteurs font toutefois exception et témoignent d’une bonne intégration, ce qui a conduit à faire émerger des leaders : Airbus Group pour le transport militaire, le missilier MBDA (7), Airbus Helicopters et Leonardo Helicopters, Airbus Group et Ariane Space (8) pour les lanceurs, Airbus Defence & Space et Thales Alenia Space (9) pour les satellites.
Le cadre des coopérations en Europe
Trois leviers guident la coopération en matière d’armement : l’interopérabilité des armées nationales, le partage des coûts de matériels onéreux et innovants, le soutien à l’industrie européenne de défense (10), mais ce sont bien des objectifs économiques et financiers qui sont avant tout visés, en partageant les coûts et les risques du développement de matériels complexes. Il s’agit, sur le plan industriel, de maintenir la compétitivité des entreprises européennes de défense en alimentant leurs bureaux d’études et leurs chaînes de production, et d’encourager les recompositions industrielles, afin qu’elles puissent faire face à la concurrence des entreprises américaines ou venant des pays émergents. C’est pourquoi a été créée l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (Occar) qui rassemble six pays membres et des pays associés (11). L’Occar est toutefois loin d’être l’agence unique de la coopération en matière d’armement : ainsi dans le cas du missile Metor, la maîtrise d’ouvrage est assurée par une structure de circonstance, l’International Joint Programme Office.
Exemples de coopération
Les exemples de coopération sont nombreux, aussi se limitera-t-on ici à évoquer un succès récent et une coopération difficile mais emblématique. Le programme de la famille de missiles sol-air du futur (FSAF) de type Aster, lancé en 1989, fut favorisé par la maîtrise d’œuvre confiée à un industriel unique (Aerospatiale, intégrée depuis dans MBDA) et une expression de besoins harmonisée ayant conduit à l’adoption du même missile par l’ensemble des États partenaires. La Cour des comptes estime à 10 % le gain financier du programme par rapport à une production nationale (12). Une version navale du missile antiaérien Aster a également été développée, coopération associant la France, l’Italie et le Royaume-Uni au sein du programme PAAMS (Système principal de missiles antiaérien). Les missiles Aster équipent notamment les Frégates multimissions (Fremm) et celles de classe Formidable (dérivées des La Fayette) des marines singapouriennes, marocaines et égyptiennes. Actuellement, ils ont pour concurrents principaux les missiles Patriot, préférés aux Aster par l’Armée polonaise en avril 2015.
Certaines coopérations se sont en revanche trouvées compliquées par la différence des calendriers politiques, des nécessités opérationnelles et l’absence de pilotage unique de la maîtrise d’œuvre : le programme A400M en constitue un exemple parlant. Prévu pour octobre 2009, l’Armée de l’air française a finalement reçu son premier appareil en août 2013. En raison du retard, les sept États pouvaient résilier le contrat mais ils ont préféré poursuivre le programme, « au prix d’une augmentation des frais de développement (2 Mds €) et du versement d’avances remboursables (1,5 Md €) », Airbus prenant à sa charge une partie des pertes. Selon la société, on peut estimer celles-ci à plus de 6,9 Mds €. L’industriel a également obtenu un nouveau calendrier de livraisons qui, pour les 50 appareils français, s’étale de 2013 à 2024. En dépit des aléas du programme, celui-ci reste « prometteur sur le plan opérationnel », estime la Cour des comptes (13). La France, qui dispose actuellement de 15 appareils en a d’ailleurs engagé plusieurs dans l’opération Barkhane au Sahel (14).
Collaborations entre grands pays
Coopération franco-britannique
Le cadre
Les deux pays semblent être des partenaires idéaux et avoir les capacités nécessaires à représenter au premier plan la défense européenne. Français et Britanniques ont une culture commune de l’engagement. Tous deux ont acquis une tradition d’intervention en Afrique et au Moyen-Orient du fait de leurs anciennes colonies. Ce sont aussi les deux seuls pays européens possédant la force nucléaire et appartenant au Conseil de sécurité de l’ONU. En outre, ils se trouvent être les principaux acteurs de la défense de l’UE. Ils représentent un peu moins de la moitié de la dépense en défense de l’Europe, et plus de la moitié de ses capacités militaires réelles (15). Si la préférence américaine et otanienne du Royaume-Uni avait restreint leur coopération, la « fatigue multilatérale » des années 2010 ainsi que la tournure isolationniste du Président américain ont permis de renouveler leurs relations (16). Les Traités de Lancaster House signés en 2010 ont profondément rénové la coopération entre les deux puissances dans le domaine opérationnel, mais également nucléaire. Jamais les relations entre les deux pays n’ont été aussi signifiantes pour l’avenir de la défense européenne.
L’un des trois piliers des Accords de Lancaster House est l’interopérabilité et l’entraînement des forces communes. Non permanente, la Force expéditionnaire commune (CJEF) a pour objectif le déploiement d’un détachement franco-britannique en cas de crise (incluant la capacité – rare – d’intervenir en premier en opération et de manière rapide). Depuis 2011, une série d’entraînements de terrain – Flandre (2011, terre) ; Corsica Lion (2012, marine) ou Capable Eagle (2013, air) – et d’état-major – Rochambeau (2014) ou Griffin Rise (2015) – sont parvenus à finaliser le concept de CJEF (validé par l’exercice interarmées de 2016, Griffin Strike). Sur décision politique, il est désormais possible de mettre en place de façon rapide un état-major permettant le déploiement efficace des forces, assurant une interopérabilité et une capacité de coordination des forces combattantes, des logistiques et des systèmes d’information et de communication (17). Après la validation du concept de CJEF, les armées ont continué à travailler ensemble en vue de son possible emploi (Griffin Blast et Griffin Rise décembre 2017 et juin 2018 ; Catamaran 2018). Il doit néanmoins être noté qu’à ce stade, la force est seulement disposée pour la gestion de crise ou pour des opérations de maintien de la paix. Elle n’a pas encore atteint sa pleine capacité opérationnelle, notamment concernant des opérations de hautes intensités.
Un autre point fort réside dans le fait que la Direction générale de l’armement (DGA) et son homologue britannique, Defense Equipment and Support, ont acquis un degré de confiance réciproque inégalé, qui permet d’envisager de déléguer la maîtrise d’ouvrage d’un programme commun à l’une des deux structures, comme cela fut le cas pour le missile air-air longue portée de classe Meteor (18). La dynamique des coopérations capacitaires s’est poursuivie ces dernières années : on peut citer le programme de lutte contre les mines navales de 2015 (19) ou l’Accord intergouvernemental dans le domaine des missiles, entré en vigueur le 12 octobre 2016 (20). Cette active coopération a également permis l’émergence du groupe missilier MBDA, un des secteurs les plus dynamiques de la coopération franco-britannique.
Déploiements conjoints
En dehors du cadre de la CJEF, les forces armées ont souvent été déployées côte à côte sur des terrains d’opérations variés. Face aux Talibans en Afghanistan, ainsi qu’en Méditerranée contre Daech, ou encore au sein des missions de l’UE ou de l’Otan, les personnels militaires ont combattu ensemble. Sur leurs terrains actuels d’engagements, les deux pays se sont également impliqués à se soutenir réciproquement. En Estonie, les Français ont renforcé leur présence auprès du groupement tactique britannique engagé au sein de l’Otan depuis mars 2017. Par ailleurs, trois hélicoptères de transport lourd CH-47 Chinook de la Royal Air Force (RAF) renforcent Barkhane depuis 2017 (21). 93 soldats britanniques sont actuellement engagés à soutenir les forces au Sahel, ainsi qu’un avion C-17 Globemaster III de transport lourd. Enfin, on peut mentionner qu’en plus du cadre des opérations, des échanges d’officiers et divers séminaires et conférences de diplomates permettent régulièrement de promouvoir des dialogues en vue d’une compréhension plus globale entre les deux pays.
Le nucléaire
Last but not least, le dernier espace dans lequel la coopération franco-britannique apparaît comme fondamentale depuis ces dernières années est le domaine nucléaire. Ce n’est qu’en 1992 que des discussions sur la coopération du nucléaire militaire apparaissent réellement (22), et c’est en 2010 dans le cadre des Accords de Lancaster House que le dialogue est relancé par un premier accord de coopération sur la sûreté et la sécurité des armes nucléaires, la certification des stocks et la lutte contre le terrorisme nucléaire et radiologique (23). Mis en avant par le Traité additionnel Teutatès en 2010 (24), ce domaine a connu des avancées conséquentes. Le programme prévoit le partage d’installation conjointe, et notamment du site du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) de Valduc (Bourgogne). L’objectif est de mener à bien des essais de simulation indépendants pour accroître la sûreté et la performance des armes depuis l’arrêt des essais nucléaires (25).
Coopération franco-allemande
Le cadre, l’armement
Inscrite dans le Traité de l’Élysée du 22 janvier 1963 (26), la coopération militaire franco-allemande est fortement structurée et son périmètre d’action très vaste. Elle trouve son expression institutionnelle au travers du Conseil franco-allemand de défense et de sécurité (CFADS) institué en janvier 1988, qui réunit le Président et le Chancelier avec les ministres de la Défense et des Affaires étrangères ainsi que les Chefs d’état-major des armées tous les six mois. En juin 2012, l’Allemagne et la France signent une lettre d’intention (27) qui affirme que la coopération franco-allemande est déterminante pour le développement de l’industrie européenne de l’armement et liste huit domaines de coopération. Il n’en reste pas moins que les deux pays ont de sérieuses différences, la mission fondamentale de l’armée allemande étant de défendre le sol allemand, tandis que la France souhaite disposer de capacités significatives de projection.
Une impulsion forte n’en a pas moins été donnée au niveau des coopérations capacitaires avec par exemple le programme de remplacement des moyens de patrouille maritime, initié par une lettre d’intention ministérielle, signée le 26 avril 2018 (28). Mais surtout, le CFADS du 13 juillet 2017 a annoncé la volonté de construire ensemble le futur avion de combat de 5e génération Scaf, successeur du Dassault Rafale et de l’Eurofighter Typhoon, intention confirmée le 26 avril 2018 au Salon aéronautique de Berlin (29). Par ailleurs, la fusion Nexter-KMW (Krauss-Maffei Wegmann) dans le domaine des blindés, projet, initié en 2015 sous une holding commune détenue à parité par l’État Français et la famille Bode-Wegmann, visait à renforcer la capacité commune
La coopération franco-allemande a toutefois rencontré certaines limites industrielles : la concurrence durable qui oppose Naval Group et TKMS dans le domaine des sous-marins à propulsion classique et surtout les éventuels freins à l’exportation, puisque sous l’influence de la société civile (30), l’Allemagne a interdit les ventes d’armes vers certains pays (31).
Forces, opérations et exercices
La réalité de la coopération se concrétise dans des unités binationales, dont la plus importante est la Brigade franco-allemande (BFA). Créée en 1989, placée sous la direction du Corps de réaction rapide européen (CRR-E ou Eurocorps), elle comporte 5 600 hommes dont 60 % d’Allemands (32). Ils sont répartis de part et d’autre du Rhin en un état-major, 6 régiments et bataillons et 1 compagnie autonome. Ses premiers engagements ont eu lieu en Bosnie en 1996 puis en 2002. La force a été engagée en Afghanistan en 2004, où son état-major a pris la tête de la Force internationale d’assistance à la sécurité (Fias) : il s’agissait de sa première mission sur un théâtre extra-européen. Elle est actuellement partiellement déployée au Mali, mais de manière séparée puisque le détachement français intervient au sein de l’opération Barkhane tandis que le détachement allemand intervient au sein de la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali) et de l’EUTM-Mali (33). Son opérationnalité a pourtant fait l’objet de critiques. Dès 2011, la Cour des comptes posait déjà la question de la refonte ou de la suppression de cette unité. En 2015, à l’issue d’une visite à la BFA, Patricia Adam, alors présidente de la commission de la Défense, exposait à l’Assemblée nationale que les différences entre les règles juridiques françaises et allemandes empêchaient d’emmener des unités mixtes au combat (34) ; ce faisant, la BFA se contentait, en pratique, de juxtaposer des unités qui ne pouvaient opérer conjointement.
De rares autres unités ont été créées après la BFA, telles que l’Escadron commun de transport tactique franco-allemand. Créé le 10 avril 2017, dans un contexte de retard technologique des A400M français, il permet de mutualiser les coûts de maintien en condition opérationnelle des C-130J employés, sur une même base à Évreux, par les armées de l’air des deux pays. Elle devrait être opérationnelle d’ici 2021 (35).
La coopération se manifeste en outre par des exercices, des formations communes et des échanges de personnels. Ainsi, de manière quasi ininterrompue depuis 1962, la 11e Brigade parachutiste (11e BP) et la 1re Luftlande Brigade organisent annuellement un exercice d’entraînement bilatéral : Colibri. En juillet 2018, fut mené l’exercice CASEX ATC dans les environs de Besançon et du Haut-Doubs (36), il visait à la formation commune de contrôleurs aériens JTAC (Joint terminal Attack Controller). Des formations communes ont également lieu par l’intermédiaire des Écoles franco-allemandes du Tigre (EFA). L’Armée de terre française et le Heer allemand disposent, depuis 2012, d’un programme annuel d’échange d’officiers dit EOFIA (Élève-officier en formation initiale en Allemagne). L’École navale a également un programme d’échange similaire sur 5 ans (EFENA, Élève français en formation à l’École navale allemande) (37).
Le nucléaire
En vertu du Traité de Moscou (12 septembre 1990), l’Allemagne est juridiquement contrainte de ne pas fabriquer, posséder ou contrôler des armes atomiques. Elle bénéficie donc du parapluie nucléaire des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France dans le cadre de l’Otan ; de celui de la France dans le cadre de l’UE. Néanmoins, l’Allemagne est traversée depuis plusieurs décennies par un fort mouvement pacifiste et anti-nucléaire qui explique en partie l’absence de coopérations militaires en la matière. Certains analystes estiment même que cette perspective est en recul depuis la fin de la guerre froide (38). La perspective d’un retrait américain de la défense de l’Europe a néanmoins lancé un débat outre-Rhin sur la légitimité de doter l’Allemagne de capacités nucléaires (39).
Coopération franco-italienne
La France et l’Italie coopèrent depuis les années 1980, par la tenue d’un comité bilatéral « armement » entre les directeurs nationaux de l’armement de chaque pays, notamment dans le domaine naval, avec les frégates des classes Horizon et Fremm, conçues par Naval Group et Fincantieri. On a pu d’ailleurs constater une volonté politique de rapprocher ces deux groupes. Le délégué général pour l’armement Joël Barre a rencontré son homologue italien en décembre 2018 afin d’évoquer l’élaboration d’une politique commerciale commune (40). Le coup d’envoi de ces tractations avait été donné par le Sommet franco-italien du 27 septembre 2017 (41).
Cependant, les programmes de frégates évoqués précédemment ne sont pas réellement intégrés, car les Fremm françaises et italiennes sont très différentes et construites dans chaque pays. De plus, le développement récent de programmes nationaux concurrents pour des Frégates de défense et d’intervention (FDI, ex-FTI) en France et de patrouilleurs polyvalents hauturiers (PPA) en Italie peut être interprété comme un recul de la coopération. L’Italie s’est en effet dotée d’une ambitieuse loi navale, qui consacre 3,5 Mds € à la construction de six patrouilleurs hauturiers et d’un bâtiment de soutien.
Par ailleurs, des collaborations, ciblées mais en nombre, concernent d’abord le domaine des missiles avec la famille de systèmes surface-air basés sur les missiles Aster (42), et celui de l’Espace sur la radio logicielle (Essor). Dans le secteur spatial, la coopération s’établit sur une base industrielle commune grâce à l’Alliance spatiale (43) pour des projets de communication et d’observation communs. On peut ajouter la communication et des projets d’observation (44)(45).
Le renseignement dans un cadre multilatéral européen
Le président Macron a inauguré à Paris le Collège du renseignement le 5 mars 2019, réunissant des dirigeants des services de renseignements des 28 pays de l’UE. Soixante-six des quatre-vingts services européens étaient représentés, le but étant de partager les pratiques de renseignement. Événement inédit pour le monde du renseignement, cette réunion marque également la volonté d’assurer les pratiques déjà établies face aux nouvelles menaces, notamment hybrides.
Les pays membres de l’UE mènent, simultanément, deux stratégies d’approfondissement du renseignement ; la coopération verticale, à savoir, au sein des instances européennes (ex : Europol, INTCEN, SatCen (46)) et la coopération horizontale par ententes bilatérales parfois accompagnées d’accords de défense. Le partage d’informations liées à la souveraineté des États fait toutefois figure de dilemme, et ne peut être systématisé. Les services nationaux des États-membres d’alliances pluripartites (ex : Otan, UE, Five Eyes (47), etc.) sont réticents et restreignent donc le contenu qu’ils partagent. Pour autant, les menaces géopolitiques localisées poussent au développement d’ententes régionales (48).
Les accords bilatéraux demeurent toutefois privilégiés ; ponctuels et précis, ils ne se limitent pas toujours à la simple sphère des États communément alliés. Les services de renseignement français privilégient les coopérations bilatérales notamment avec leurs alliés historiques tels que l’Allemagne et la Grande-Bretagne. Ainsi, la relation franco-allemande en matière de renseignement s’est renforcée avec la signature, le 22 janvier 2019, du Traité d’Aix-la-Chapelle (49) entre Emmanuel Macron et Angela Merkel. Celui-ci évoque clairement le renforcement de la coopération en matière de renseignement entre les deux pays.
(1) Macdonald Andrew, McGerty Fenella et Eastman Guy, « NATO members drive fastest increase in global defense spendig for a decade », IHS Markit, 18 décembre 2018 (https://ihsmarkit.com/research-analysis/nato-members-drive-fastest-increase-in-global-defence-spending.html).
(2) SIPRI Yearbook 2017, Armaments, Disarmament and International Security, août 2017 (https://sipri.org/sites/default/files/2017-09/yb17-summary_fr.pdf).
(3) Calcara Antonio, « Brexit: What impact on armaments cooperation? », Global Affairs, 22 juin 2017.
(4) Paul Marion, « Armée fédérale allemande : des moyens accrus pour une stratégie toujours plus otanienne ? », Nemrod – Enjeux contemporains de défense et de sécurité, août 2018 (https://nemrod-ecds.com/?p=2371).
(5) Commission des affaires européennes, Les enjeux européens de l’industrie de Défense (Rapport d’information n° 1672), Assemblée nationale, 12 février 2019 (www2.assemblee-nationale.fr/).
(6) Sammeth Frank et Moura Sylvain, « Les grandes entreprises européennes en matière d’armement », Ecodef n° 62, décembre 2012 (www.defense.gouv.fr/sga/le-sga-en-action/economie-et-statistiques/publications-ecodef/ecodef-etudes).
(7) Actionnariat : Airbus pour 37,5 %, BAe Systems pour 37,5 % et de Leonardo (ex-Finmeccanica) pour 25 %.
(8) France, Italie, Allemagne, Espagne, Suède, Belgique, Danemark, Pays-Bas, Norvège, Suisse.
(9) Airbus Defence & Space (France, Allemagne, Royaume-Uni) et Thales Alenia Space (Thales France, Finmeccanica Italie).
(10) Revue stratégique de Défense et de Sécurité nationale, octobre 2017 (www.defense.gouv.fr/dgris/).
(11) Pays membres : France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Belgique et Espagne. La Finlande, la Lituanie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Pologne, la Suède et la Turquie sont associés à des programmes menés par l’Occar sans toutefois en être membres.
(12) Cour des comptes, La coopération européenne en matière d’armement, 17 avril 2018, p. 43 (www.ccomptes.fr/fr/publications/la-cooperation-europeenne-en-matiere-darmement).
(13) Ibid.
(14) Ibid.
(15) Government expenditure on defence, Eurostat, 2017 (https://ec.europa.eu/).
(16) Pannier Alice, « Le “minilatéralisme” : une nouvelle forme de coopération de défense », Politique étrangère, vol. 2015/1 (printemps), n° 1, p. 37-48 (www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2015-1-page-37.htm).
(17) État-major des armées (EMA), « Griffin Strike 2016 : interopérabilité à tous les niveaux », 21 avril 2016, Ministère des Armées (www.defense.gouv.fr/ema/).
(18) Le Royaume-Uni assure la maîtrise d’ouvrage, confiée à une structure ad hoc dénommée International Joint Programme Office pour le compte de six pays participants (Allemagne, Espagne, Italie, Suède, France et Royaume-Uni). C’est MBDA qui en est le maître d’œuvre industriel.
(19) Cabirol Michel, « Lutte contre les mines navales : Thales et BAE Systems dans le même bateau », La Tribune, 27 mars 2015 (www.latribune.fr/).
(20) Décret n° 2016-1558 du 18 novembre 2016 portant publication de l’Accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord concernant les centres d’excellence mis en œuvre dans le cadre de la stratégie de rationalisation du secteur des systèmes de missiles, signé à Paris le 24 septembre 2015 (www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000033423286&categorieLien=id).
(21) Ministère des Armées, « Barkhane : les trois hélicoptères CH-47 Chinook britanniques pleinement opérationnels à Gao », 30 août 2018 (www.defense.gouv.fr/).
(22) Date de la création de la commission nucléaire conjointe.
(23) Cazeneuve Bernard et Lord Robertson, Partenariat franco-britannique de défense et de sécurité : améliorer notre coopération (rapport), Institut Montaigne, novembre 2018 (www.institutmontaigne.org/publications/partenariat-franco-britannique-de-defense-et-de-securite-ameliorer-notre-cooperation).
(24) Traité entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes, 2 novembre 2010 (www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/291845_BST_hydro_French_Text_Formatted__Final_6.pdf).
(25) Guibert Nathalie, « Le nucléaire, cheville de la relation de défense franco-britannique », Le Monde, 19 janvier 2018.
(26) Traité de l’Élysée, 22 janvier 1963 (www.france-allemagne.fr/Traite-de-l-Elysee-22-janvier-1963).
(27) Cabirol Michel, « Drone MALE : la France et l’Allemagne veulent coopérer », La Tribune, 13 septembre 2012 (www.latribune.fr/).
(28) Parly Florence, « Conseil des ministres franco-allemand : l’Europe de la défense avance » (communiqué), 19 juin 2018 (www.france-allemagne.fr/).
(29) Guibert Nathalie, « Europe de la défense : Emmanuel Macron attend de nouvelles propositions », Le Monde, 29 novembre 2018.
(30) Boutelet Cécile, « L’embarrassant succès des armes made in Germany », Le Monde, 27 février 2018.
(31) AFP, « Ventes d’armes : Paris appelle Berlin à assouplir sa position », Le Monde, 24 février 2019 (www.lemonde.fr/).
(32) Armée de terre, « Présentation de Brigade franco-allemande », Ministère des Armées, 18 octobre 2018 (www.defense.gouv.fr/terre/l-armee-de-terre/le-niveau-divisionnaire/1re-division/brigade-franco-allemande).
(33) Merchet Jean-Dominique, « La Brigade franco-allemande part au Mali… mais chacun de son côté », L’Opinion, 29 janvier 2018 (www.lopinion.fr/blog/secret-defense/brigade-franco-allemande-part-mali-chacun-cote-142355).
(34) Commission de la Défense nationale et des Forces armées, « Audition du général Jean-Paul Paloméros, ACT, et communication de la présidente Patricia Adam suite à un déplacement conjoint auprès de la BFA de délégations du Bundestag, de l’Assemblée nationale et du Sénat », 23 juin 2015, Compte rendu n° 72 (www.assemblee-nationale.fr/14/cr-cdef/14-15/c1415072.asp).
(35) Lagneau Laurent, « La base d’Évreux abritera un escadron franco-allemand doté d’avions de transport C-130J Hercules », Zone militaire-Opex 360, 11 avril 2017 (www.opex360.com/).
(36) Courageot Sophie, « Rafale, Mirage, un vaste exercice aérien franco-allemand se prépare autour de Besançon », France 3, 11 juillet 2018 (https://france3-regions.francetvinfo.fr/).
(37) École navale, « L’École navale rencontre ses élèves-officiers EFENA » (www.ecole-navale.fr/node/51034).
(38) Maître Emmanuel, « Le couple franco-allemand et les questions nucléaires : vers un rapprochement ? », Note de la FRS n° 18, 7 novembre 2017, Fondation pour la recherche stratégique (www.frstrategie.org/).
(39) Alexander Graf Lambsdorff, ancien diplomate et actuel chef adjoint du groupe parlementaire du FDP (Parti libéral-démocrate), estime également qu’il est important de « débattre publiquement de la question des armes nucléaires », cf. Graw Ansgar, Jungholt Thorsten et Schuster Jacques, « “Noch immer wird Deutschland misstrauisch beäugt” », Welt, 29 juillet 2018 (www.welt.de/politik/article180142080/Atomdebatte-Muss-Deutschland-Nuklearmacht-werden.html).
(40) Cabirol Michel, « Fincantieri, ce partenaire de Naval Group qui joue un inquiétant double jeu », La Tribune, 19 janvier 2019 (www.latribune.fr/).
(41) Bauer Anne, « Défense : feu vert au rapprochement entre Naval Group et Fincantieri », Les Échos, 26 septembre 2017 (www.lesechos.fr/2017/09/defense-feu-vert-au-rapprochement-entre-naval-group-et-fincantieri-183257).
(42) Programmes FSAF et PAAMS24.
(43) Thales Alenia Space et Telespazio Communications.
(44) Projets Athena Fidus – fourniture de services de télécommunication à haut débit –, sous maîtrise d’ouvrage du Centre national d’études spatiales (CNES) lancé le 6 février 2014 et SICRAL 2 – complément de capacités en matière de télécommunications militaires sécurisées –, sous maîtrise d’ouvrage italienne, lancé le 26 avril 2015.
(45) L’Italie et la France coopèrent sur les échanges d’images radar (COSMO-Skymed) et optiques (Helios 2) au titre de l’accord concernant le système civilo-militaire ORFEO (Optical and Radar Federated Earth Observation), ainsi que sur l’interopérabilité de leurs segments sol dans le cadre du programme MUSIS. Cf. Giovanni Rum, « Coopération - France-Italie, un accord équitable », CNES Magazine, novembre 2002, p. 39-42 (www.cnes-multimedia.fr/).
(46) EU INTCEN : Centre de situation et du renseignement de l’UE, organe du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) basé, comme Europol, à Bruxelles ; EU SatCen : Centre satellitaire de l’UE basé à Torrejon (Espagne).
(47) Regroupant les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande et l’Australie.
(48) Par exemple, le NORDEFCO réunissant Danemark, Finlande, Islande, Norvège et Suède.
(49) Dossier « Signature du Traité franco-allemand d’Aix-la-Chapelle » comprenant notamment le discours du président Emmanuel Macron et le texte du Traité, 22 janvier 2019 (www.elysee.fr/).