Raz-de-marée sur les pétroles de Ploesti
La multiplication des détails et des anecdotes semble d’abord disperser, voire quelque peu lasser l’attention du lecteur ; mais plus celui-ci avance dans sa lecture, davantage apparaît le dessein des auteurs, mieux se caractérise cette opération aérienne de vaste envergure, faite d’une somme d’aventures individuelles.
On connaît en gros l’affaire. Les Alliés ont toujours désiré, au cours de la dernière guerre, détruire les raffineries roumaines qui fournissaient à l’Allemagne la majeure partie de son carburant. Une première tentative fut faite en juin 1942. Elle eut peu de résultat et la plupart des avions durent se poser, au retour de leur mission, en Turquie et en Syrie.
Le nom-code de l’opération montée par les Américains, en 1943, Raz-de-Marée (Tidal Wave) couvrait une des actions de guerre les plus audacieuses et les plus difficiles de tout le conflit. Il s’agissait de faire décoller des bases d’Afrique du Nord un nombre élevé de bombardiers, de les faire naviguer au-dessus de la Méditerranée et de l’Europe balkanique occupée par les Allemands, de les amener en rase-mottes sur les objectifs concentrés autour de Ploesti, puis de les faire revenir aux terrains de départ. Le seul problème de la navigation était complexe ; mais restait celui des réactions que l’ennemi allait avoir avec sa Flak et ses chasseurs.
178 bombardiers, divisés en sept groupes, prirent part à l’opération, le 1er août 1943. Leurs équipages comprenaient 1 763 hommes. Ils emportaient 323 tonnes de bombes et plus d’un million de bandes de cartouches. Ils avançaient vers leurs objectifs, convaincus de bénéficier de la surprise. Cependant, les Allemands avaient repéré leur départ, deviné leurs missions et suivaient attentivement leur progression. La Flak, beaucoup plus puissante que ne l’escomptaient les services de renseignement américains, était en alerte, de même que les escadrilles de chasseurs allemands, roumains et bulgares. L’armada aérienne américaine se dirigeait donc, sans le savoir, vers une vaste embuscade.
Biais de leur côté, les Allemands s’attendaient à une attaque à haute altitude, alors que les plans prévoyaient des attaques en rase-mottes. Bien que prévenus et sur leurs gardes, ils allaient être, eux aussi, surpris.
Enfin, une erreur de navigation – un virage amorcé trop tôt par l’avion-guide – devait amener une grande confusion parmi les bombardiers, au moment où ils arrivaient sur l’objectif. Pris sous les feux intenses de la Flak, poursuivis par les chasseurs, retrouvant cependant leur route, les bombardiers américains se livrèrent, dans un véritable enfer de feu, et à quelques mètres du sol, à des prouesses pour atteindre leurs objectifs. Le récit fait par les auteurs, suivant les déclarations des témoins oculaires encore vivants, devient par moments véritablement hallucinant.
45 bombardiers furent abattus, 8 internés en Turquie ; 23 se posèrent à Chypre, en Sicile et à Malte. 88 revinrent à leur base à Benghasi, dont 55 étaient endommagés ; 14 pour des raisons diverses, n’avaient pu atteindre la zone des objectifs. Les pertes américaines s’élevèrent à plus de 300 tués, plus de 100 blessés, et plus de 100 prisonniers. Bien que les coups portés aux raffineries de Ploesti eussent été rudes, les usines reprenaient leur rythme de production au bout de quelques semaines, et d’autres attaques aériennes allaient être effectuées plus tard sur cette zone vitale pour l’économie allemande.
Tel est le schéma de la journée de guerre que raconte ce livre. Mais ce résumé ne donne guère l’idée du livre lui-même, vivant, divers, multiple dans ses sujets d’intérêt, et qui vaut d’être lu. ♦