Un esprit atlantique est-il possible ? (mai 1953)
La mise en place des états-majors interalliés, le regroupement de forces disparates sous un commandement unique, l’intégration jamais réalisée jusqu’à présent des forces alliées, sont autant d’indices concrets d’une volonté de réaliser un outil de défense multinational efficace. Cette volonté est-elle purement américaine ? Est-elle fondée sur la crainte collective d’un danger réel ou imaginaire ? Repose-t-elle vraiment sur un esprit de solidarité fondé sur une communauté à la fois d’esprit et d’intérêts ou bien se constitue-t-elle sous la pression des événements contre les grandes tendances nationales ou se situe-t-elle dans le sens général du devenir historique ? Existerait-elle indépendamment du problème commun de défense ou aurait-elle existé naturellement entre pays démocratiques occidentaux vivant sur un même héritage commun ? Autant de problèmes sur lesquels politiciens, sociologues, militaires, historiens se penchent tout à loisir.
Le but de cet essai n’est pas de dégager des facteurs d’une quelconque philosophie de l’histoire, mais, beaucoup plus modestement, de juger si, à la lumière des quelques données militaires actuelles, une communauté atlantique vivante paraît viable.
Tout d’abord une telle communauté est-elle désirable ? Le problème est ici purement politique et il n’y a pas lieu d’en discuter. Elle a été créée artificiellement, c’est un fait. La France, conjointement avec treize autres pays, a signé le Traité de l’Atlantique Nord le 6 avril 1949. Cependant, le fait de signer un traité est une chose, le fait de créer une opinion collective atlantique en est une autre, incomparablement plus difficile. Les accords peuvent prévoir un remarquable développement économique, militaire ou même un progrès social en commun, si l’esprit public reste réticent, réservé, voire hostile à toute forme de coalition à prédominance américaine tous les efforts sont vains. Sans parler de sabotages, inerties coupables, actions criminelles de cinquièmes colonnes, qui risquent de freiner les opérations militaires, il est celui autrement plus grave de la désintégration psychologique de l’immense masse européenne, qui déjà chancelante en temps de guerre froide peut constituer un terrain de propagande à la merci du premier totalitarisme venu.
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