Le texte que nous publions ci-dessous est extrait d'une conférence prononcée par l'auteur à l’École supérieure de Guerre le 20 février 1969. L'auteur est PDG de la Société nationale de Constructions aéronautiques Nord-Aviation dont l'importance dans la production des armements destinés aux trois armées mérite d'être soulignée : engins stratégiques, avions et engins tactiques. Son propos vise surtout à poser des problèmes qui sont à la jonction de l'emploi et de la technique des engins tactiques. Car il faut, pour faire des armements tactiques valables pour une décennie, bien saisir l'influence de ceux-ci sur l'emploi et réciproquement.
Armement, stratégie et tactique
Les armements atomiques tactiques
Les problèmes de la guerre nucléaire ont déjà été maintes fois abordés. Aussi ne sera-t-il rappelé ici que les points essentiels qui ont une influence sur l’emploi des armes nucléaires tactiques dans l’affrontement de deux Armées qui en seraient équipées.
1° La phase décisive d’un conflit nucléaire mettant en jeu les armes tactiques serait très courte. Cela impose aux deux adversaires une très grande rapidité d’action. On voit, sur bien des documents, que les Russes envisagent en cas d’attaque de progresser de 80 à 100 km par jour, ce qui paraît considérable. Mais cela tient beaucoup moins de la constatation d’une possibilité que de la manifestation d’une nécessité d’atteindre dans des délais suffisamment courts les objectifs qu’il est indispensable de conquérir.
2° Jamais l’attitude offensive n’a été aussi payante que dans un conflit avec emploi d’armes nucléaires tactiques. C’est là le phénomène le plus caractéristique de la guerre nucléaire à l’échelon d’un théâtre.
3° Les actions nucléaires, si intenses soient-elles, ne doivent pas être séparées des combats conventionnels. Pour être efficace, l’arme nucléaire exige que son emploi ait été préparé par la manœuvre conventionnelle. Ce n’est que par la manœuvre que l’on peut provoquer la création d’objectifs justifiant l’emploi des armes nucléaires. Les tirs sur zone contre un ennemi disposant de son entière liberté d’action seraient d’une efficacité très réduite.
De même, les effets psychologiques et les effets de désorganisation des unités sont considérables mais temporaires. Pour obtenir le plein rendement des armes atomiques, il faut exploiter ces effets en utilisant les moyens conventionnels.
4° Le danger présenté par les armes atomiques impose de rechercher la dispersion des moyens. Mais pour pouvoir attaquer, il faut se concentrer. Ceci exige donc des manœuvres continuelles de dispersion-concentration que la mobilité actuelle des matériels terrestres classiques ne permet que partiellement.
5° En raison de leur nature et de celle des objectifs que présentent désormais les armées adaptées à la guerre nucléaire, les armes atomiques sont, pour une bonne part, destinées à être employées aux échelons élevés du commandement. Le Haut Commandement maniait autrefois les masses d’artillerie, il devra maintenant manier les projectiles eux-mêmes. Mais il devra savoir passer très rapidement, suivant les circonstances, de la centralisation à la décentralisation de la conduite des feux et réciproquement.
Ainsi, les armements essentiels auxquels il faut donner la priorité, mais non pas l’exclusivité, dans une guerre nucléaire sont les armements offensifs ayant à la fois une grande puissance de destruction et la mobilité la plus grande possible. Tout ce qui ne sera pas capable de suivre le rythme des unités les plus rapides ne comptera pas ou peu.
Le Pluton, arme atomique tactique qui constitue l’ossature de l’Armée française, est d’une importance extrême. Ses caractéristiques de puissance, portée, mobilité, lui confèrent une souplesse d’emploi (centralisé aux hauts échelons ou décentralisé à la Division) remarquable qui permet l’utilisation la mieux adaptée à la situation du moment du combat.
Les caractéristiques des armements classiques
Les caractéristiques fondamentales des armements modernes sont : leur spécificité, leur efficacité individuelle souvent très grande, mais en contrepartie leur coût élevé.
La spécificité et l’efficacité des armes
L’efficacité des armes modernes est liée pour une bonne part à leur spécificité.
Chaque fois qu’un programme d’armement est clairement défini, en particulier quand les objectifs à détruire sont clairement précisés et physiquement bien caractérisés, et à condition de disposer des moyens financiers et des équipes de techniciens, le système d’armes correspondant a les plus grandes chances d’être réalisé. Il est donc possible de réaliser un éventail diversifié d’armes offensives donnant à l’attaquant une puissance et une souplesse considérables dans son action.
Par contre, il est infiniment plus difficile de réaliser des systèmes d’armes défensifs efficaces. Ils doivent être conçus non pas en fonction d’un engin particulier ou d’un mode d’attaque particulier, mais de toutes les armes ennemies existantes, prévisibles ou supposées et de tous leurs modes d’emploi possibles.
L’exemple le plus net est celui de la défense sol-air qui exige cinq systèmes d’armes différents parmi les plus complexes et les plus sophistiqués. Encore cette défense est-elle inefficace contre les engins. Pratiquement aucun pays au monde ne dispose actuellement sur son propre territoire d’une défense antiaérienne cohérente et de niveau suffisant eu égard à la menace.
D’autre part, la défense doit être conçue en fonction de la nature des armes offensives de l’ennemi. Dans cette lutte continue contre le temps qu’est la course aux armements nouveaux, la défense a automatiquement un temps de retard.
Enfin, le développement continuel des matériels nouveaux augmente considérablement les possibilités de surprise au début du conflit, soit par leur emploi dans des conditions imprévues, soit par l’ampleur inattendue de leurs effets. C’est la surprise tactique.
Il peut s’agir aussi de la surprise technique, causée par un armement entièrement nouveau et inconnu. Dans les deux cas, les conséquences seront de même nature.
Dans l’offensive, la surprise, qu’elle soit technique ou tactique, se traduira par un simple échec tactique ou stratégique. En défensive, la surprise pourra se traduire par l’effondrement du système défensif.
De tout cela, il résulte que le développement continu des armements modernes a amplifié considérablement l’avantage de l’offensive sur la défensive. Qu’on rejoigne là les conclusions de l’étude du combat nucléaire n’a rien d’étonnant.
*
Un autre effet des armements modernes non nucléaires mérite d’être évoqué. C’est l’effet de neutralisation qui peut être essentiel dans la conduite du combat, à condition naturellement d’être exploité.
Si l’effet de neutralisation des armes nucléaires est de même nature générale que celui des concentrations d’artillerie, le phénomène d’instantanéité mis à part, celui des armements modernes non nucléaires est essentiellement ponctuel.
La concentration d’artillerie opérait sur une superficie de terrain par l’ébranlement des nerfs des combattants et par une menace diffuse. L’armement moderne classique n’atteint qu’un seul objectif à la fois. L’action de neutralisation est devenue plus subjective : c’est la peur du risque qui empêchera les combattants d’agir avec décision et non pas l’ébranlement nerveux. La neutralisation sera sans doute d’une nature voisine de celle que provoquèrent les chars allemands et les Stukas en 1940. L’analyse de ce phénomène mènerait là encore à conclure que l’avantage est de plus en plus à l’offensive qui permet de mieux l’exploiter.
L’élévation du coût de l’armement
Les conséquences du coût élevé sont importantes et souvent inquiétantes. Les prix ont provoqué une réduction souvent considérable du volume des forces et ont eu de ce fait une influence décisive sur les données stratégiques et tactiques dans un théâtre comme Centre-Europe.
Le prix des avions modernes, même économiques ou dits économiques, comme le Jaguar, se compte en milliards d’anciens francs ; l’on ne peut donc en avoir que très peu.
Leur armement aussi coûte très cher. À l’AS.30, qui est un engin air-sol d’une douzaine de kilomètres de portée et qui est déjà cher, est opposé maintenant le Martel, plus « performant », mais qui coûte six fois plus cher. On n’en aura donc pas beaucoup.
Pour l’aviation, la conséquence est donc extrêmement nette, c’est le faible nombre des avions.
Les mêmes causes ont joué pour l’Armée de terre. En effet, si le nombre des divisions a considérablement diminué, ce n’est pas seulement dû au coût de l’armement atomique. L’Allemagne qui ne dépense pas un mark pour un tel armement et n’a jamais été aussi puissante sur le plan économique, n’arrive pas à entretenir douze divisions, alors qu’elle en a eu des centaines.
Il en résulte la nécessité de donner aux divisions des zones de responsabilité très vastes, d’une largeur de l’ordre de 50 et même quelquefois 80 kilomètres. Certaines manœuvres autrefois possibles ne le sont plus. En particulier, une défense statique ou semi-statique est maintenant illusoire et sans valeur pour une division qui doit défendre une telle zone.
La manière de mener le combat d’une brigade sur 25 km (en particulier pour la surveillance du terrain et sa défense) se rapproche quelque peu de la guerre du désert, où l’on avait l’habitude de dire que tout est possible. Là aussi tout est possible : les pénétrations les plus rapides comme les plus imprévues.
Ceci a deux conséquences directes :
La première est la nécessité d’une très grande mobilité. On rejoint là une conclusion imposée par la guerre nucléaire. Par exemple, lorsqu’une division ayant une brigade en réserve est opposée à un ennemi attaquant en force sur une direction, il n’est pas certain du tout que cette réserve ait le temps d’intervenir avant que l’ennemi ne soit passé, si elle manque de mobilité.
La deuxième conséquence est qu’une guerre nécessitant une telle mobilité et des actions offensives continuelles avec une densité de moyens très faible, devient une guerre de véhicules ou plutôt entre véhicules.
Dans la plupart des cas, l’élément à pied pourra être tout simplement ignoré. Le vide du champ de bataille permettra de le contourner. Faute de moyens, il n’aura pas la possibilité de réaliser un plan de feux antivéhicules cohérent sur un front suffisant et, n’ayant pas la même mobilité, il ne pourra réagir par le mouvement.
L’infanterie aura un rôle sans doute, mais un rôle limité lorsqu’elle combattra à pied. Elle devra se battre avant tout à partir de ses véhicules.
En guerre nucléaire, un phénomène particulier pousse aussi dans ce sens : la crainte des effets de contamination. Il sera peut-être difficile de faire descendre de leur véhicule des gens qui auront envie de rester à l’abri.
Le changement fondamental est donc celui des objectifs. Il n’y aura plus, par exemple, ce que l’on a appelé les « beaux objectifs d’artillerie », parce que les forces seront trop dispersées et trop mobiles. Maintenant que l’infanterie a ses propres véhicules, l’incapacité de l’artillerie de bien agir sur elle est tout aussi manifeste.
Les armements classiques
Avant de passer en revue quelques armements modernes, il faut signaler un certain nombre de données dont l’importance échappe souvent.
Quelques données nouvelles
La lunette stabilisée
À la demande de Nord-Aviation, a été réalisée pour les engins tirés d’hélicoptères, la lunette stabilisée dont l’importance considérable n’a pas encore été bien vue.
En guerre subversive ou en guerre moderne, on recherche toujours le renseignement. Les lunettes stabilisées à fort grossissement permettent maintenant de disposer pour la zone de l’avant, à l’endroit et à l’altitude désirés, de parfaits observatoires permettant de voir aussi bien que si l’on était au sol, mais de partout en raison de la mobilité de l’hélicoptère.
Si l’on arme l’hélicoptère de missiles SS.11 ou SS.12 par exemple, on dispose d’un moyen de tir immédiat, permettant de traiter les objectifs instantanément.
En Algérie, au lieu d’un bouclage utilisant un ou deux bataillons, deux hélicoptères auraient pu parfaitement surveiller le terrain et agir efficacement avec des SS.11 ou SS.12 antipersonnels.
La télécommande automatique
Cet autre élément nouveau influe beaucoup sur les armements terrestres. Nord-Aviation a développé (et les autres pays s’engagent par imitation dans cette voie) une télécommande infrarouge, qui a l’avantage d’être bon marché, pour permettre un guidage semi-automatique des missiles.
Pour toute une catégorie de missiles, il suffit de mettre la croix du réticule sur l’objectif et de l’y maintenir sans rien faire de plus pour que le missile atteigne avec une très grande précision le but visé. Les conditions d’emploi sont ainsi considérablement améliorées (1).
L’usage de la très basse altitude
Enfin le troisième élément, d’une très grande importance, est la très basse altitude qu’on peut appeler la couche limite. Il y a pour le combat aéroterrestre trois milieux : l’air au-dessus de 100 à 200 m d’altitude, la terre et la couche limite entre les deux. Celle-ci en effet n’est ni la terre, ni l’air du point de vue des caractéristiques de combat. Les véhicules aériens rapides malgré de très grosses limitations d’emploi y trouvent des possibilités de manœuvre mais ne peuvent pas intervenir avec les procédés habituels. La solution à trouver au problème du combat dans cette couche sera donc extrêmement importante car les moyens aériens d’intervention au sol sont condamnés à y opérer.
Effets des engins modernes sur la tactique
De même que les canons, les engins sol-sol présentent les deux aptitudes, offensive et défensive, suivant l’emploi qui en est fait.
L’arme blindée
L’apparition des engins modernes ne changera pas fondamentalement la conception d’emploi de l’arme blindée ; elle donne seulement des possibilités nouvelles en mobilité et en portée. Parmi les armements nouveaux, celui qui intéresse l’arme blindée est avant tout le Hot. Il est prévu pour avoir 4 km de portée et une charge capable de détruire tous les chars existants. Aucune possibilité n’existe de réaliser des chars protégés contre une telle charge. Le Hot sera, grâce à la commande automatique, d’un guidage très simple. Son poids impose de l’utiliser sur véhicule.
On cherchait autrefois, pour l’arme blindée, la puissance, la protection, la portée et la mobilité. Les armements modernes, en particulier les engins, ont une puissance surabondante. La protection ne présente plus d’intérêt au-dessus d’un certain compromis qui correspond d’ailleurs, par chance, à une protection raisonnable contre les effets nucléaires.
Le véhicule blindé moderne ne possède plus la mobilité suffisante, en particulier en défensive. En effet, une contre-attaque de blindés dans une grande zone risque d’arriver trop tard dès qu’il y aura la moindre anicroche sur l’itinéraire. C’est sans doute la faiblesse principale de l’arme blindée moderne.
La portée nécessaire à son armement dépend de l’analyse du terrain. Les Américains ont basé le programme du Tow en particulier sur l’étude qu’ils ont faite des portées moyennes sur un théâtre européen. Ils en sont arrivés à la conclusion que la portée normale était de l’ordre de 2 km. C’est une erreur fondamentale car cela suppose que la guerre est seulement un phénomène statistique où l’on aligne face à face des forces d’une densité constante.
Il existe en Europe des terrains nus mais en même temps hauts. Ils commandent tout autour d’eux et il en part un certain nombre d’« avenues » comme disent les Anglais, c’est-à-dire d’axes de pénétration facile. La possession de ces zones est déterminante dans la conduite du combat. Or, sur de tels terrains, les distances de combat peuvent être facilement de 4 à 5 km. Il faut donc que les armes aient la plus grande portée possible. Si, de deux armées, l’une possède des systèmes d’armes capables de telles performances, elle attaquera dans ces zones où elle bénéficie de l’avantage conféré par son armement.
Vouloir se fonder sur des phénomènes statistiques est donc extrêmement dangereux. La guerre est, d’une manière générale, un phénomène irrationnel et l’on y recherche même l’irrationalité.
L’infanterie
L’infanterie doit subir des changements profonds à la fois dans ses conceptions de combat et dans son matériel.
D’abord il lui faut s’adapter à la guerre des véhicules, c’est-à-dire se battre essentiellement à partir de véhicules et utiliser ses véhicules. Elle peut disposer avec le Milan, dans la plupart des terrains, sauf très découverts, d’une arme qui lui permettra d’attaquer les chars avec les plus grandes chances de réussite. L’infériorité qu’avaient en portée et en efficacité les armes d’infanterie par rapport au canon de char, disparaît.
Autrefois l’infanterie se défendait contre les chars, maintenant elle peut les attaquer. Mais les blindés sont rares alors que les véhicules d’infanterie, parce que moins chers, peuvent être nombreux. Ces véhicules par leur nombre peuvent agir victorieusement contre les blindés à condition d’être armés convenablement, même si leur protection est faible.
Il n’est donc plus admissible que tous les véhicules d’infanterie ne soient pas des véhicules de combat. Un véhicule tout-terrain est trop cher pour qu’on le limite à l’emploi de transport.
Quel armement peut-on lui donner ? Le Milan : mais pas sur tous. Une guerre de véhicules ne concernera pas seulement les chars ; on doit donc prévoir sur un certain nombre de véhicules, soit le canon de 20, soit le canon de 30, qui permettent en effet de détruire un véhicule d’infanterie à 500 ou 600 mètres et aussi de faire soit des tirs de destruction, soit de neutralisation sur de l’infanterie à pied.
Le Milan a, en particulier, l’énorme avantage de pouvoir être tiré indifféremment du véhicule ou du sol avec le même système de tir. On trouvera peut-être qu’il vaut mieux mettre un support fixe sur le véhicule et un trépied pour l’installer à terre (encore que ce dernier suffirait pour montage sur le véhicule).
Les caractéristiques fondamentales de l’infanterie ont toujours été le nombre et la souplesse. Il n’y avait rien de plus vulnérable sur le champ de bataille que le fantassin, mais il y en avait beaucoup c’est ce qui faisait sa force. Aussi la recherche du nombre dans les véhicules de combat doit être une des directions d’action de l’infanterie. La deuxième direction est la recherche de la souplesse. L’homme est évidemment l’instrument le plus souple qui soit. Mais, avec des armes comme le Milan, on augmente cette souplesse par une aptitude à attaquer les chars et les véhicules même dans le combat à pied.
En guerre nucléaire, l’infanterie mécanisée aura un rôle très spécial, auquel elle sera la seule à être bien adaptée. En effet, pour créer des objectifs nucléaires, il faut souvent réaliser la canalisation qui consiste non pas à arrêter l’ennemi mais à le ralentir. Il est certain qu’une infanterie sur véhicules, avec la souplesse qu’elle aura de pouvoir agir, tantôt à pied, tantôt à partir de véhicules, sera exceptionnellement apte à la canalisation.
L’artillerie
Mise à part l’artillerie nucléaire, l’artillerie est l’arme qui est confrontée au problème le plus difficile. C’est que, comme nous l’avons dit, ses objectifs ont changé. Elle n’en a presque plus, et ils sont de plus en plus ténus et fugitifs.
Quelle doit être l’évolution de l’artillerie ? Deux voies particulières peuvent être indiquées.
La première c’est ce que l’on appelle l’arme de saturation. Il y a une quinzaine d’années que l’on réfléchit à certains engins de ce genre. Ou bien l’on construit une arme précise mais elle coûte trop cher, ou bien l’on se contente d’une arme bon marché mais elle a une imprécision inadmissible. Au fond, quand il s’agit d’envoyer une charge explosive de l’ordre de 15 à 40 kg et à bon marché sur un objectif donné, avec à la fois justesse, précision, rapidité, rien, de très loin, ne remplace le canon classique. Aucune solution satisfaisante n’a encore été trouvée.
La deuxième voie est l’emploi des missiles contre les objectifs fugitifs. Autrefois, le tir sur de tels objectifs était, même pour d’excellents tireurs utilisant des canons, extrêmement difficile. Maintenant, ce le serait beaucoup plus encore parce que les objectifs sont plus petits, plus diffus et plus mouvants ; aussi a-t-on étudié le SS.12 que l’Armée Française va bientôt expérimenter.
Le SS.12 a l’avantage d’avoir la puissance d’une charge d’obus de 155 avec l’extrême précision du missile téléguidé. L’artillerie, outre ses feux classiques, a ainsi la possibilité d’agir à peu près instantanément sur tout objectif fugitif même rapide, dès qu’elle l’a détecté. C’est une arme chère mais elle peut gêner considérablement l’ennemi.
La défense antiaérienne
Les données de ce problème très difficile varient beaucoup suivant le type de conflit : nucléaire ou non nucléaire. Dans un conflit nucléaire, il faut arriver à 99 % de probabilité de destruction de l’ennemi aérien, dans l’autre cas, une probabilité de destruction de l’ordre de 20 à 25 % est largement suffisante. L’ennemi peut risquer la perte d’une bonne partie de ses avions nucléaires parce que l’effet attendu est énorme. Mais il ne peut, à chaque mission conventionnelle, accepter une probabilité élevée de destruction, car les avions sont extrêmement chers et les pilotes difficiles à entraîner.
À haute ou moyenne altitude, tous les techniciens valables savent résoudre ce problème : ce sont le Nike, le Hawk. Les Russes ont construit les engins Sam, moins efficaces à basse altitude. Mais aucun pays au monde n’a une défense complète. On en arrive même au paradoxe suivant : alors que l’engin est bien plus efficace que l’intercepteur, il est fort possible qu’une partie de la défense antiaérienne reste longtemps assurée par des intercepteurs parce qu’ils sont polyvalents, et que le coût final est moins grand. Ce n’est pas une question de technique — la technique automatiquement mène à l’engin — mais une question de prix une fois de plus.
Chaque système pris isolément est vulnérable et insuffisant. Le Nike, pour être protégé contre les attaques aériennes à basse altitude, contre lesquelles il ne peut rien, a besoin du Hawk ; le Hawk intervient très bien jusqu’à des altitudes de l’ordre de 200 m, mais il est rapidement saturé et il peut être attaqué à très basse altitude.
C’est l’extrême efficacité des systèmes du type Hawk dès qu’on est au-dessus de 200 m qui a donné toute son importance à la très basse altitude.
Mettant à part les terrains d’aviation qui, évidemment, restent de grands objectifs sur lesquels on peut employer éventuellement une arme nucléaire, les objectifs du champ de bataille seront des objectifs ponctuels et mobiles difficiles à détecter de loin par le pilote assaillant. Or, si le pilote voit, il peut être vu. Il doit même être vu, puisque l’observateur peut utiliser une lunette stabilisée bénéficiant d’un fort grossissement et un radar d’acquisition qui donne la direction de l’avion qu’il n’a qu’à rechercher dans une tranche de site très faible.
On est ainsi arrivé, pour la défense des unités du champ de bataille, au système « temps clair » qui doit être d’une redoutable efficacité et doit changer certaines données du combat aéroterrestre, c’est le Roland 1 dont la probabilité de destruction doit être très certainement très largement supérieure à 30 %.
Le Roland 1 a été conçu de façon à pouvoir être employé sur un véhicule capable d’accompagner des chars ou l’infanterie blindée. D’une portée efficace de 6 km, il permet d’assurer une protection contre les attaques aériennes comme les unités au combat n’en ont jamais eu.
Lorsque l’assaillant peut attaquer sans visibilité, il faut un système « tout temps », ce n’est pas un problème de même nature ; c’est le cas d’objectifs étendus et fixes : terrains d’aviation, dépôts de carburants, stocks, etc…
Les hélicoptères
L’arme blindée qui manque maintenant de mobilité trouve un complément d’efficacité dans les possibilités d’observation et de tir d’engins à partir d’hélicoptères avec la lunette stabilisée.
En effet, l’hélicoptère offre la possibilité de lutter à grande distance contre tous les véhicules du champ de bataille avec une mobilité bien supérieure à celle de l’arme blindée. Évidemment par temps de brouillard, l’hélicoptère est paralysé. Mais dès que la visibilité est suffisante, c’est la seule arme qui réunisse à la fois puissance et mobilité maximum. Pour gagner des délais permettant la contre-attaque d’une brigade, on peut lancer tout de suite les hélicoptères pour porter un coup d’arrêt à l’ennemi. C’est aux échelons de la brigade et au-dessus que cet emploi peut être fait dans les meilleures conditions.
Comme les autres véhicules terrestres, l’hélicoptère isolé est vulnérable ; un char tout seul l’est extrêmement, il ne peut pas aller seul chez l’ennemi ; de même un véhicule d’infanterie. Mais un ensemble de chars et de véhicules d’infanterie peut attaquer l’ennemi. Pour l’hélicoptère ce sera la même chose : quand il sera dans un dispositif d’ensemble, sa vulnérabilité sera faible (encore que des engins genre SS.12 aient déjà des possibilités intéressantes de lutte anti-hélicoptères). De toute façon, la pénétration profonde sera exceptionnelle car les risques demeureront élevés.
Les Américains ont très bien senti l’intérêt de l’hélicoptère armé, mais l’hélicoptère ne doit pas devenir une machine onéreuse tant dans son coût d’achat que dans son coût d’entretien : il faut qu’un nombre suffisant soit disponible au profit des unités. Le Cheyenne aux U.S.A. ne semble pas réunir ces qualités. Sa complication en fait une machine dispendieuse.
En France et en Grande-Bretagne, on développe le WG.13 qui doit être armé d’engins et d’un canon de 20 mm. Il est extrêmement important que les engins soient montés sur une tourelle mobile de façon à avoir un large champ de tir en direction. Ainsi le WG.13 aura la possibilité de lutter contre les véhicules terrestres et aussi contre les autres hélicoptères. Il faut admettre que l’hélicoptère prendra une telle importance qu’on s’acheminera vers la guerre des hélicoptères, et l’engin guidé est tout naturellement désigné pour équiper un chasseur d’hélicoptères.
Les expérimentations faites montrent que les hélicoptères peuvent avoir une faible vulnérabilité aux attaques d’avions en raison de leur capacité évasive et de leur capacité d’auto-défense avec des missiles tels que le Hot.
L’Armée de l’Air
Les problèmes de l’appui aérien, comme ceux de l’artillerie, ont changé pour la seule raison que les objectifs ont changé. Ceux-ci sont maintenant des véhicules, donc des objectifs mobiles, et grâce à leur armement engins ces véhicules ont une capacité d’auto-défense antiaérienne.
Actuellement l’Armée de l’Air peut attaquer des objectifs de ce genre : avec le canon pour tirer à quelques centaines de mètres, avec la roquette que l’on peut tirer d’un petit peu plus loin en restant efficace, et enfin, avec la bombe freinée.
Mais ces trois modes d’attaque obligent l’attaquant à passer sur l’objectif.
L’attaque avec des missiles AS.30 ou AS.20 présente une vulnérabilité moins grande car l’avion ne s’approche qu’à environ 5 km de la cible. Mais c’est une arme déjà lourde, complexe et chère et qui d’ailleurs est surabondante en puissance.
L’utilisation de roquettes à grande portée pose des problèmes techniques de précision et d’efficacité qui ne sont pas encore résolus.
La Marine
Après 1945 et jusqu’à une date récente, beaucoup de Marines ont trop exclusivement compté sur l’avion embarqué pour l’action offensive. De ce fait, sur tous les bâtiments autres que les porte-avions, les moyens de défense contre avions prenaient une part de plus en plus grande dans les coûts et dans l’encombrement. Cette orientation défensive menait inéluctablement à une impasse à partir du moment où sont apparus des engins volant à très basse altitude, pouvant détruire tous les bâtiments attaqués.
À bord de l’Eilath, les Israéliens ont vu arriver les engins et n’ont rien pu contre eux. On peut faire évidemment maintenant beaucoup mieux que le Styx. Mais la donnée fondamentale est que les Marines occidentales qui, pendant longtemps, se sont dotées d’armements défensifs, constatent que la seule manière efficace de se défendre est d’attaquer. Comme l’a dit le Ministre des Armées, il ne s’agit pas d’arrêter la balle du revolver (ce ne serait possible d’ailleurs que dans un certain nombre d’années et en y mettant des sommes gigantesques), il s’agit de tuer l’ennemi qui est en face de vous.
La Marine comme les autres Armées s’oriente par la force des choses vers l’offensive.
* * *
Jamais le développement technique des armements n’a eu une influence aussi grande sur la politique, la stratégie et la tactique.
Avec de l’argent, du temps et de bons techniciens, on peut, sinon tout faire, du moins réaliser des armements inconcevables quinze ans auparavant.
Mais il ne faut pas qu’inconsciemment les équipes techniques provoquent une orientation fausse et dangereuse de la stratégie, en l’engageant par exemple dans la voie de la seule défensive.
C’est en définitive à l’utilisateur responsable à décider des grandes orientations.
Pour cela la pensée militaire doit remettre sans cesse en question les bases de ses raisonnements par une confrontation continue des données stratégiques et tactiques et des possibilités des armements nouveaux. La voix des industriels peut alors se faire utilement entendre. ♦
(1) Indépendamment de la réduction du coût de l’instruction.