La Hongrie après l’insurrection (II)
La chronique des années 1957 et 1958 est pour la Hongrie chargée d’enseignements. C’est l’histoire de la reprise en main par le « camp socialiste » d’un pays qui s’était cru à l’aube d’une nouvelle libération. Nation ni slave ni chrétienne orthodoxe, aux caractères ethniques exceptionnellement marqués, ayant derrière elle l’expérience de plusieurs siècles de luttes pour la sauvegarde de ses particularités, en contact direct à l’Occident avec des États qui avaient connu la présence soviétique et s’en étaient dégagés, elle semblait être la mieux placée pour tenter et réussir un décrochage. La spontanéité et la vigueur du mouvement insurrectionnel avaient témoigné de l’ardeur de ses vœux et de la fermeté de ses intentions.
Mais quand le 4 novembre 1956, Janos Kadar constitue dans la petite localité de Szolnok un gouvernement dressé contre celui d’Imre Nagy, au même moment les forces soviétiques mises en place depuis trois jours se disposent à entrer dans Budapest pour y imposer les directives du Kremlin. Kadar sait à quoi s’en tenir sur l’origine et la portée de ses pouvoirs. Pourquoi a-t-il été choisi ? C’est qu’il semble dans un parti désorienté être le plus apte à tenir un précaire équilibre entre le dogmatisme stalinien et le révisionnisme, l’un et l’autre condamnés par les Russes. Lui-même victime dans les années précédentes de l’épuration menée par Rakosi, considéré comme « titiste », emprisonné trois ans, réhabilité seulement après le départ de Rakosi, il avait fait partie du gouvernement Nagy qui, le 3 novembre, prenant acte de l’entrée en Hongrie de nouvelles troupes soviétiques sans son assentiment, avait proclamé sa neutralité, dénoncé le pacte de Varsovie, rédigé un appel aux Nations Unies. Il est vrai que Kadar affirme que dès le 1er novembre, il a rompu, ainsi que ses collègues communistes, avec Imre Nagy. Pourquoi s’est-il désolidarisé de celui-ci, dont il n’ignore pas la popularité ? Dans la soirée du 8 novembre, les délégués du gouvernement hongrois, que le commandement soviétique avait accepté de recevoir à Torlo pour traiter du départ des troupes russes, étaient arrêtés, y compris le général Maleter, nouveau ministre de la Défense. Kadar a pleinement conscience de la résolution soviétique de ne pas laisser la Hongrie glisser hors du camp des démocraties populaires. Il sait que l’U.R.S.S. a en cela l’appui des dirigeants du bloc communiste, y compris la Chine populaire, avec son immense potentiel de propagande. Et lui-même n’avait conçu le mouvement hongrois que dans les limites d’un « gomulkisme » inspiré de l’exemple polonais. Mais les événements montraient que le peuple hongrois avait des visées plus catégoriques. Brûlant l’étape du « communisme national », il prétendait revenir sans plus tarder à un régime libéral.
Nul doute que cette légitime ambition n’eût été bientôt la cause de graves difficultés, que la coalition insurrectionnelle ne se fût rapidement disloquée, que la personne même du communiste Nagy n’eût été promptement trouvée encombrante. Mais ce n’était pas pour éviter à la Hongrie de pénibles vicissitudes que Moscou avait décidé d’agir. Une sécession pouvait avoir des effets en chaîne. Il fallait tenir ferme le premier maillon. Il suffira d’une bonne semaine aux 2.500 chars et aux six divisions soviétiques pour se rendre maîtres des barricades de la capitale et des centres de résistance provinciaux, non sans avoir d’ailleurs subi parfois des pertes sensibles et fait eux-mêmes des milliers de victimes.
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