M. Maurice Schumann vient d’adresser au Président du Comité, Directeur de la Revue de Défense Nationale, la lettre suivante rectifiant une affirmation parue dans son article : « De la continuité du Gaullisme » (février 1960). Nous remercions vivement le Président Schumann de cette mise au point dont l’importance et l’intérêt pour l’histoire n’échapperont à aucun de nos lecteurs.
Correspondance - À propos des accords Clark-Darlan
Mon Général,
Je crois devoir corriger l’erreur involontaire que contient mon article sur « La continuité du Gaullisme ».
Après l’entrevue d’Anfa, deux négociateurs français m’affirmèrent que l’accord signé le 22 novembre 1943 entre le Général Clark et l’Amiral Darlan comportait une clause en vertu de laquelle le port de Casablanca et plusieurs autres bases d’Afrique du Nord seraient cédés à bail aux Alliés pour une très longue période. Je consignai cette information dans mon journal personnel, mais l’analyse des textes démontre qu’il s’agit d’une confusion avec l’article 15 de l’accord que M. Albert Kammerer dans son livre : Du débarquement africain au meurtre de Darlan (p. 582) résume dans les termes suivants : « L’article 15 comportait une véritable restriction de souveraineté. Le commandant américain avait le privilège de désigner éventuellement des zones qui pourraient être déclarées par lui comme région militaire et tomberaient sous son autorité. Dans ces régions, le maintien de l’ordre et des services administratifs incomberait au contrôle direct du général commandant en chef. Toutefois, cette disposition qu’avait dû accepter Darlan est restée sans aucune application en fait. »
Je dois dire que cette rectification que j’avais le devoir de faire, ne modifie en rien mon appréciation quant au fond même du problème. Assurément il entre un élément passionnel dans le commentaire prêté à M. Lemaigre-Dubreuil (op. cit., p. 583) : « Enfin on n’avait plus parlé de faire bénéficier l’Afrique du Nord de la loi du prêt-bail, et, comme le soulignait Dubreuil, on avait inséré partout le mot mixte ; ce mot provoquait sa fureur et son indignation. Il disait : “Mixte, voilà le mot de la situation. Ce que Darlan, ce que l’erreur du Général Giraud ont coûté au pays s’analyse dans ces cinq petites lettres. Nous avons perdu la gloire d’être les pionniers et les initiateurs. Nous ne sommes plus que les seconds peu brillants qu’on 'utilise' en vue de franchir un cap militaire difficile.” »
En revanche, l’historien ne peut que confirmer le jugement que l’Ambassadeur Kammerer tire de l’étude des textes (op. cit., p. 581) : « Le préambule précise aussi que le but de l’opération d’Afrique du Nord est de poursuivre la guerre jusqu’à l’écrasement de l’Axe, de libérer la France et de réaliser la restauration intégrale de l’Empire français, sous la condition qu’on a vue ci-dessus. Mais il ne précise plus, comme le faisaient les accords Giraud-Murphy, que le gouvernement des États-Unis considère la Nation française comme une alliée et la traitera comme telle. Ce ne fut pas seulement une nuance qui, dans les faits, se serait montrée sans conséquences politiques ; cela explique par exemple notre absence à certaines conversations internationales. »
Tout nous incite à mettre hors de cause la responsabilité directe du commandement allié qui – après « le sinistre baroud d’honneur » dont parle encore M. Albert Kammerer – ne pouvait sans doute, du moins dans l’immédiat, se comporter autrement ni tenir un plus grand compte des droits et de la dignité de la France. Mais, en revanche, l’enseignement que dégage cet épisode pour les patriotes français est d’une aveuglante clarté : seuls pouvaient garantir efficacement la continuité de la présence française à la victoire, ceux qui, ayant refusé dès le premier jour « l’armistice », pouvaient le considérer comme nul et de nul effet, bref, qui avaient assumé, à l’appel du Général de Gaulle, tous les devoirs de la Résistance.
Veuillez agréer… ♦