Bâtir l’avenir
Lorsque les vivats se sont éteints, lorsque les masses populaires ont retrouvé la pression de ces impératifs quotidiens qui finissent toujours par reprendre le pas sur les grandes émotions collectives, lorsque de nouveaux événements sollicitent l’attention des observateurs, alors il devient nécessaire de « faire le point ». Il est alors plus facile de se dégager de l’emprise que peuvent exercer les discours protocolaires, de l’envoûtement que le déploiement de certains fastes peut arriver à provoquer. Nous ne nions pas la puissance quasi-magique des mots et des images, nous pensons simplement que l’on ne doit pas s’en tenir à elle.
Pour la première fois dans l’histoire, un président de la République française se rendait officiellement en Allemagne, cette visite répondant à celles faites l’an dernier en France par le président de la République Fédérale, M. Luebke, puis par le chancelier Adenauer. Est-ce à dire qu’il faille limiter la portée du voyage du général de Gaulle à l’un de ces échanges de « bons procédés » dont l’influence diplomatique a toujours été nulle ? Est-ce à dire au contraire qu’il faille le juger à la lumière des propos qui ont été tenus, et considérer ces derniers comme des éléments de solutions aux problèmes du monde présent ? Dans l’un et dans l’autre cas, l’erreur serait totale. Il ne s’agissait pas de hâter la maturation de problèmes dont les données, pour une bonne part, demeurent incertaines ou contradictoires. Il s’agissait de concrétiser un acquis. Aussi bien ce ne sont pas les tête-à-tête de Gaulle-Adenauer, ni les entretiens de M. Couve de Murville avec le Dr Schrœder qui doivent retenir en premier lieu l’attention : ce sont l’accueil populaire, le retentissement sur des millions d’imaginations et de consciences populaires d’actes possédant la valeur d’une véritable démonstration.
Il nous semble que la signification profonde — nous voulons dire historique, c’est-à-dire se situant au-delà de l’immédiat et des controverses politiques — se dégage des propos suivants, tenus au château de Bruehl par le général de Gaulle : « Le rapprochement amical de nos deux pays est sans conteste l’un des événements les plus importants et éclatants de tous ceux que l’Europe et le monde ont vécus au long des siècles. D’autant plus que cette réunion, vers laquelle tendent l’Allemagne et la France, c’est afin d’agir ensemble que toutes deux commencent à la bâtir. Dans les bons rapports mutuels que pratiquent nos gouvernements, des sceptiques pourraient voir simplement cette sorte d’abandon qui, au terme de leur combat, fait s’appuyer l’un sur l’autre des lutteurs chancelants et épuisés. Certes il est vrai que Français et Allemands, ayant renoncé — et pour cause — à leurs luttes stériles et ruineuses, s’aperçoivent maintenant de ce qui les fait se ressembler. Mais, si nous avons relégué nos querelles et nos fureurs, ce n’est pas pour nous assoupir. Au contraire, de cette réconciliation il s’agit que nous fassions une source commune de force, d’influence et d’action. »
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