La Grande-Bretagne « à l’Est de Suez »
L’ère coloniale est close, celle du Commonwealth se termine, et déjà par deux fois la Grande-Bretagne a frappé à la porte de l’Europe. L’un après l’autre, un Premier conservateur, puis un Premier travailliste se sont prononcés en faveur d’une adhésion au « marché commun européen ». De tous les engagements qui retiennent la Grande-Bretagne à l’écart du continent, de toutes les relations spéciales que les Anglais par leur esprit aventureux et leur sens commercial, ont tissées de par le monde, certaines constituent des obstacles à l’union avec l’Europe que les Européens comprennent aisément et acceptent parfois. Il y a évidemment plus qu’une alliance formelle entre la Grande-Bretagne et l’Australie et la Nouvelle-Zélande et le Canada — premiers dominions émancipés mais derniers fidèles —. Il y a une certaine vision du monde unissant à un niveau contre lequel ne peuvent prévaloir les incidents, les peuples anglais et américain. Cette réalité de ce monde anglo-saxon (cet « english speaking world » de Churchill — dont la mère comme celle de Mac Millan était américaine —) l’opinion française la reconnaît comme une donnée de fait.
Par contre, « la politique de la Grande-Bretagne à l’Est de Suez » est plus qu’étrangère au Français moyen. Cette périphrase imagée, si puissamment évocatrice pour un peuple de marins, fait hésiter les Français, peuple continental dont les engagements vitaux — les gloires et les malheurs — ont toujours été terrestres. Il y a plus. L’Est de Suez, ce sont pour le Français les sirènes des navires, les parfums d’Arabie et les odeurs de pétrole, si ce n’est une vague réminiscence des guerres d’opium et de Chine. En bref, cette affaire à l’Est de Suez serait une entreprise — si ce n’est une aventure — purement anglaise.
Cette ignorance — ou plutôt cette indifférence — est en quelque sorte renforcée par les circonstances. Il existe un certain étonnement, si ce n’est même un agacement inconscient à constater que, si les Allemands et les Italiens avant-hier, les Hollandais et nous-mêmes hier avons quitté les mers de Chine et les rivages de l’océan Indien, les Britanniques y sont encore présents et actifs — ou en parlent comme s’ils y étaient toujours.
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