La course à la mer Noire
Le 23 mars 1939 apparaît dès à présent comme une date importante dans l’histoire de l’expansion allemande en Europe sud-orientale. L’accord signé ce jour-là à Bucarest par le délégué du Reich et les ministres roumains des Affaires étrangères et de l’Économie nationale était officiellement destiné à compléter le traité de commerce germano-roumain de 1935 : c’est du moins ce qu’on affirmait à Berlin avec une insistance singulière au cours de la longue et laborieuse négociation dont l’accord est sorti. Mais sitôt après la signature, le dessein poursuivi et réalisé par la politique allemande est avoué sans réticence. « Cet accord dépasse de beaucoup le cadre des échanges économiques, — affirme, le 24 mars, la Deutsche allgemeine Zeitung. — L’Allemagne apporte son expérience, la Roumanie ses richesses naturelles. On est en droit d’espérer que le résultat sera tout autre chose qu’une simple addition des forces économiques des deux pays. »
Ce que le Reich attend du nouvel accord, et ce qu’il a de sérieuses raisons d’en attendre, ce n’est pas seulement, en effet, une augmentation du volume des échanges commerciaux entre les deux pays ; c’est l’adaptation de l’économie roumaine aux convenances et aux besoins particuliers de sa propre économie ; c’est l’incorporation d’un vaste et riche pays au système dans lequel il a déjà englobé l’Autriche, la Bohême et la Moravie ; c’est une main-mise plus ou moins complète sur les produits du sol et du sous-sol roumain ; et c’est enfin la faculté d’exercer sur la Roumanie, grâce à cette dépendance économique où l’accord l’aura placée, une action politique qui, dans certaines circonstances, pourrait être décisive.
Rappelons les grandes lignes de la convention du 23 mars. Un plan, s’étendant sur plusieurs années, prévoit le développement et l’orientation de la production agricole en Roumanie : c’est-à-dire qu’à côté des céréales, on cultivera les plantes fourragères, textiles et oléagineuses dont l’Allemagne a besoin. Des techniciens allemands organiseront l’exploitation des forêts et mettront sur pied une industrie du bois. Des sociétés mixtes germano-roumaines seront fondées pour l’extraction et l’exploitation des pyrites de cuivre de la Dobroudja, du chrome que possède le Banat, du manganèse qu’on trouve dans la région de Vatra Dornei, de la bauxite, de l’aluminium, etc… Une autre société mixte aura pour objet la prospection du pétrole et « l’exécution d’un programme de forage et de transformation ». Des zones franches seront créées, en vue d’abriter des installations industrielles ou commerciales, et « des dépôts pour les bateaux allemands ». L’accord prévoit le développement du réseau routier et des canaux, la création d’entreprises sous le contrôle de l’État et la collaboration des banques allemandes et roumaines pour le financement des affaires privées. Inutile d’ajouter que l’Allemagne paiera les produits roumains, non pas en devises, — puisqu’elle n’en a point, — mais en matériel de guerre et en outillage industriel.
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