Militaire - États-Unis : premiers pas vers une armée de métier ? - URSS : actions en vue du désarmement - Bloc oriental : aide militaire au Tiers-Monde en 1968 - Yougoslavie : congrès de la Ligue des communistes - Grèce budget de défense pour 1969 - Moyen-Orient : coordination militaire interarabe
États-Unis : Premiers pas vers une armée de métier ?
Pendant sa campagne électorale et depuis son arrivée à la Maison-Blanche, le président Nixon a indiqué son désir de supprimer la conscription dès que possible et de recourir au volontariat pour l’entretien des forces armées. La difficulté centrale du problème de la conscription aux États-Unis réside dans le fait que les ressources en hommes dépassent largement les besoins. Le système actuel caractérisé par l’inégale intervention dans la désignation des conscrits et l’incertitude de l’âge d’appel sous les drapeaux n’apporte qu’une solution très imparfaite à ce dilemme.
L’adoption d’un service militaire uniquement basé sur le volontariat aurait pour résultat de supprimer ces inconvénients. Dans l’esprit de M. Nixon, cette mesure devrait intervenir dès que possible après la conclusion du conflit vietnamien. En attendant, des aménagements seraient apportés à la réglementation régissant la conscription et, de plus, une réforme radicale du système des soldes devrait permettre d’attirer un plus grand nombre de jeunes gens. On considère que l’effectif total des forces armées ne peut descendre au-dessous de 2,5 millions d’hommes pour qu’elles conservent un niveau d’efficacité suffisant. C’est donc en fonction de cet ordre de grandeur que sera étudié le projet d’armée de métier. Les travaux nécessaires ont d’ores et déjà été entrepris au niveau de la présidence et à celui de la défense. On peut craindre cependant que la suppression de la conscription n’amène des difficultés sérieuses en matière d’effectifs si des mesures ne sont pas prises pour rendre compétitive la carrière militaire par rapport aux perspectives offertes par le secteur civil. C’est pourquoi, outre l’amélioration d’avantages tels que le logement et la possibilité d’études, il est envisagé d’adopter un nouveau système de solde aligné sur les principes d’établissement et les barèmes des traitements et salaires civils.
Selon le plan Hubbel, du nom de l’Amiral qui en est l’auteur, la solde ne comprendra plus qu’un principal sans accessoires, soumis en totalité à l’impôt sur le revenu, mais qui sera augmenté par rapport à celui de l’ancien système. Cette augmentation compensera la disparition des indemnités et allocations diverses et inclura le montant des versements à la sécurité sociale et à une caisse de retraite militaire dont la création est prévue. Telle qu’elle est conçue, la nouvelle solde serait alignée, à qualification correspondante, sur les rémunérations actuellement plus élevées du secteur civil et devrait attirer ainsi un nombre accru de jeunes gens. La réforme du système des soldes qui interviendra dès avant celle du système du recrutement touchera uniquement les personnels faisant carrière, c’est-à-dire officiers, sous-officiers et hommes de troupe ayant deux ans de service et liés par contrat pour quatre autres années. En tenant compte de l’organisation actuelle des forces armées, le coût de cette opération serait de 1,2 milliard de dollars non prévus au budget 1970 et qui devraient être demandés au Congrès par la nouvelle administration. Une armée de métier de 2 500 000 hommes entretenue uniquement par volontariat exigerait, dans ces conditions, une augmentation de crédit de 6 à 7 Md$ pour le paiement des soldes, du moins dans les conditions économiques actuelles.
Il ne semble pas que la suppression totale de la conscription puisse être envisagée dans un proche avenir en raison du coût de l’opération ainsi que de l’opposition de l’opinion publique et de nombreux militaires à l’idée d’une armée de métier. Une étude faite en 1966 avait d’ailleurs conclu à l’extrême difficulté, sinon à l’impossibilité de supprimer la conscription. Quoi qu’il en soit, le bureau du budget vient de refuser la proposition de refonte des soldes pour l’exercice 1969-1970.
URSS : actions en vue du désarmement
Le gouvernement soviétique déploie actuellement une assez grande activité en matière de désarmement : d’une part, il poursuit ses avances en direction des États-Unis et d’autre part, il donne de l’importance aux travaux du comité de désarmement des dix-sept, qui ont débuté le 18 mars à Genève.
La presse soviétique s’est en effet montrée très mesurée à la suite de la décision du président Nixon de réaliser un système Sentinel allégé qui n’est pas considéré du côté soviétique comme un obstacle à l’ouverture de négociations. Elle insiste au contraire sur le fait que l’actuel rapport des forces nucléaires offre la possibilité de conclure des accords, aboutissant au gel puis à la réduction des armements nucléaires, quels que soient les obstacles existants. Les mesures à prendre ne devront mettre en position défavorable aucun État ou groupe d’États.
En commentant les travaux du comité des dix-sept, on souligne en URSS que cet organisme international a déjà acquis une certaine expérience des problèmes du désarmement et qu’il a beaucoup contribué à la préparation du traité de non-prolifération « document d’une immense importance internationale ». On conclut que le comité devrait examiner en premier lieu les propositions contenues dans le mémorandum soviétique du 1er juillet. De son côté, M. Rochtchine, coprésident soviétique du comité, a déclaré à Genève que l’URSS souhaitait la mise en application du Traité de non-prolifération « le plus rapidement possible » et qu’elle était disposée à « négocier une large série de problèmes relatifs au désarmement ». Le premier de ceux-ci pourrait porter sur un accord de démilitarisation des fonds marins et océaniques, accord pour lequel le président Nixon a manifesté un intérêt particulier dans son message à la commission.
Bloc oriental : aide militaire au Tiers-Monde en 1968
Sur le plan militaire, l’URSS et les pays de l’Est ont poursuivi en 1968, par des fournitures de matériel, l’envoi de conseillers et la formation de spécialistes, le renforcement de leur emprise sur certaines armées du Tiers-Monde, avec des conséquences évidentes pour ces pays sur les plans politique et économique. La disposition éventuelle de certaines facilités pour les Forces armées de l’URSS pourrait être dans certains cas un objectif recherché. L’effort essentiel est fourni par l’URSS ; la Tchécoslovaquie apporte une contribution appréciable. Parmi les autres satellites, la Bulgarie, la Yougoslavie et la Pologne ont livré une faible quantité d’armes légères. L’URSS a continué à équiper en priorité les armées des pays arabes du Moyen-Orient. Ces livraisons s’inscrivent dans le cadre d’accords militaires antérieurs. La République arabe unie (RAU, NDLR : Égypte), la Syrie et l’Irak ont recouvré la quasi-totalité des matériels perdus au cours du conflit de juin 1967. L’Algérie a reçu d’importantes fournitures, destinées en particulier à renforcer sa marine. Les armées de ces quatre pays sont équipées presque totalement de matériels soviétiques (RAU, Syrie, Algérie : près de 100 % ; Irak : 90 %). En Afrique noire, les bénéficiaires principaux ont été le Nigeria, l’Ouganda et la Somalie. En Asie, l’Inde a reçu notamment le premier bâtiment d’une série de 4 sous-marins de classe F ; l’URSS et la Yougoslavie participent d’autre part à la construction de la base navale de Vishakha-Patnam (golfe du Bengale). Les missions de conseillers militaires soviétiques sont particulièrement importantes en RAU (3 000), en Algérie (2 000) et en Syrie (1 500).
En 1968, des secteurs nouveaux ont été l’objet d’une attention particulière de la part de l’URSS :
• L’Iran a conclu avec l’URSS, fin 1967, un accord militaire prévoyant des livraisons d’armements soviétiques pour une valeur d’environ 100 millions de dollars. La visite effectuée par le maréchal Zakharov, au mois de mai 1968, a précédé les premières livraisons. Celles-ci comprennent essentiellement des Véhicules de transport de troupes (VTT), des pièces d’artillerie et des véhicules divers.
• Plusieurs délégations militaires soviétiques se sont rendues au Sud-Yémen, pour y étudier les modalités de l’assistance soviétique (en janvier, mars et juin 1968). Le ministre sud-yéménite de la Défense s’est également rendu en URSS au mois de novembre. Les accords signés en 1968 prévoient des livraisons de matériels destinés aux trois armées. L’engagement d’assistance militaire est consigné dans le communiqué commun publié à l’occasion de la visite du président sud-yéménite en URSS (28 janvier-9 février 1969). En 1968, ont été effectuées les premières livraisons d’armes légères et de véhicules.
• L’accord militaire soviéto-soudanais est entré dans sa phase d’application par la livraison au Soudan d’un premier lot d’armements soviétiques, composé de 7 chars T-54.
• Enfin, les premiers contingents d’armes soviétiques auraient été livrés au Pakistan, malgré les objections du gouvernement indien.
Yougoslavie : congrès de la Ligue des communistes
Le 9e Congrès de la Ligue des communistes yougoslaves s’est tenu à Belgrade du 11 au 15 mars. Son boycott par les pays du Pacte de Varsovie, excepté la Roumanie, souligne la gravité de la tension née après l’intervention armée en Tchécoslovaquie. Si les problèmes en litige ne sont pas nouveaux (ils sont les mêmes qu’en juin 1948), l’attitude soviétique et les craintes yougoslaves depuis le mois d’août leur confèrent une acuité particulière. Dans son allocution du 12 mars, le maréchal Tito a réaffirmé que la conception d’une communauté socialiste dont les intérêts, définis en fait par l’URSS, seraient supérieurs aux intérêts de différents États qui la composent, est inacceptable et nuisible à l’essor dans le monde des mouvements progressistes, dont le sentiment national est une composante essentielle. L’idée très large que se font les Yougoslaves de la lutte anti-impérialiste s’est traduite par la présence au Congrès, à égalité avec les délégations communistes, de multiples délégations de partis et mouvements progressistes d’Europe occidentale et du Tiers-Monde. Si seuls 16 Partis communistes (PC), sur les 81 existant dans le monde, étaient présents à Belgrade, il y avait 47 délégations de mouvements progressistes. Les relations avec le camp socialiste proprement dit apparaissent, malgré le ton modéré des discours et la résolution finale, très difficiles sinon mauvaises : la polémique avec la Bulgarie, à propos de la Macédoine, connaît un regain depuis plusieurs mois. Le Congrès a décidé à l’unanimité que la Ligue n’enverrait pas de représentant à la réunion des PC de Moscou (conférence préparatoire et conférence mondiale). Les relations demeurent excellentes avec la Roumanie.
Sur les problèmes mondiaux, le Congrès a réaffirmé l’hostilité yougoslave à l’intervention des troupes américaines au Vietnam et à la politique d’Israël. Toutefois, dans son rapport le maréchal Tito a estimé que la présence navale soviétique en Méditerranée, si elle représentait dans les circonstances présentes une aide aux États arabes, créait à terme, du fait de la VIe Flotte américaine, un risque de conflit dans cette zone. Enfin, la volonté de développer les rapports commerciaux tant avec les pays du CAEM (Conseil d’aide économique mutuelle ou CEMECON) qu’avec ceux de la Communauté économique européenne (CEE), dont la « politique économique discriminatoire » a été dénoncée, est confirmée.
Sur tous les points donc, la Yougoslavie entend maintenir sa politique extérieure de non-engagement et de collaboration avec les deux blocs et les pays du Tiers-Monde.
Cette volonté de poursuivre malgré les obstacles une voie originale est également évidente sur le plan intérieur.
Grèce : Budget de défense pour 1969
Le budget de défense pour 1969 se monte à 9 363 millions de drachmes (1 545 M de francs), ce qui représente une augmentation de 26,3 % par rapport à celui de l’année précédente. Il représente : 14,4 % du budget général, contre 13,1 % en 1968 et 3,71 % du Produit national brut (PNB) 1969 évalué aux prix du marché, contre 3,28 % en 1968. L’augmentation des dépenses de Défense est très supérieure à celle qui avait été annoncée lors du dépôt du budget (+ 13,8 %) et à l’augmentation des dépenses globales de l’État (+ 14 % pour un accroissement du PNB évalué à 11,4 %). L’effort consenti par rapport à 1968 (+ 322 MF) correspond essentiellement aux dépenses entraînées par la création d’un commandement des forces armées : le budget « entretien et fonctionnement » de la section commune passe de 4,6 MF en 1968 à 138,7 (soit + 134,1) et à une augmentation notable des soldes étant donné la stabilité des prix en Grèce (+ 122,6 MF).
La répartition, en pourcentage, des crédits entre les armées fait apparaître une diminution de la part réservée à l’armée et à l’aviation, et une légère augmentation de celle de la marine. Celle-ci voit notamment son budget « entretien et fonctionnement » passer de 64 à 105 MF, dont 35 à titre extraordinaire contre 0,6 en 1968. Bien qu’il n’y ait pas de dépenses d’investissements inscrites dans le budget de défense 1969, cette forte augmentation du budget extraordinaire de la marine peut laisser supposer que l’effort de modernisation sera poursuivi, compte tenu des options prises en 1968. La Grèce a notamment commandé 4 sous-marins à la République fédérale d’Allemagne (RFA). Les crédits réservés aux manœuvres de l’armée de terre (5,5 MF) marquent une augmentation significative de 500 %. On peut noter aussi un relèvement de 31 % des dépenses ordinaires intéressant Chypre (5,1 MF) et les services spéciaux (24,5 MF).
L’effort budgétaire particulier consenti en 1969 par la Grèce traduit surtout la volonté du gouvernement de mettre en œuvre la réorganisation des forces armées, dont il entend aussi pousser l’entraînement et s’attacher les cadres. La valorisation des forces, en ce qui concerne les matériels majeurs, demeure cependant fonction d’une aide extérieure non mentionnée au budget et dont la reprise se fait attendre depuis près de deux ans.
Moyen-Orient : Coordination militaire interarabe
Grâce à une meilleure volonté de la part des Syriens, la coordination militaire interarabe sur le front de l’Est a fait quelques progrès, mais les difficultés irakiennes interdisent pour le moment un renforcement du dispositif.
La mise sur pied du commandement oriental, décidée depuis plus d’un an et qui doit regrouper sous les ordres d’un officier général irakien les forces égyptiennes, jordaniennes et les corps expéditionnaires irakien et séoudien en Jordanie, n’avait guère progressé en raison surtout des divergences politiques entre les capitales intéressées et de la méfiance qui en résulte. Les seules mesures pratiques ont consisté à désigner un commandant du front (le général irakien Nouri Khalil) et à lui constituer un embryon d’état-major dont le siège est à Soueida, en Syrie.
Il semble qu’à la faveur de la récente crise politique et sous l’impulsion des militaires du Baas syrien, la mise en pratique, par les partenaires du commandement oriental, des premières mesures de coordination dans le domaine de la défense ait été accélérée. Plusieurs rencontres ont été organisées au début du mois de mars à Bagdad, Damas et Le Caire entre les chefs d’état-major ou les ministres de la Défense de Syrie, de Jordanie et de RAU. Une brigade du corps expéditionnaire irakien, précédemment stationnée en Jordanie, a été déployée dans la région de Deraa en Syrie. ♦