L’énigme des Blindés (1932-1940)
Le général Conquet, sous le titre modeste de L’Énigme des Blindés, a en réalité exposé les causes de notre déficience en matériel et de notre insuffisance de préparation militaire qui sont à l’origine du désastre de 1940.
Cette étude est aussi remarquable par la richesse de sa documentation que par sa précision et sa clarté ; elle présente un intérêt particulier à l’heure où l’évolution imposée par le progrès implique une transformation profonde de notre organisation militaire.
Le général Conquet, en raison de sa situation auprès du Maréchal Pétain avant 1939, a été au courant d’événements encore mal connus ; de même qu’il a été en contact avec de hautes personnalités civiles et militaires dont les opinions se sont singulièrement modifiées au cours des événements ; et s’il ne cache pas son admiration pour son ancien chef, du moins il a le mérite d’exposer les faits avec un souci constant d’impartialité.
L’exposé des événements, si grande que soit la bonne foi de ceux qui les ont étudiés renferme toujours des erreurs et il ne peut en être autrement, car ceux qui y ont été mêlés s’efforcent toujours, par un sentiment humain excusable, d’atténuer leurs erreurs et d’exalter leurs mérites ; il n’est possible d’en tirer toute la valeur qu’ils peuvent comporter que si on élève le débat au-dessus de toute considération d’exactitude de détail ou d’opinions pour essayer d’en tirer les enseignements qu’ils contiennent.
Une grande leçon se dégage de l’ouvrage du général Conquet.
Cette leçon est que la préparation d’un pays à la guerre appartient à son gouvernement : il est nécessaire sans doute qu’un gouvernement fasse appel à des techniciens de tous ordres pour se renseigner, mais il est seul responsable de la décision à prendre et des moyens nécessaires à l’exécution de cette décision.
Or cette résolution repose :
– sur des considérations de politique générale,
– sur des considérations matérielles,
– sur des considérations morales.
La politique générale d’un gouvernement est en général pacifique. Mais l’éloignement de toute conception agressive ne doit faire perdre de vue qu’une armée est toujours un instrument de combat, qui doit être organisé, outillé, commandé, pour une action de force.
Au point de vue matériel, une armée doit être dotée des engins nouveaux qui résultent du progrès et ceux-ci doivent être utilisés afin de permettre l’exploitation complète de leurs qualités. L’évolution des procédés tactiques est donc constante.
Au point de vue moral, il est enfin capital que le gouvernement – non seulement dote le pays d’une armée qui soit son instrument de combat – mais encore prépare cette armée si la nation a à affronter sans défaillance les épreuves et les risques de la guerre.
Il résulte de l’ouvrage du général Conquet qu’aucune de ces conditions cependant primordiales n’étaient remplies en 1939.
La cause profonde en demeure la faiblesse des gouvernements démocratiques toujours soumis à des influences politiques. On ne peut mettre en doute en effet le patriotisme des chefs de gouvernement qui se sont succédé au pouvoir durant les années qui ont précédé la guerre, et cependant ils n’ont eu ni l’énergie nécessaire pour obtenir du Parlement en temps utile le vote des crédits jugés indispensables par les chefs militaires, ni la volonté de prendre toutes mesures opportunes, y compris la réorganisation de la structure de notre armée, pour faire face au réarmement intensif de l’Allemagne.
Le même manque d’autorité caractérise les réalisations matérielles ; exécutants militaires et constructeurs discutent inlassablement de l’engin le meilleur. Les prototypes se succèdent, les marchés traînent en longueur ; on oublie que le danger peut être de l’heure.
Enfin la conception néfaste qu’une volonté défensive suffit à écarter les risques de guerre, qu’à l’abri de la ligne Maginot la France pourra attendre en sûreté l’assaut de l’ennemi, devait désarmer moralement la Nation ; et ce qui est plus grave, les chefs eux-mêmes de l’armée, découragés de voir leurs propositions écartées, amenés ainsi à se limiter aux prétendues leçons d’un passé qui ne pourrait se remonter, perdirent toute flamme créatrice, manquant dès lors de découvrir dans la puissance irrésistible de la coopération chars-avions la possibilité de briser les assauts de l’ennemi par le moyen d’une ardente action de force qu’on ne pouvait attendre d’une défensive toute à la facilité comme à la passivité.
Telle est la grande et précieuse leçon qui se dégage de l’étude du général Conquet. ♦