Nouveaux éléments de compatibilité française
Dans nos chroniques mensuelles de la Revue de Défense Nationale, nous sommes amenés, par la force des choses, à parler souvent de la comptabilité nationale et à employer des termes qui lui sont empruntés. Les servitudes inhérentes à une chronique ne permettent pas de donner à cette matière, devenue absolument fondamentale de nos jours pour l’analyse et la politique économique, le traitement détaillé qu’elle mérite et nous avons plus d’une fois pensé combien le lecteur pouvait se sentir décontenancé, voire irrité, par ce qui risquerait de lui apparaître comme des allusions sommaires ou même du langage ésotérique.
Il nous fallait jusqu’ici, sur ce chapitre, plaider coupable, avec circonstances atténuantes ; nous pourrons maintenant invoquer une bonne excuse absolutoire : le livre que vient de publier notre collègue Jean Marchal.
Ces Nouveaux éléments de comptabilité nationale française constituent la seconde édition d’un ouvrage paru, sous un titre un peu différent, en 1959. Rapidement épuisée, cette première édition en appelait une seconde, d’autant que le Service des études économiques et financières (SEEF) du ministère des Finances a procédé en 1959 à une réforme importante de la présentation des comptes.
Ce sont ces comptes nouveaux qui font l’objet de l’ouvrage. Disons tout de suite que malgré le caractère technique de la matière, le livre de Jean Marchal se situe aux antipodes d’un travail de pur technicien. Sa lecture, bien que l’auteur n’ait jamais recours à des simplifications abusives, est aisée pour qui veut bien y procéder avec quelque attention.
Articulé en deux parties étroitement complémentaires, l’ouvrage présente d’abord « les fondements de la comptabilité nationale française », où sont expliqués avec une rare clarté les principes de la comptabilité nationale, la notion de production et l’évaluation des quantités produites, les catégories d’agents, les catégories d’opérations, les catégories de comptes. Au terme de cette partie, la terminologie des comptables nationaux et la signification des concepts qu’ils utilisent n’ont plus de secrets pour le lecteur.
La seconde partie va permettre à celui-ci d’accéder sans peine à la compréhension des « différentes comptabilités nationales françaises ». Plusieurs séries de comptes, qui se distinguent par le degré de développement et leur périodicité, sont en effets publiés, et Jean Marchal nous les décrit en faisant un magistral usage combiné de l’esprit d’analyse et de l’esprit de synthèse. Son exposé des tableaux d’échanges inter-industriels et des comptes de branches, version française des tableaux de Leontieff, est un modèle du genre et plus personne maintenant n’aura le droit de traiter sur le mode ironique de ces travaux de « technocrates ».
La place et le rôle de ceux-ci sont au surplus fort bien mis en lumière dans le dernier chapitre, consacré aux « budgets économiques ». Jean Marchal montre comment cet effort de prévision et de prospective est conduit et à quel point il est nécessaire, non pas du tout pour imposer au pouvoir une politique élaborée par des techniciens irresponsables (comme affectent de le dire tant d’ignorants), mais pour soumettre au gouvernement les faits probables, les conséquences possibles de ses décisions éventuelles et lui permettre ainsi un choix raisonné de ses objectifs et de ses moyens d’action.
Destiné en principe aux étudiants en science économique, l’ouvrage de Jean Marchal s’adresse aussi à un public plus large, à tous ceux qui, refusant de répéter sans aucun esprit critique les aphorismes de l’économie politique de papa, veulent pouvoir comprendre les techniques modernes de l’observation, de l’analyse et de la politique économique. Ce n’est pas un mince mérite que d’avoir su, en un tel domaine, écrire pour « l’honnête homme ». ♦